Gil, Célia Houdart
Gil, Célia Houdart, éditions Folio, 2015, 207 pages
Genre : récit contemporain
Thèmes : musique, chant, découverte de soi, carrière, contemplation
L'auteur en quelques mots ...
Après des études de lettres et de philosophie (Ecole Normale Supérieure-Ulm), des assistanats à la mise en scène (Oskar Gomez-Mata, Arthur Nauzyciel) Célia Houdart se consacre à l’écriture.
Elle est l’auteur de quatre romans : Gil, P.O.L, 2015, Carrare, P.O.L, 2011, Le Patron, P.O.L, 2009, Les merveilles du monde, P.O.L, 2007 et d’un essai : Georges Aperghis. Avis de tempête, édit. Intervalles, 2007
Son oeuvre comprend des textes pour le théâtreUn livret d’opéra Fréquences (m.e.s. Fabrice Huggler, ABC de la Chaux-de-Fonds, Suisse). Ainsi que des poèmes en prose pour la danse . Elle participe à des installations et parcours sonores.
Depuis 2015, elle est responsable du Studio Écritures de l'ENSCI-Les Ateliers (Ecole Nationale Supérieure de création industrielle).
Célia Houdart a été lauréate de la Villa Médicis hors-les-murs, de la Fondation Beaumarchais-art lyrique, du Prix Henri de Régnier de l’Académie Française pour son premier roman, de la bourse Orange-SACD projets innovants (2010) pour Fréquences application pour iPhone (édit. P.O.L), du prix Françoise Sagan 2012 pour Carrare et du prix de la Ville de Deauville Livres & Musiques 2015 pour Gil.
(source Lorenzo Ciavarini Azzi Journaliste, responsable de la rubrique Classique de Culturebox)
Merci à Livraddict et aux éditions Folio pour ce partenariat
L'histoire
" La route depuis la gare dessinait un long trait net à travers la forêt. Du vent agitait doucement la cime des arbres et courbait les ronces. Soleil haut, nuages épars."
" Gil se leva. Léger craquement de l'assise en paille de sa chaise.
Le professeur conduisit son élève dans la salle de musique qui sentait l'encaustique et la poudre de riz."
Gil est un jeune pianiste, promis à un brillant avenir, élève de Marguerite Meyer. Bénéficiant d'un pavillon, prêté par un couple de retraité en échange de quelques menus travaux de jardinage, il s'exerce sans relâche, avec application. Son père Jorge l"élève dans une ancienne épicerie, depuis que sa mère Lucile a été internée.
Dès lors Gil rythme ses semaines entre des visites à sa mère, un entrainement régulier et des sorties avec son ami Olivier. Son rêve : entrer au conservatoire de Paris où enseigne Vlado Blasko.
Depuis toujours, Gil se montre discret, à l'image de sa voix , juste un filet, que son père lui reproche souvent.
Pourtant, à l'occasion d'un périple en voiture avec son ami, Gil se surprend à chantonner et se découvre une voix qu'il ne soupçonnait pas. Lui si réservé, qui parle toujours si bas, prend alors conscience de ce qu'il a réellement envie de faire : devenir chanteur lyrique. "Ce qu'il sentait, provenant de sa gorge, de sa poitrine, de tout son corps, fusait avec une force inaccoutumée dans le silence du ciel. C'était comme un pouvoir qu'il découvrait soudain"
En vrac et au fil des pages ...
On retrouve dans ce court récit tout la puissance évocatrice de la musique , liée à une forme de contemplation de l'environnement. Par le regard de Gil, les sensations appréhendent l'espace et l'auteur nous donne à voir son univers fait de poésie, de beauté, d'éveil des sens.
Rien ne le prédisposait à troquer le piano contre le chant. On insiste d'ailleurs sur sa voix presque inaudible et l'on ne peut s'empâcher de faire le lien entre cet aspect de sa personnalité et l'histoire de sa famille, l'internement de sa mère. Elle-même évolue dans un univers qui lui est propre mais proche de celui de son fils, animé par la contemplation de la nature. j'ai été touchée par ce personnage qui ne sort de sa torpeur que pour son fils, des moments de grâce où elle fusionne avec lui. Autour d'elle des non-dits, le lecteur ne saura pas exactement ce qu'il est advenu de cette femme et le silence s'installe entre Gil et son père à son sujet.
Dans cet apprentissage de soi et du chant, Gil découvre l'exigeance avec Samuel Isherwood et les contraintes liées à une forme de travail du corps qu'il ne soupçonnait pas jusqu'alors. "Gil posa le dos de ses mains sur ses machoires. Sous sa courte barbe brune il sentait une tension. Mais dans tout le reste de son corps il éprouvait plutot l'inverse, une sorte de dissolution.D'étranges pressions déplaçaient des masses et des liquides. C'était comme une réorganisation de ses organes(...) Les notes sur la partition avaient pris la forme de petits poignards et de herse griffantes"
L'écriture de Célia Houdart reprend un peu le principe d'une installamtion, donnant à voir quelques instants clés, appportant une mélodie ici ou là , avec pour fil conducteur la découverte de soi. Les mots sont posés de façon juste et , même si l'on n'est pas musicien, on ressent ce qu'elle veut nous transmettre, on vibre avec Gil, on le suit de Glasgow à Orange. Pourtant certains passages soulignent un vocabulaire technique: "Samuel Isherwood proposa à Gil de déchiffrer pas à pas Deucalione. Il insista sur les récitatifs, le placement de la voix parlée. La prononciation des doubles consonnes en italien. Comment exécuter une appoggiature, longue ou brève, un vrai trille".
J'ai apprécié le cheminement de Gil qui, après des années de perfectionnement d'un instrument, fait de sa propre voix son instrument. Le lien entre le corps et la musique est très fort et l'on ressent bien la façon dont il est à la fois un outil et un vecteur d'émotions.
Ici les noms sont fictifs mais inspirés de grandes figures du chant lyrique, du piano, Il me semble avoir lu que Célia Houdart souhaitait rester dans la fiction jusqu'au bout sans faire explicitement référence à des personnes existantes. De même les morceaux sont purement inventés, pourtant on croirait les entendre tant ils sont vécus avec ferveur. c'est ce que j'ai trouvé remarquable car s'appuyer sur des partitions existantes, effectuer des choix qui collent au récit, est déjà assez fort, mais les créer de toute pièce, donnant ainsi l'illusion au lecteur qu'il pourra trouver ces morceaux, est une jolie surprise. C'est une création et, en tout cas, un bel hommage que Célia Houdart rend aux compositeurs, professeurs et artistes dans ce récit envoûtant.
Merci à Livraddict et aux éditions Folio pour ce partenariat