Miniaturiste, Jessie Burton
Miniaturiste, Jessie Burton, éditions Gallimard, collection du monde entier, 2015, 488 pages
Genre : roman
Thèmes : Amsterdam, XVII°S, mariage, guildes, femmes, fantastique, secrets de famille
L'auteur en quelques mots ...
Jessie Burton est née à Londres en 1982.
Après des études à l'université d'Oxford, elle devient comédienne pour le théâtre et la télévision. Elle vit aujourd'hui à Londres et travaille à la City.
"Miniaturiste" est un best seller en Angleterre et a obtenu de nombreux prix. Il sera traduit dans de nombreux pays. Son prochain roman devrait se situer dans la guerre civile espagnole et mettre en scène quatre héroine.
L'histoire :
1686.Nella Ootman vient d'épouser un riche marchand d'Amsterdam, Johannes Brandt. Quittant son village d'Assendelft, elle vient le retrouver mais reçoit un accueil mitigé de sa soeur Marin, célibataire, et sa gouvernante Cornelia. Le maitre des lieux est absent mais un autre homme attire son attention,Otto, homme de couleur qui l'intrigue car elle n'en a jamais vu. Se voyant allouer une chambre surchargée qui ne lui correspond pas, Nella attend et appréhende le retour de son époux.Pourtant il n'est ni comme elle l'espérait ni comme elle le redoutait. Johannes se montre curieusement indifférent, uniquement intéressé par son travail de négociant qui l'accapare.
Nella devra donc vivre avec Marin dont l'attitude austère fait craindre le pire à Nella, et Cornelia, jeune femme expansive qui se permet une attitude familière. Néanmoins la nouvelle vie dans laquelle elle s'engage lui réserve bien des surprises et les comportements dévoilent peu à peu un double jeu que les amsterdamois ne pourraient que rejeter. La société régie par les bourgmestres ne laisse en effet que peu d'espace de liberté aux habitants et la ferveur religieuse dans laquelle tout est enveloppé cache bien souvent une hypocrisie que l'argent et la vanité révèlent.
Dans ce contexte, Nella âgée de 18 ans, va recevoir de son époux un curieux cadeau de mariage : une maison de poupée fidèle à la maison dans laquelle elle vit à présent. Tout d'abord déçue par ce présent qu'elle estime enfantin, elle se tourne toutefois vers l'objet qui lui apporte une distraction dans la maisonnée hostile, d'autant qu'elle se rend vite compte que la maison recèle un secret que seul le miniaturiste à qui elle s'adresse pour la garnir pourrait révéler. Mais qui est cette étrange personne qu'elle ne voit jamais ?
En vrac et au fil des pages ...
Aert Van der Neer
Premier roman de Jessie Burton, Miniaturiste est un coup de maitre. Tout d'abord par l'aspect historique qu'il dévoile, une période mais surtout un lieu peu décrit : la société armsterdamoise au XVII°S. J'avais peu de connaissances sur ce point et ai apprécié cette plongée dans une communauté régie par les bourgmestres. Cette période, aussi appelée "âge d'or", a vu Amsterdam devenir une des villes les plus riches du monde, profitant du commerce maritime avec de nombreux pays, dont les Indes orientales. Le roman fait état de colonies, notamment le Suriname, dont sont extraites les matières premières qui enrichissent la ville, ici le sucre. Pourtant cette opulence cache une ville dans laquelle les habitants sont brimés dans l'expression de leurs passions. Aussi chacun a-t-il quelquechose à cacher.
Outre cet aspect, le récit est centré sur le parcours de deux femmes que tout oppose en apparence : Petronella, dite Nella, jeune femme issue d'un milieu paysan qui accepte d'épouser un homme bien plus vieux qu'elle afin de quitter sa famille et Marin, soeur de Johannes à la vie ascétique ( du moins en apparence). La maison dans laquelle va évoluer l'histoire révèle une richesse accumulée grâce à un travail mercantile gratifiant et devrait combler Nella qui ne comprend cependant pas l'attitude de ses habitants. Alors que Johannes semblent dépenser sans compter et apprécier les menus plaisir ( notamment gourmands), Marin restreint les vivres au minimum et tient les cordons de la bourse. on se demande rapidement quels liens unissent le frère et la soeur pour qu'ils soient ainsi en décalage.
