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L'Etoile jaune et le croissant, Mohammed Aïssaoui, éditions Folio, 2013, 198 pages

Genre : essai

thèmes : seconde guerre, déportation, shoah, Justes, islam, témoins

 

Merci aux éditions Folio et à Livraddict pour ce partenarait qui m'a permis de retrouver un auteur que j'apprécie.

L'auteur en quelques mots ...

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Ecrivain et journaliste né à Alger en 1964, Mohammed Aïssaoui travaille pour le Figaro littéraire . Chaque jour il y donne son avis sur un livre de poche publié récemment. Peut-être avez-vous lu une de ses chroniques ICI. (De belles idées pour agrandir sa Pal ! hihi !). On peut aussi le retrouver sur Direct8 dans l’émission « Tous les goûts sont dans la culture"

Il écrit également des enquêtes sur le monde des lettres (suivi des prix littéraires, dossiers sur l’édition, sur les premiers romans, interviews d’éditeurs et portraits d’écrivains, décryptage de phénomènes éditoriaux).

J'ai apprécié les interview menées avec Mohammed Aïssaoui sur le site Babelio, je vous les recommande ICI.

La plume fine et érudite de l'auteur m'avait déjà séduite lors de la lecture de L'Affaire de l'esclave Furcy à découvrir ICI

L'histoire : 

"Une mémoire, c'est souvent des notes bizarrement rassemblées, dans le sous-sol d'une bibliothèque ou dans une salle d'archives. C'est un dossier qui n'a été consulté que deux ou trois fois en une décennie et qui dort, attendant que quelqu'un se penche sur lui.Il peut disparaitre sans que personne ne le sache".

" Je dis souvent aux survivants :écrivez. je leur répète : écrivez, écrivez. Ou faites écrire votre histoire. Je n'ose ajouter : un jour vous ne serez plus là et qui receuillera vos paroles ?"

Mohammed Assaoui n'est pas un de ces survivants, de ceux qui ont vécu la guerre, les atrocités renouvelées sur une longue période, il n'est pas de ces témoins d'une époque que l'on espère toujours ne jamais revivre. Mais il est un passeur de mémoire, "j'exhume des noms oubliés comme d'autres chassent des trésors (...) je fouille dans les souterrains de l'Histoire."

Et justement, l'essai qu'il nous livre est la quête de la mémoire d'un homme, Kaddour Benghabrit, mort en 1954 et dont on dit qu'il fut l'un des Justes musulmans qui sauva des dizaines de juifs en les accueillant dans la Grande Mosquée de Paris. C'est ce casse-tête qu'il nous livre, de découvertes en contradictions. Car finalement que sait-on de cet homme qui fut pour beaucoup une légende et dont le nom résonne comme celui d'un saint ? Parle-t-on là d'un homme qui fut, comme Mohammed V, actif durant la seconde guerre et mérite d'être reconnu Juste parmi les Justes ?

Sa démarche se veut d'intérêt public afin que , plus largement, on sache et que l'on n'oublie pas que sous l'Occupation allemande, des arabes et des musulmans ont sauvé des juifs. Pourtant "sur les 23.000 "justes parmi les nations", il n'y a pas un seul Arabe et pas un musulman de France ou du Manghreb"

" Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un mémorial et un nom qui ne seront pas effacés" Isaie, 56.5 Ancien Testament.

En vrac et au fil des pages ...

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la grande mosquée de paris

La démarche de Mohammed Aïssaoui se veut journalistique, aussi rapporte-t-il dans le détail les rendez-vous, les appels téléphoniques, les déceptions lorsque les documents ne correspondaient pas à ce qu'il cherchait. C'est ici l'intérêt d'un tel écrit documentaire car, loin de s'en tenir aux faits, l'auteur les souligne de son ressenti. Ses pas le conduisent dans un premier temps vers Yad Vashem "chargé de la mission vitale de perpétuer la mémoire de la Shoah (...) pour assurer  que l'héritage de la Shoah sera transmis aux générations futures et demeurera pour l'éternité dans la conscience de l'humanité". Se dessine alors le portrait de Kaddour Benghabrit, homme juste et bon qui aimait la fête, l'art mais n'a jamais été reconnu comme un Juste par la Cour suprême de l'Etat d'Israel. Pourquoi ? parce qu'il n'existe aucune preuve irréfutable que cet homme ait sauvé autant de juifs, parce que son nom est devenu une légende et que, comme toute légende, son histoire contient une part d'extravagance.

