Eldorado, Laurent Gaudé
Eldorado, laurent Gaudé, éditions J'ai lu, 2012, 220 pages
Genre : roman
Thèmes : émigration, accueil, regard des autres
L'auteur en quelques mots ...
Retrouvez la biographie de l'auteur sur le billet du challenge Laurent Gaudé
L'histoire
" A Catane, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier du Duomo sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi (...) C'était comme si les eaux avaient glissé de nuit dans les ruelles, laissant au petit matin les poissons en offrande. Qu'avaient fait les habitants de Catane pour mériter pareille offrande? Nul ne le savait. Mais il ne fallait pas risquer d'offenser la mer en méprisant ses cadeaux"
Salvatore Piracci arpente cette ruelle sous le regard d'une femme qui ne le quitte pas des yeux. Qui est-elle ? Il n'a jamais pu oublier ses traits, tout comme elle ne l'a pas oublié. Cette nuit où il a secouru un navire clandestin abandonné par l'équipage , découvert des hommes et des femmes épuisés, meurtris provenant de divers horizons, reste gravée en son esprit. Mais aujourd'hui elle ne vient pas le remercier de l'avoir sauvée, elle vient lui demander de lui donner les moyens de tuer le responsable. Cet homme qui deux ans plus tôt a empoché son argent, un peu plus pour le bébé qu'elle emportait avec elle, puis les a livré à des hommes sans courage, à la mer hargneuse, à un affreux destin, à la mort de son enfant.
Ces retrouvailles vont sceller le sort du commandant Salvatore Piracci, usé par son métier tiraillé entre son devoir et sa conscience. Tous ces migrants croient en l'Eldorado italien, mais lui sait que ce nom est aussi celui d'un cimetière dans lequel les premiers migrants ont été enterrés, dignement, par les habitants de Catane alors qu'onne sait aujourd'hui ce que deviennent ceux qui ne survivent pas au voyage. Alors lorsqu'on l'appelle de nuit pour intercepter un nouveau navire, sa décision est prise...
A des kilomètres de là, Jamal et son frère Soleiman s'apprêtent à passer la frontière pour, à leur tour, fuir leur pays. Une longue route, semée d'épreuves attend Soleiman. Une route qui le poussera à commettre l'irréparable.
En vrac et au fil des pages ...
Comme toujours Laurent Gaudé croise les regards, les voix, pour faire entendre un cri. Ici la rage d'être migrant, le courage de parvenir à quitter un pays, des racines, pour aller vers un inconnu qui ne leur réserve rien de bon. Le cri aussi de ce commandant qui , pendant des années, est venu en aide à des clandestins de tous horizons, leur a donné une lueur d'espoir pour ensuite les livrer aux autorités comme l'exige sa fonction.
Alors les sauve-t-il ? Combien restent alors que les autres sont renvoyés dans leur pays, dépouillés, éprouvés ?
On comprend l'accablement de cet homme et sa décision de tout quitter pour rencontrer son véritable destin.
Le regard de Soleiman est différent. Lorsqu'il prend la décision de quitter sa famille, les souvenirs affluent. Finalement, sur le sol Lybien, il sera le seul à suivre le passeur. Et puis la fuite, la peur, échapper aux autorités, rassembler de l'argent, commettre un grave délit qui le rendra autre. Nous suivons ici les tourments de son âme en même temps que sa détermination. On ne quitte pas une vie pour échouer.
On retrouve l'appel des divinités, le fantôme de Massambolo, les croyances de chacun dans le récit d'une tragédie mais aussi d'un choix.
Bien entendu j'apprécie la plume de Laurent Gaudé qui, ici, fait merveille en installant le lecteur dans la t^te de ses personnages et en décrivant une Catane colorée, savoureuse, que l'on aimerait découvrir et qui rappelle Le Soleil des Scorta.
Une lecture commune avec Piplo dont voici l'avis.