Jane Austen à Scargrave Manor ,Stephanie Barron
Jane Austen à Scargrave Manor, Stephanie Barron, éditions du Masque, 1998, 445 pages
Traduit par Corinne Bourbeillon
Genre : récit policier so british
Thèmes : mariage, adultère, meurtre, enquête, aristocratie, héritage
L'auteur en quelques mots ..
Retrouvez la biographie de Stephanie Barron sur les billets suivants :
L'histoire :
" Lorsqu'une jeune dame du monde désargentée a le bon sens de répondre favorablement à l'affection qu'elle inspire à un aristocrate d'âge avancé, veuf et pourvu en outre d'une belle situation financière, l'on observe en général que l'union est fort intelligemment assortie pour les deux parties"
Cependant lorsque, lors d'un bal en l'honneur des époux, Lord Fredérik Scargrave trouve la mort alors qu'il lève son verre à sa belle et jeune femme, Isobel, les soupçons l'emportent et les petits secrets de chacun refont surface.
Invitée au bal en tant qu'amie, bien que désargentée, d'Isobel, Jane Austen perçoit immédiatement les tensions qui sous-tendent les relations aristocratiques. Lord Harold Trowbridge suscite aussitôt l'antipathie avec ses manières abruptes et les jeunes lords, Fitzroy Payne et Tom Hearst, aux visages d'anges, semblent cacher un double jeu qui n'échappe pas à la sagacité de Jane.
Ajoutez au manoir, Madame et sa fille Fanny, une servante morte par strangulation pour s'être un peu trop approchée de la noble flamme et un vieux lord décédé dont on soupçonne une attitude inconvenante, et la recette est une bombe à retardement.
Se pourrait-il que le danger qui menace Isobel soit d'ordre politique et dépasse le cadre de la famille, mêlant en un complot savamment ourdi, les intérêts de Napoléon et ceux d'un certain Lord ?
C'est ce que s'apprête à découvrir Jane Austen, alors qu'elle pensait échapper à la pression de sa famille suite à son refus d'épouser, à 27 ans, Harris Bigg-Wither ,qui lui aurait pourtant apporté une situation plus confortable.
En vrac et au fil des pages ...
Stephanie Barron a l'art de poser les situations et nous induit encore en erreur en dévoilant certains courriers de Jane Austen, un manuscrit dans lequel elle aurait fait montre de talents d'enquêtrice. Bien entendu ces pépites n'existent pas, mais le prologue a le mérite de placer le lecteur en condition : c'est bien Jane Austen qui va nous raconter son histoire dans les pages suivantes.
Jouons donc le jeu et découvrons en alternance des chapitres tirés de son pseudi journal et d'autres de la plume du narrateur, relatant les faits survenus entre décembre 1802 et mars 1803.
Ce n'est pas seulement une enquête qui nous est livrée mais une reflexion sur la vie de Jane Austen, son célibat affirmé à l'âge de 27 ans et sa volonté farouche d'indépendance. "L'idée d'un éternel tête à tête au coin du feu avec Mr Bigg-Wither, la pensée de voir à jamais trôner sur la table lathéière de Mr Bigg-Wither et l'éventualité d'une progéniture de petits Bigg-Wither, tous aussi ennuyeux que leur père, me causèrent nombre de cauchemars et suffirent à me refroidir dès le petit matin (...) l'alliance eut été brève de toute manière: je serais certainement morte d'insomine avant la fin de la semaine" !
On revient rapidement sur son enfance et l'éducation, proche de celle de ses frères, qu'elle a reçue ( si ce n'est l'absence de cours de Grec et Latin qu'elle a toujours regrettés). Cela forge une personnalité hors norme pour l'époque, où les femmes étaient cantonnées à leurs travaux de couture ou peinture et ne devaient en aucun cas se mêler des affaires des hommes.
On s'amusera de découvrir Jane brodant, pas pour longtemps cependant ! Son esprit vif fera l'admiration de ses hôtes en même temps qu'il en inquiétera d'autres. Elle est pourtant largement courtisée dans ce premier tome, ne donnant pas suite mais flattée que l'on s'intéresse à elle qui se pense sans attrait. "J'ignore ce qu'il en est d'être à la fois belle et riche; je ne dois mes conquêtes qu'à la vivacité de mon esprit, et à mon caractère enjoué, lesquels m'ont permis de vaincre bien des préventions à mon endroit. Mais quelle femme se satisferait de bonne grâce de ce genre de victoires, s'il lui faut comme moi rester célibataire, tandis que d'autres jouissent du privilège de la beauté et de la fortune ?". Il est aussi troublant de la découvrir blessée au souvenir d'un amour passé alors que nombre de remarques de la part des autres personnages, laissent penser qu'ils la pensent incapable d'avoir ressenti cela un jour.
La dimension politique, bien que n'étant pas fouillée, est intéresante et il y est question des colonies (Antilles) françaises et anglaises, des joutes que se livrent les deux pays. A ce sujet les répliques de Jane ne manquent pas de piquant :"Madame se met inévitablement à parler chiffons, s'apesantissant sur les dernières modes en matière de deuil en France- nation qui, me sen-je alors obligée de souligner, a eu plus qu'amplement l'occasion d'approfondir cet art vestimentaire grâce à Bonaparte" et vlan ! Les français menacent de lancer l'assaut depuis la Martinique, dont est originaire Joséphine, l'épouse de Bonaparte et c'est pour marquer cette dimension que l'action du roman situe l'ascendance de la famille à la Barbade.
Je n'ai pas encore suffisamment exploré les écrits de Jane Austen mais il me semble que Stephanie Barron, par un travail de documentation important et une lecture fine des oeuvres de l'auteur anglaise, a su retranscrire ses pensées.