J'ai particulièrement apprécié le réseau de relations et le puzzle qui se met en place au fil des pages, conduisant parfois l'auteur vers des lieux insoupçonnés, à la rencontre de personnalités qui disent avoir connu Kaddour Benghabrit. Ainsi retrouve-t-on Philippe Bouvard, ému à l'évocation de sa mère juive, attentif aux souvenirs qui refluent et aux nouvelles informations que lui apporte le journaliste. Car c'est ainsi que se mettent en place les pièces du puzzle, à travers des discussions, des rencontres.

Il faut dire que la tâche n'est pas aisée, la Mosquée de Paris ne possedant pas d'archives permettant d'éclairer la période. Le doute plane, on sent une appréhension à parler ,à dévoiler un pan de l'Histoire. Sans doute raction logique dans le contexte actuel mais que penser de ce manque d'élément, du fait que quasiment rien n'ait été conservé ?

L'émotion est présente dans le texte de Mohammed Aïssaoui, surtout lorsqu'il évoque les documents retrouvés au hasard de ses recherches sur lesquels il lit le nom d'une personne évoquée plus tôt , un portrait qui commençait à se dessiner mais une personne déportée, une de plus qui n'a pu être sauvée. L'on apprend que Kaddour Benghabrit a usé de ses relations pour faire partir ceux qui sollicitaient son aide. Cependant une part d'ombre subsiste sur cet homme, peut-être celle-là justement qui fait que l'on ne se souvient pas toujours de lui comme un Juste.

"Dans les Archives du ministère des Affaires Etrangères j'ai vu quantités de lettres, des lettres qui n'étaient que des cris (...) il faudrait prendre le temps de lire en profondeur, une à une, ses vies, les reconstituer". La tâche est grande et l'auteur, dans sa recherche d'un homme, se retrouve entouré de fantômes qui l'interpellent. En levant le voile sur des agissements de nazis, de collabos, il met aussi à jour des destins tragiques. L'on sent une réserve et en même temps une volonté de ne pas les abandonner. Il faut alors évoquer des hommes comme George Montandon, auteur du Comment reconnaitre un juif ? , qui se voulait "expert racial" et dont l'avis était suivi.

Le texte de Mohammed Aïssaoui nous pousse à nous interroger mais nous alerte aussi sur le devoir de mémoire : dans quelques années il ne subsistera peut-être plus aucun témoignage de cette période douloureuse que nos enfants apprennent dans les grandes lignes en se demandant parfois pourquoi on leur enseigne une époque à laquelle ils ne sont rattachés par aucun souvenir. l'auteur évoque le travail, nécessaire, des petits enfants et arrière petits enfants, de ces familles qui ont parfois brûlé jusqu'au dernier document pour ne pas à nouveau subir la honte, de celles qui au contraire ont tout conservé, jusqu'au moindre petit bout de papier et grâce à qui on peut remonter le fil d'une histoire. Je suis d'autant plus touchée que je suis enseignante et que je cherche toujours à expliquer à mes élèves pourquoi il est nécessaire qu'on leur présente cette période, qu'ils s'en imprègnent et qu'ils n'oublient pas.

 

"une mémoire morte c'est unhomme, une femme, une victime qu'on a oublié d'écouter"


Une lecture commune avec Achille du blog Passionlecteur. Son avis ICI

 

Merci aux éditions Folio et à Livraddict pour ce partenariat.




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