Le Bouc émissaire, Daphné du Maurier

Le Bouc émissaire, Daphné du Maurier, éditions Le livre de poche, 2014, 480 pages

Thèmes : double, famille, identité, sens de la vie

Genre : littérature contemporaine

Traduit de l'anglais par Denise Van Moppès

 

L'auteur en quelques mots ...

 

Retrouvez la biographie de Dahpné du Maurier sur le billet du challenge qui lui est consacré sur le blog.

Rebecca

L'Amour dans l'âme

Manderley for ever, Tatiana de Rosnay

 

L'histoire :

 

"J'étais arrivé au Mans, affreusement abattu. Je ne connaissais que trop cette mélancolie inséparable des derniers jours de vacances, mais j'éprouvais cette fois plus que jamais l'angoisse du temps trop vite enfui, non parce que trop rempli mais parce que je n'y avais rien accompli".

John est professeur d'Histoire française en Angleterre et réside en France pour quelques temps, afin de prendre des notes pour ses cours. Vivant à travers l'Histoire, il recrée en imagination les villes fortifiées, l'éclat d'autrefois, mais a du mal à vivre pleinement le présent.Son désespoir est de connaitre l'histoire de ceux qui l'entourent mais de ne pas être un des leurs, de se retrouver étranger à cette terre "Des années d'études, des années d'exercice, l'aisance avec laquelle je parlais leur langue, enseignais leur histoire, expliquais leur culture, ne m'avaient pas rappoché de ces gens".

C'est alors qu'arpentant les rues, il est bousculé par un inconnu. "Je le regardai aussi et je m'aperçus, dans un mélange bizarre de surprise, de peur et de malaise, que son visage et sa voix ne m'étaient que trop bien connus. C'est moi que je regardais"

Jean de Gué est pourtant l'opposé de John, extraverti, ne redoutant pas le regard des autres; mais, aussi désenchanté que lui, il a appris à accepter la vie telle qu'elle se présente: "Nous en sommes tous làdit-il,vous, moi, tous les gens que vous voyez dans ce buffet de gare. Nous sommes tous des ratés. Le secret de l'existence, c'est de reconnaitre ce fait assez tôt et de s'y résigner."

Aussitôt germe dans l'esprit de Jean de Gué l'idée de prendre la place de John, d'échanger leurs vies. Le lendemain matin, lorsque John se réveille, c'est en effet une nouvelle vie qui s'offre à lui. Un chauffeur l'attend, qui semble bien le connaitre, et le conduit jusqu'au manoir où vit une étrange famille qui ne voit personne d'autre en lui que Jean de Gué...

 

En vrac et au fil des pages ...

 

Comme souvent , Daphné du Maurier explore les tréfonds de l'âme et propose un portrait de famille dans lequel le thème du double a toute sa place. C'est le problème de l'identité qui est soulevé, car alors que John se rêvait français, en connaissant la culture et l'histoire, cette possibilité lui est offerte.

J'ai cru que le récit allait dévier sur le fantastique à l'apparition du sosie. mais il n'en est rien et c'est l'ancrage dans la réalité qui produit d'ailleurs une ambiance étrange. Le lecteur n'a de cesse de se demander si John va être reconnu ou s'il va clarifier son identité. Néanmoins, se sentant lui-même exclu en quelques sortes, il va jouer le jeu et entrer dans cette famille, jusqu'à y laisser son empreinte. Il y découvre alors l'attitude détestable de son double, les maitresses qu'il accumule, la vie de débauche qu'il mène.

Tous les indices sont placés de sorte que la situation paraisse plausible. C'est d'ailleurs ce qui fait froid dans le dos. Comment la propre fille de Jean de Gué pourrait-elle ne pas le reconnaitre ? C'est que leur relation, étrange, matinée de religion, était dictée par la petite à la maturité surprenante. Un univers particulier relie père et fille, que la gamine dirige. Il ne reste plus à John qu'à se laisser porter, à entrer dans le jeu. On se demande même si certains personnages n'ont pas compris et jouent tout de même le jeu.

La vie familiale s'organise autour d'une verrerie que les temps modernes envoient à la faillite. Jean de Gué semble avoir résolu de vendre l'affaire, de ne plus faire vivre la famille et les ouvriers. Pourtant, John va entreprendre, à la fois par naiveté et par ambition, de relever l'entreprise familiale, à la surprise de tous. Ressurgissent aussitôt des drames passés qui expliquent les comportements actuels, mais qui ne peuvent entraver les actions de John puisque lui ne sait rien de ce passé marqué par la guerre.

A ce jeu, le lecteur devient aussi un voyeur qui sait que ce n'est pas le vrai Jean de Gué qui évolue au manoir. Il ouvre les tiroirs avec lui, découvre les secrets de famille. C'est cette position à la limite malsaine qui nous fait ressentir une étrange sensation à la lecture du récit. Néanmoins la différence entre les deux sosies ne faisant aucun doute, on espère que la fin sera heureuse ...

Pourtant, on se laisse vite happer par ce genre de farce et, alors qu'il ne sait pas ce que fait Jean de Gué, s'il a pris sa place, s'il a choisi de vivre une autre vie, John entre peu à peu dans la peau d'un autre, apprécie cette nouvelle vie, découvre des secrets de famille qui peuvent expliquer l'aversion des autres membres de la maison pour lui et ne pense pas un seul instant que le véritable Jean de Gué pourrait réapparaitre...

C'est là tout le talent de Daphné du Maurier.

Une lecture que je vous recommande.

Le Bouc émissaire, Daphné du Maurier
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