On retrouve d'ailleurs ce décalage dans la vie quotidienne à Amsterdam : étaler les richesses semble être une seconde nature alors même que la piété est prônée par l'Eglise qui façonne la ville.Le pouvoir exécutif est accordé aux bourgmestres qui régissent la ville selon des lois draconniennes, interdisant par exemple les représentation humaines sous forme de biscuits ( pas de petit bonhomme de pain d'épices ! ) ou certaines fêtes et cérémonies.
Le lecteur oscille donc entre les réactions de Nella et ce qu'il suppose de la vie des personnages. De multiples indices sont placés sur notre route mais nous ne les voyons pas toujours et sommes, comme l'héroine, aveuglés par nos connaissances, nos croyances, les apparences.
C'est un des thèmes du roman : les apparences trompeuses, l'autre étant l'émancipation de la femme. Nella , au caractère fort, se révèle à elle-même par son parti pris et ses actions dans la situation délicate dans laquelle les personnages vont se trouver. En effet, Johannes doit vendre le sucre importé du Suriname par Frans Meermans, autrefois ami mais qui semble conserver une distance qui intrigue. Nella comprend vite que plusieurs personnes sont liées, au-delà de cette affaire de sucre et collecte les indices afin de reconstituer le passé de ses hôtes.
Outre ces deux thèmes, l'homosexualité dont il est question asseoit le pouvoir de l'Eglise par les tortures infligées et la peur que les prêtres insinuent en chacun. Comportement considéré comme déviant, il sert d'exemple aux fautifs qui s'éloigneraient de la parole dispensée.
J'ai apprécié le caractère de l'héroine qui mûri au fil des pages, encaisse, décèle, dévoile et finalement comprend. Pressée d'endosser son rôle d'épouse, elle se remémore sans cesse les conseils de sa mère mais découvre une autre réalité, plus complexe, dans laquelle tout n'est pas blanc ou noir.
La zone obscure apportée par la maison de poupée reste le clou du roman. en effet, alors que le fond historique travaillé nous fait entrer de plein pied dans la société amsterdamoise, le suspens s'épaissit lorsque Nella entreprend de meubler le petit logement. Les objets envoyés par le miniaturiste à qui elle s'adresse sont étrangement ressemblant à ceux qui meublent la maison de Johannes.or, Nella n'a donné aucune description. Lorsqu'arrivent les personnages, le coup est porté, Nella ne peut que chercher à rencontrer l'artiste afin de comprendre le mystère qui l'entoure.
Finalement plusieurs intriguent se nouent : les relations ambigues entre les personnages, les non-dits, les passions réfreinées, les étranges petits objets, la tension permanente apportée par la nécessité de vendre le sucre rapidement. Tout converge pourtant à la fin. Une fin que l'on n'attendait pas.
Le petit plus est apporté par la plume riche et les descriptions qui nous font entrer, comme dans un tableau d'époque, dans une ville opulente. J'ai lu que ce roman pouvait faire penser à la Jeune fille à la perle. Pourquoi pas mais je pense qu'il n'est pas bon de comparer car l'originalité du roman réside dans le mélange des genres, réaliste, historique et fantastique, parfaitement exploité. Le lecteur est mis en haleine dès le premier chapitre qui semble partir de la fin de l'histoire pour ensuite remonter le temps.
Le message du roman pourrait reprendre le billet du miniaturiste : une femme peut devenir maitre de son propre destin et place résolument ses personnages dans les mains d'autorités religieuses pour mieux souligner l'asservissement ou au contraire l'émancipation de certains.