Les Loups à leur porte, Jérémy Fel
Les Loups à leur porte, Jérémy Fel, éditions Rivages, 2015, 434 pages
Genre : roman noir
Thèmes : meurtre, famille, enfance, Mal, Etats-Unis, vengeance , menace...
L'auteur en quelques mots ...
Peu d'informations encore sur ce Monsieur, mais sachez qu'il fut un temps scenariste de courts métrages, libraire, avant de s'adonner à l'écriture. Les Loups à leur porte est son premier roman, bientôt suivi d'un second dans la même veine. Jeremy Fel avoue son penchant pour le cinéma mais reconnait avoir trouvé dans l'écriture un moyen de faire parler les images qu'il a en tête. Amateur de littérature américaine, il inscrit dans ce premier roman toute l'influence qu'elle a exercée sur lui.
L'histoire
1979.Loretta ne parvient pas à dormir. Ces cauchemars qui l'assaillent et prennent toujours pour décor sa maison du Kansas ne lui laissent aucun répit, comme un mauvais présage. Alors qu'elle attend son fils Daryl, sorti précipitamment la veille suite à une énième altercation avec son père, elle se promet de se montrer plus proche de cet adolescent taciturne. C'est pourtant elle qui a choisi cette voie, mais à quel prix et pour quelle vie aujourd'hui ? La réalité rattrape parfois nos pire cauchemars , preuve en est le meurtre sauvage d'Anna Warren, bibliothécaire dans le lycée de Daryl, qui a surpris toute la ville. Alors qu'une ombre furtive traverse sa cour, Loretta pense à ce qu'elle fera demain. L'odeur prégnante de la fumée s'immisçant sous la porte lui laissera à peine le temps de regagner sa chambre, "Mais ce n'était pas au piège qui se refermait sur elle qu'elle pensait à cet instant (...) Ce qu'elle ne pouvait s'enlever de la t^te c'était ce qu'elle venait de voir par la fenêtre de sa chambre et qui en une fraction de seconde l'avait poignardée en plein coeur."
Quelques années plus tard, Duane Parsons poursuit son périple sur la route 70, accompagné d'un jeune garçon , Josh, enlevé à sa mère quelques heures plus tôt ...
Louise Doucet attend devant un môtel que son mari ressorte après un moment passé avec sa maitresse...
Walter attend patiemment son heure en déjeunant chez Martha et Paul Lamb qui ignorent qu'ils ont fait entre chez eux l'incarnation du Mal ...
Martin reprend ses esprits en observant sa femme Charlotte, inerte sur le sol et décide de se débarrasser du corps ...
En vrac et au fil des pages ...
De nombreuses critiques ont parlé d'un recueil de nouvelles pour ce roman qui lie les destins, entremêle les drames et envoie le lecteur sur de multiples pistes. Je ne suis pas d'accord, sans doute habituée à lire des romans à voix multiples dans lesquels les récits s'entrecroisent.
C'est un tout, violent, tragique, qui nous place face à notre part obscure. Ici la fiction s'inspire de la réalité et va plus loin, en un système d'échos , un miroir tendu aux personnages qui se découvrent doubles. Leur passé les rattrappe souvent, une enfance meurtrie, violentée, une peur enfouie qui ressort et explose. Je dirais que le personnage principal n'en est pas un, c'est une abstraction : Le Mal, qui peut prendre plusieurs formes, plusieurs visages.
Ce sont en tout douze protagonistes qui évoluent sous nos yeux, nous happent, nous surprennent ou nous mettent mal à l'aise mais ne nous laissent pas indifférent. C'est sans doute aussi là que réside la force du premier roman de Jérémy Fel : on ne l'oublie pas, certaines scènes restent.
Les peurs d'enfance constituent le fond, la trame ( le croquemitaine, la forêt ...) et l'auteur joue avec le lecteur en distillant quelques souvenirs (une porte, une ombre, une forme sous un lit, une fenêtre ...). L'ensemble est très visuel et probablement inspiré des techniques cinématographiques qui savent si bien jouer avec nos nerfs. Pour autant, pas d'excès dans les violences décrites et certains passages m'ont inmanquablement fait penser à un fait divers.
L'intérêt du roman est dans les références multiples qu'il propose, les lectures auxquelles il fait écho , qui vont de la mythologie (notamment le mythe de la dévoration que l'on retrouve dans de multiples cultures) à une ambiance américaine qui correspond bien à l'univers que Jérémy Fel a voulu créer. J'ai pensé à un roman de D Ray Pollock au tout début du récit, Le Diable tout le temps, pour la route, l'atmosphère tendue, la violence latente, à Stephen King pour les peurs ancestrales, mais la patte de l'auteur réside à mon sens dans une écriture scenique, visuelle, qui emporte le lecteur, au-delà d'un style pourtant simple. Un récit aux allures de conte , par moments,qui explore les références de tout lecteur, ces mêmes monstres qui ont fait merveille dans les lectures du soir et prennent vie ici, comme un voisin que l'on connaitrait mal.
On a reproché à Jérémy Fel une écriture peu travaillée justement, mais, pour avoir discuté avec lui, je pense qu'il a misé sur l'intrigue, la complexité de l'histoire, les projections évidentes que le lecteur fera en tournant la dernière page (aaaahhhh, la dernière scène ! ). L'idée était ici d'emporter le lecteur dans son univers et, en ce sens, le pari est réussi. Puis bon c'est un premier roman et je trouve le pari audacieux et le défi relevé avec brio.
Celle qui vous dit cela lit peu de thriller ! C'est donc un compliment.
Au fil des pages les liens se nouent, une silhouette aperçue dans les premiers chapitres, refait surface et l'on comprend combien le Mal s'est étendu, même si une lumière brille , même si la redemption est proche. There is a light that never goes out ... comme dit la chanson.