Ecoutez nos défaites, Laurent Gaudé

Ecoutez nos défaites, Laurent Gaudé, éditions Actes Sud, 2016, 288  pages

Genre : roman

Thème : guerre, épopée, Histoire, terrorisme

 

L'auteur en quelques mots ...

Retrouvez la biographie de Laurent Gaudé sur le billet du challenge

L'histoire :

 

" La défaite, elle est là. Est-ce que les autres ne la voient pas ? La défaite gourmande, bestiale, sans appel. Ils ne pourront pas lui échapper. Est-ce qu'il est le seul à la sentir ?"

Mariam est archéologue et voue sa vie à la recherche et la conservation de trésors oubliés, vestiges d'un passé antique où la Mésopotamie était glorieuse. Heurtée dans son corps par une maladie qu'elle sait incurable, elle prend parfois du plaisir dans les bras d'hommes vite oubliés, amants de passage.

Pourtant lorsque son chemin croise celui d'Assem, Mariam sait que leurs destins sont unis. Il la comprend et trouve les mots justes qui prouvent sa connaissance de la terre sur laquelle ils vivent, des guerres et conflits passés. Assem est un agent des services de renseignements français et s'apprête à rencontrer un ancien membre des commandos d'élites américain que le gouvernement cherche à éliminer après avoir testé sa dangerosité. Tous deux ont vécu les drames, les obligations inhérentes à leur métier, parfois bien loin de l'humanité. Chacun sait qu'il est arrivé au bout de quelque chose et qu'il ne sera pas possible de continuer ainsi, une vie de combat, de traque.

Afin d'unir son destin à celui d'Assem, Mariam cache dans ses affaires une statuette de Bès, " le dieu nain que l'on glisse sous la tête des défunts pour les apaiser", qui sera le lien entre eux. Elle que l'amour n'a su combler voit en cet homme une renaissance et la possibilité d'une réparation. Elle sait qu'il aura le bon geste et comprendra ce qu'il faut faire de la statuette.

A des siècles de distance, Hannibal se prépare à une bataille mémorable. Lui, roi puissant, guerrier à dos d'éléphant, entend marcher sur Rome et révéler son pouvoir au monde. Le général Grant doit mener une bataille contre les confédérés et sait que sa victoire n'en sera pas vraiment une car toute guerre est une défaite en soi.  Hailé Sélassié , dit Le Négus,roi des rois, adulé puis rabaissé, luttant contre l'envahisseur fasciste, enfermé dans une geôle où il sera oublié, en est l'exemple.

Et alors que Daech s'attache à détruire toute trace d'un passé glorieux en détruisant les musées, le patrimoine ancestral, Mariam constate, tout en gardant espoir, ce que l'homme est capable d'infliger à ses semblables. "il ne peut y avoir de renoncement"...

"Tout ce qui se dépose en nous, année après année, sans que l'on s'en aperçoive (...) signe qu'au-delà de la conscience quelque chose vit en nous qui nous échappe mais nous transforme(...) avance obscurément, année après année, souterrainement, jusqu'à remonter un jour et nous saisir d'effroi..."

En vrac et au fil des pages ...

 

Les thèmes chers à Laurent Gaudé sont réunis dans ce roman polyphonique : la guerre, l'humanité et son devenir, la mythologie, les grands guerriers de l'Histoire. Ici l'accent est mis sur les dérives actuelles perpétrées par Daech et c'est ce qui a le plus retenu mon attention.

J'avais été choquée par les images présentées au journal télévisé, montrant des terroristes abattant des statues, détruisant tout un patrimoine. Rapidement mes élèves avaient posé la question "c'est ce qu'on voit dans les livres d'Histoire ? La Mésopotamie ?". Et même ceux qui ne sont pas férus d'Histoire avaient compris ce que l'on perdait là.

Laurent Gaudé part  de ce constat et l'explique par le mépris mais aussi la conscience de l'impact de ces actes sur la communauté, une revendication de pouvoir au-delà des guerres. "L'Antiquité est pleine de villes mises à sac -l'incendie de Persépolis, la destruction de Tyr- mais d'ordinaire il en restait des traces, d'ordinaire l'homme n'effaçait pas son ennemi".

Le roman donne voix aux grands combattants de l'Histoire : le général Grant, Hailé Sélassié, Hannibal et leur confie un discours qui peut sembler désabusé : une bataille se gagne au prix de multiples vie et est ainsi, en soi, une défaite. L'on découvre le courage, la force de chacun, mais également un état d'esprit très lucide, conscient que tout peut basculer.

La touche féminine apportée par Mariam, archéologue irakienne, qui assure un espoir, une continuité dans la folie et célèbre surtout l'art, sa beauté intemporelle. Peut-être est-ce ce qui vaut encore la peine de lutter.

Assem est un agent de la République que rattrapent ses fantômes : "J'ai mené tant d'opérations durant toutes ces années que je suis devenu un chasseur, tueur de la République qui traque sans cesse des homes nouveaux". Il connait bien le pays de Mariam car y a poursuivi des terroristes mais a surtout foulé le sol de ses ancêtres et éprouve, comme elle, un infini respect pour le passé de l'Irak.

Ce que j'apprécie le plus chez Laurent Gaudé est sa faculté à faire vivre l'Histoire, à donner corps et voix à des êtres oubliés sur lesquels on a aussitôt envie d'en savoir plus, sa perspicacité et capacité à trouver le mot juste, souvent empreint de poésie.

C'est un récit que je vous recommande, même si j'ai eu plus de mal à entrer dans l'histoire que pour les oeuvres précédentes. Avec le recul je pense que cela vient du fait que je connais moins les actes du général Grant ou de Hailé Sélassié, sur lesquels je me suis documentée depuis.

 

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