Tout ce qu'on ne s'est jamais dit, Celeste Ng
Tout ce qu'on ne s'est jamais dit, Celeste Ng, éditions Sonatine, 2016, 300 pages
Genre : drame, récit psychologique
Thèmes : décès, famille, secret, deuil, acceptation, racisme, éducation, amour, émancipation
L'auteur en quelques mots ...
Celeste Ng a grandi à Pittsburg, en Pensylvannie, dans une famille de scientifiques. Elle vit aujourd'hui dans le Massachussets et vient de publier son premier roman. Elle est aussi l'auteur de courtes nouvelles: ICI
L'histoire
"3 Mai 1977, six heures trente du matin, personne ne sait rien hormis ce détail inoffensif : Lydia est en retard pour le petit déjeuner"
Sa mère,Marilyn, poursuit le rituel initié depuis que sa fille a montré un intérêt pour la Physique, disposant à côté de son bol quelques exercices. Son père,James, part travailler , comme tous les matins. Son frère, Nathan, se souvient ne pas lui avoir dit bonne nuit la veille et sa soeur Hannah se demande si on peut être kidnappé à 16 ans.
Lydia est morte. A l'heure où chacun se demande ce qu'il a fait la veille, ce qu'il lui a dit, où elle est partie, elle git au fond du lac.
Lorsque la police intervient chez eux, le passé ressurgit : "Votre femme a également disparu par le passé ? Je me souviens de cette affaire. En 1966, n'est-ce pas ? (...)
- C'était un malentendu".
Un malentendu. C'est sans doute ce que s'apprête à découvrir cette famille, en apparence parfaite. Peu à peu le vernis craque , Lydia n'était peut-être pas celle que l'on croyait et chacun affronte sa vérité, ses démons ...
En vrac et au fil des pages ...
Voici un premier roman qui explore les tréfonds de l'âme. Une famille en apparence parfaite, l'ambition des enfants, mais rapidement des préférences, des non-dits, une fuite et le passé qui ressurgit.
Difficile de raconter l'histoire sans trop en dévoiler. C'est un thriller psychologique et ce qui importe n'est pas que Lydia soit morte, mais pourquoi.
Chacun cache un côté obscur, une faille, à commencer par les parents dont l'enfance, l'adolescence a été marquée d'une façon ou d'une autre. James est professeur d'Histoire américaine et parle à longueur de journée des cowboys à ses étudiants, symbole de l'Amérique s'il en est. Pourtant, fils d'émigrés asiatique, il a dû affronter les moqueries à une période où le racisme était clairement affiché et où sa famille, soumise, acceptait tout cela pour que le fils prodigue puisse accéder à une éducation, des études qui feraient de lui un américain. Nous sommes alors dans les années 60 et Marilyn veut devenir médecin. Elle en a les capacités, l'intelligence et ce milieu masculin ne la rebute pas. Pourtant l'éducation des filles est toute autre et s'astreint à en faire de bonnes épouses, ce que sa mère prône, elle qui lit avec application Les Recettes de Betty Crocker.
Trois enfants plus tard, les préjugés raciaux sont toujours bien ancrés et Lydia, Nath, Hannah en font les frais.
Mais ce qui se trame au sein de la famille est plus suspect encore. Projetant sur leurs enfants leurs propres rêves, James et Marilyn ont laissé des séquelles sur leur devenir. Une famille proche dans laquelle tout le monde ne voit que ce qu'il veut voir, dans laquelle les enfants sont plus matures que les parents, aveuglés par leur désir de réussite. Des adolescents en devenir, blessés par leurs émotions, ne sachant comment dire les choses, comment se faire comprendre.
A des années de distance, Lydia et Marilyn cherchent à se plaire, à devancer les désirs de l'autre, toutes deux en quête d'émancipation. L'image de la mère est au coeur du récit.
Le poids culturel est lourd et génère des failles. L'on découvre alors que Nath en sait bien plus sur sa soeur que sa propre mère. L'union du frère et de la soeur en fait un duo qui charme le lecteur et donne foi en la fratrie.
L'alternance des chapitres permet de reconstituer l'histoire de la famille, de réinvoquer le passé des parents, les blessures et les désirs avortés.
Ce roman fait réfléchir, au delà du drame, sur ce que l'on attend de ses enfants, sur les préférences qui se font jour parfois, sans qu'on y prennen garde, à l'occasion d'un comparaison de l'un, plus intelligent que l'autre. Autant de gestes et de mots anodins qui peuvent entrainer des blessures.
Mais l'écriture est plus poétique que cela, plus amples et l'on ne tombe jamais dans le pathos. Je dirais qu'il y a une certaine pudeur dans l'écriture qui traite de divers sujets : l'émigration, le racisme, l'amancipation, l'amour.
C'est un roman à découvrir.