Le Nom de la Rose, Umberto Eco
Le Nom de la Rose, Umberto Eco, éditions Le Livre de poche, 2011, 535 pages
Genre : policier historique
Thèmes : Moyen-âge, abbaye, inquisition, enquête, bibliothèque
L'auteur en quelques mots ...
L'histoire:
"En l'an de grâce et de disgrâce 1327, rien ne va plus dans la chrétienté".
" Arrivé au terme de ma vie de pêcheur, tandis que chenu, vieilli comme le monde, dans l'attente de me perdre en l'abîme sans fond de la divinité silencieuse et déserte (...) désormais retenu par mon corps lourd et malade dans cette cellule de mon cher monastère de Melk, je m'apprête à laisser sur ce vélin témoignage des événements admirables et terribles auxquels dans ma jeunesse il me fut donné d'assister... Puisse ma main ne point trembler au moment où je m'apprête à dire tout ce qui ensuite arriva"
Entre l'autorité du pape Jean XXII et celle de l'Empereur Louis IV du Saint-Empire ,les tiraillements , complots de toutes sortes se font jour. L'enjeu est grand car le fondement théologique invoqué ( quid de la pauvreté du Christ ?) n'est qu'une façade cachant une dimension politique bien plus importante.
Dans ce contexte, Guillaume de Baskerville est envoyé avec son fidèle compagnon bénédictin Adso, dans une abbaye, afin de faire la lumière sur une mort qui éveille bien des soupçons. A peine arrivé Guillaume met ses compagnons à l'épreuve de son jugement affûté en montrant ses qualités d'observation et de déduction. C'est pour cela qu'Abbon l'a fait mander. Pourtant rapidement, une contrainte de taille freine l'enquête que s'apprête à mener Guillaume : l'accès à la bibliothèque lui est interdit.
"la bibliothèque se défend toute seule, insondable comme la vérité qu'elle héberge, trompeuse comme le mensonge qu'elle enserre. Labyrnthe spirituel, c'est aussi un labyrinthe terrestre. Vous pourriez y entrer et vous ne pourriez plus sortir"
Il faut pourtant rétablir la sécurité avant que les émissaires du Pape n'arrivent.Blasphème, torture, hérésie, l'abbaye est secouée alors que s'engage un procès en son sein et que Guillaume disserte sur les fondements de la liberté devant un auditoire médusé.
En vrac et au fil des pages ...
La Porte de l'enfer, Rodin
J'avais déjà lu Le Nom de la Rose, adolescente, alors en fac de Lettres. J'avais adoré la plume d'Umberto Eco et avais poursuivi avec le Pendule de Foucault ( que je devrais chroniquer sur le blog , tiens !).
J'ai voulu organiser une lecture commune de ce livre car il est toujours plus intéressant d'échanger au sujet d'un livre, surtout de ce type là ! Je suis ravie que les copinuates aient apprécié leur lecture et y aient vu autant de références : Luis, Nicolas, Docteur Manhattan, c'era una volta ...
J'ai donc retrouvé avec plaisir l'érudition, la fougue de l'auteur que l'on sent passionné par la période autant que ses symboles. Les descriptions sont fines et donnent véritablement à voir une abbaye telle que l'on aimerait en visiter. La description du portail m'a encore une fois, laissé une forte impression. Cela m'a rappelé la Porte de l'enfer de Rodin, que je prends plaisir à étudier avec mes élèves régulièrement. Je mettrai désormais en parallèle ce passage du Nom de la Rose avec cette porte admirable.
Umberto Eco exploite les symboles du Moyen âge et les fêtes rituelles, comme cette tradition où l'on inversait les rôles, la Fête des fous. Guillaume semble évoquer cela dans son interprétation du rêve d'Adso. Lors de cette fête on faisait ripaille, on chantait, les prêtres se livraient à des actes obscènes, le monde inversé.
Il semble que l'auteur place tous ces éléments sous le signe de ce que l'on voit, ce qui est caché, ce qui apparait dans une sorte de brume, ce qui est révélé ...
C'est aussi ce que l'on découvre dans l'abbaye, d'abord interdite pour certans lieux, comme la fameuse bibliothèque, mais que Guillaume parcourra quoiqu'il en coûte. Les non-dits, les découvertes toutes plus surprenantes les unes que les autres , font de ce roman une enquête à la Sherlock Holmes. Pourtant c'est pour moi, avant tout, un récit historique et j'aime le lire comme cela.
En effet, il me semble que nombre de lecteurs sont déçus en découvrant que le récit ne se donne pas, qu'il faut forcer la porte de l'écriture, accepter de revenir sur la lecture d'un passage pour comprendre. C'est que l'auteur est avant tout un historien, et cela se ressent fortement ici.
Ne lisez donc pas ce livre comme un récit policier, vous seriez déçu dès les premières pages !
Sept jours dans l'abbaye, rythmés par les prières, les chants, les heures détaillées en tête de chapitre nous conviant à respecter les temps forts des journées des moines, prêtres. L'on comprend dès lors que rien ne sera laissé au hasard dans ce récit, les éléments se font écho, rappellent au lecteur attentif qu'un indice lui a été donné auparavant.
Lire la préface éclaire beaucoup et donne une orientation nouvelle à la lecture. Quoiqu'il en soit, il faut prendre son temps et imaginer ce qui nous est livré. Car l'époque est sombre, on le sait et rien ne nous est épargné de l'inquisition. Cependant, la dimension philosophique, psychologique parfois, prend le dessus.
L'humour n'est jamais loin avec Guillaume de Baskerville, ce qui donne des passages truculents comme celui-ci:
[...] - Et toi ne t'extasie pas trop sur ces châsses. Des fragments de la croix, j'en ai vu quantités d'autres, dans d'autres églises. S'ils étaient tous authentiques, Notre Seigneur n'eût pas été supplicié sur deux planches croisées, mais sur une forêt entière.
- Maître ! dis-je scandalisé.
- Il en va ainsi Adso. Et il y a encore des trésors plus riches. Jadis, dans une cathédrale allemande, j'ai vu le crâne de Jean-Baptiste à l'âge de douze ans.
- Vraiment ? » m'exclamais-je tout admiratif. Puis, un doute me saisi : « Mais Jean-Baptiste fut tué à un âge plus avancé !
- L'autre crâne doit se trouver dans un autre trésor », dit Guillaume le plus sérieusement du monde. [...]"
Guillaume est un érudit ( à l'image de l'auteur ?), aussi divers sujets sont-ils abordés et on lira avec plaisir des passages concernant les avancées scientifiques ( parfois surprenante car l'on a tendance à penser que le Moyen âge ne s'investissait pas dans ces recherches).
Lisez-le !