Le Grand marin, Catherine Poulain

Le Grand Marin, Catherine Poulain, éditions de l'Olivier, 2016, 373 pages

Genre : récit autobiographique

Thèmes : départ, Alaska, pêche, souffrance, solitude, dépassement de soi

 

 

L'auteur en quelques mots ...

Aventurière dans l'âme, a multiplié les voyages, s'est passionnée pendant 10 ans pour la pêche en Alaska, et vit  aujourd’hui entre les Alpes de Haute-Provence et le Médoc, où elle est respectivement bergère et ouvrière viticole. 

Le Grand Marin est son premier roman publié aux éditions de l'Olivier.

Petit bout de femme dure à la douleur, obstinée à préserver sa liberté et sa solitude, elle est partie, un jour de 1993, de Manosque, sa ville qui l’étouffait, vers la dernière frontière, celle du grand nord. L’Alaska, elle en rêvait. Elle avait déjà bien parcouru le monde avant, travaillé dans une conserverie de poissons en Islande, dans un bar à Hong Kong, sur un chantier naval à Seattle, ramassé des pommes au Canada.

Mais là c’était embarquer qu’elle voulait, et aller pêcher dans le Pacifique Nord. Et c’est ce qu’elle a fait, dix années durant.

Expulsée parce que sans papiers, elle est revenue à ses moutons, bergère en Haute Provence pour la transhumance, et ouvrière viticole en Gironde le reste de l’année.

(source France Inter)

 

Catherine poulain dit avoir toujours écrit, noirci des carnets de voyage, préparé des récits, jusqu'à ce jour où Olivier Cohen lui propose un contrat. Ecrire un livre, elle s'en sent capable, mais un seul volume ? Il y a tant à dire ! Alors l'autre soir, à la Colline aux livres à Bergerac, elle nous confiait qu'elle rédigeait une suite à l'épopée de Lili ;)

L'histoire

 

Lili veut s'embarquer loin, quitter cette ville, "Manosque-les-plateaux, Manosque-les-couteaux" cette vie oppressante et dangereuse, "Je ne veux plus mourir d'ennui, de bière, d'une balle perdue. De malheur. Je pars ". Ce sera l'Alaska. "Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska".

Un milieu masculin, rude, l'attend. Mais Lili n'en a cure et se laisse emporter par l'ivresse du large: "On me propose deux places de matelot le même jour ; pêche au hareng le long des côtes sur un seiner ou embarquer sur un palangrier pour la morue noire, au large. Je choisis le deuxième parce que cela sonne plus beau, long lining, que cela va être dur et dangereux, que l'équipage sera composé de matelots endurcis"

Au milieu de ceux qui l'acceptent, dubitatifs mais curieux de voir ce qu'elle va donner la petite, frêle, elle apprend le courage, l'endurance, la solidarité, la solitude aussi. Chacun à bord à une vie,parfois éloignée, loin de tout confort ou bien faite de solitude parce que rester à terre dans une maison ils ne savent pas faire. Finalement Lili est comme eux, au fond.

Une blessure, l'éloignement du bateau et Lili comprend qu'elle ne peut vivre loin du large, loin du pont, des odeurs marines, des heures passées à remonter le poisson, le tuer ( parce que c'est aussi ça la vie de pêcheur de flétan) et poursuivre l'ivresse de la mer dans un bar, une fois à terre. Pas d'amarres, pas d'amour, ou alors de passage.

Pourtant , aux côtés du grand marin, elle apprendra plus que la rudesse de l'Alaska...

 

En vrac et au fil des pages ...

 

C'est un récit envoûtant que celui de Catherine Poulain et je puis vous assurer que la rencontrer m'a confortée dans ce que j'ai ressenti à la lecture. Une femme forte et en même temps, fragile, à la voix faible, presque timide.

Non ce n'est pas un récit d'aventures. oui il y a de l'action. Mais c'est un récit de vie, une vie vécue, réellement, dans tout ce que cela suppose de souffrance, d'allégresse, de folie aussi.

Parce qu'il faut bien l'avouer, il faut être un peu barré pour partir comme cela, si loin, s'embarquer dans une vie de marin, mais pas le petit marin d'eau douce, l'autre, le grand Marin,celui qui pêche le flétan des jours durant, se blesse, tue, y prend plaisir, en redemande !

La narratrice touche le lecteur par sa candeur et sa force. J'ai trouvé une totale harmonie entre l'écriture, le dépouillement et la poésie de l'Alaska, la rudesse des conditions de vie et le besoin d'espace de l'héroine

"Il fait nuit. Des hommes sans visage se peuvent sous l'éclat des lampes à sodium, formes sombres éclairées à peine par les cirés orange. Un casier ruisselant surgit des flots, on croirait un monstre tiré des abysses. Car ce sont des abysses obscurs et redoutables qui encerclent le bateau, les hommes.Ils s'ouvrent puis se referment comme une bouche vorace. Le casier s'élève dans un ciel bouleversé, accroché au filin, se balance lourdement.La masse brute semble hésiter avant de redescendre, oscillant entre le pont et l'eau.Deux hommes à la lisse, frêles et souples, le guident vers un support d'acier qui vient de s'élever. Les crabes semblent jaillir de la gueule béante (...) Il y a une cadence intangible dans le balletobscur et silencieux, presque fluide."

J'ai entendu certains lecteurs se plaindre de passages répétitifs. J'ai souri en entendant Catherine Poulain dire : " Lorsqu'Olivier Cohen m'a dit que nous allions faire un contrat je me suis dit que cela n'allait pas plaire au lecteur, que l'allais l'ennuyer, parce que la vie de pêcheur c'est tous les jours la même chose" ! pourtant Lili apprend, grandit et chaque pêche est différente. Le Grand Marin c'est aussi un récit d'apprentissage, sur ses limites, el dépassement de soi, la vie avec les autres, contre eux et avec eux.

Puis l'écriture participe de l'immersion. Hachée, travaillée lorsque le récit devient intense. Lili au coeur de l'action et l'écriture s'envole, nous fait vivre ces instants âpres. Plus poétique et contemplative lorsque les paysages s'y prêtent, lorsque les hommes font une pause, lorsque Lili envisage le bout de la terre, Point Barrow, son rêve.

Une vie de pêcheur c'est aussi le retour à terre, les bars parce qu'il n'y a rien à faire d'autre, pour prolonger l'ivresse ressentie à bord aussi. "Repeindre la ville en rouge", une expression qui signifie se saouler, que l'on entend beaucoup là-bas nous dit Catherine Poulain, et dans laquelle on entend aussi le rouge du sang des poissons, la vision rouge du pêcheur à bord au moment de remonter les lignes, les filets, l'angoisse de ne pas en ramener assez , les quotas, le désespoir.

Contre toute attente ce qui compte c'est le courage, la bravoure. Les hommes ne font pas la différence et l'égalité est bien réelle. Lili compense son manque de force par une stratégie que tous reconnaissent à bord. J'étais comme vous, à me dire que des femmes marins cela ne devait pas courir les rues. Mais elle en témoigne et en a rencontré. Ce qui semble fou se réalise à l'aune du respect, au-delà des considérations sexistes.

On comprend son enthousiasme en la lisant et, comme le disait Coline Hugel à la librairie, l'autre soir, cela donne envie de s'embarquer !

C'est un roman à lire comme le récit de vie de Catherine Poulain - Lili et dont j'attends la suite avec impatience.

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