Ma vie, je la danse ...
Cette semaine c'est Sabariscon qui nous confie une photo prise sur l'Ile Maurice, pour l'atelier d'écriture de Leiloona. J'y réponds avec plaisir car elle me rappelle bien des choses, des rencontres faites sur l'ile de la Réunion où nous vivions voilà encore quelques mois.
Je te regarde, petite mère.
Je sais où tu te rends, ce matin, de ton pas fragile. Je connais la divinité que tu invoques, à laquelle tu te remets et que tu vénères, celle qui te fait avancer d’un pas serein.
Je te regarde, petite mère.
Voûtée mais déterminée, sous ton parapluie qui te tient lieu d’ombrelle et que tu ne cèderais pour rien au monde. Ces vœux dans ta main, serrés, sont un appel ultime, une prière pour ta fille.
Je te regarde, petite mère.
Mais toi, tu ne me vois pas. Concentrée sur ta route, tu n’as de pensée que pour celle qui t’exaucera, donnera à ton enfant une conscience juste de sa place. Sa place de femme. C’est pourtant toi, petite mère, qui m’a inculqué ce que je suis, cette volonté d’avancer sans baisser le regard, cet espoir dont tu portes haut les couleurs. Toujours, auprès de toi, j’ai baigné dans une mouvance chatoyante. Tu m’as laissé croire que la femme évoluait ainsi, de sari en sari, et tes yeux de velours m’ont protégée de ce que je ne devais pas voir. Pas encore.
Je te regarde, petite mère.
Une dernière fois, avant de partir, je veux embrasser tes paupières, t’admirer dans ton sari bleu. Tu évoques pour moi Lalleshvari, sainte poétesse, pleine de dévotion. Lalla, ma petite mère, tu as su garder ta dignité au sein d’une société patriarcale que tu as acceptée. Pour moi tu as franchi bien des obstacles, portée par un incommensurable amour. Tu as fait de moi ce que je suis. N’en aies pas honte, petite mère, car l’amour qui vibre en moi est infini.
Regarde-moi, petite mère.
Je ne serai pas de celles qui acceptent. Je ne renonce pas mais je ne peux mener à bien mon émancipation à tes côtés. Je pars pour me trouver. Je m’éloigne pour mieux te retrouver. Tu sais cela, petite mère, je le lis au fond de tes yeux. Et si les quelques rides qui impriment ton front d’une sourde inquiétude me disent combien tu as peur pour moi, sache que je ne crains le courroux d’aucun père, d’aucun homme, d’aucune belle-mère en ce monde.
Retourne-toi, petite mère.
Bientôt nos sourires se répondront. J'ai fait un choix dont tu n'as pas à porter le poids. Ma vie, je la danse, en souvenir des Dipavali où nous nous étreignions dans la douce clarté d'une fête de lumlère.
Attends-moi, petite mère.