Une âme de papier
Pour ce nouvel atelier d'écriture, Leiloona laisse la parole à Claude Huré, avec une photo sublime dont les contrastes m'ont inspirée.
Allongée sur la pelouse du parc, je laisse le doux soleil du printemps caresser mon visage. Comme toujours à cette période de l’année, j’ai l’impression de renaitre, de revenir à la vie, à l’image de tout ce qui m’entoure. Une luminosité apaisante traverse mes paupières closes, ombres orangées mêlées d’encre mauve. Les rires des enfants me parviennent dans un confort ouaté et, le temps d’un soupir, je les laisse me traverser et m’emplir d’une joie sans pareille. Une brise légère les accompagne, emportant leurs jeux jusqu’à la cime des arbres d’où leur répondent des chants plus aigus. Je n’ai plus de corps, je ne suis que l’essence de moi- même, éthérée. Il suffirait que j’arrête de respirer pour m’enfoncer dans l’herbe grasse et douce. Plus rien n’existe que l’assurance d’être exactement où je dois être.
L’idée me vient alors que si j’entrouvre les yeux un court instant, la réponse à mes doutes sera là, comme une confirmation que tout va bien.
La lumière d’abord, aveuglante, comme un rappel à la réalité. La clarté qui inonde les arbres les rend irréels et pourtant si présents. Leurs feuilles dansent sous mes yeux et se détachent en un collage improbable. Elles semblent de papier et, aussitôt, le paysage qui m’entoure prend des allures de dessin. Dans un parfait ensemble les branches du marronnier s’abaissent et révèlent une forme, recroquevillée, immobile, en une attitude de recueillement. La silhouette s’affine à mesure que je reprends conscience. Concentré, l’homme suit la ligne de l’article du doigt, comme le ferait un enfant, de peur de perdre le fil de l’histoire. Rien ne vient perturber sa lecture, ni les cris, ni ce petit vent qui depuis quelques minutes fait se soulever les pages de son journal. Je me prends à imaginer ces feuillets tombés de l’arbre, lus un à un, patiemment, décryptés, puis rendus à la brise légère. C’est qu’ils ne font qu’un, l’arbre centenaire et son disciple, réunis le temps d’une lecture. Que lui dit-il qu’il ne sache déjà ? Il faut pourtant que ce soit passionnant pour que le vieil homme soit tout entier tourné vers le sens, happé par la révélation, comme en méditation.
Si c’est ainsi que naît l’inspiration, il sera, pour une après-midi au moins, un être de papier.
La curiosité me brûle les yeux. La tentation de m’approcher est grande, mais la peur de le voir disparaitre bien plus forte.
Une douce langueur m’envahit et je savoure ma connexion à l’instant. Qu’importe qu’il soit là lorsque je rouvrirai les yeux, sa présence et son histoire me bercent et m’inspirent.