Entre toutes les femmes, Erwan Larher

Entre toutes les femmes, Erwan Larher, éditions Plon, 2015, 500 pages

Genre : récit d'anticipation

Thèmes : Conte, futur, Résistance, politique

 

L'auteur en quelques mots ...

Retrouvez la présentation de l'auteur sur le billet L'Abandon du mâle en milieu hostile

L'histoire :

Arsène Nimale a donc été élu à la Présidence du pays. Cependant, sa politique bienveillante, fraternelle, basée sur l'idée de communauté et de responsabilité, ne fait pas l'unanimité. Qui, proche de lui, cherche à lui nuire ? Qui est le traitre ?

Quatre siècles plus tard, sous le règne d'Emile XXVIII, un groupe de résistants, les Nimaliens, tente de faire reconnaitre les idées de leur Gourou en réécrivant son histoire dont il ne reste rien. Les archives renseignent peu et seuls quelques documents (dont Autogenèse) ont pu être préservés suite à la Grande Catastrophe qui a anéanti la Terre et liquidé une grande partie de l'humanité. A leur tête, Gordon , être ambigü, semble ménager ses effets en accordant son soutien aux plus rebelles: Gabrielle et Marco, qui ont décidé d'agir pour faire connaitre Arsène Nimale et inverser le cours des événements. C'est que l'homme apparait dans l'inconscient collectif comme une légende, certains prétendant qu'il n'aurait jamais existé. 

Dans cette société organisée en factions, les nimaliens ne peuvent approcher de la Zone Elite et sont cantonnés à des sections secondaires, dont Freak Zone où vit la belle Cybèle, la Voix. Chaque semaine, la jeune femme conte, raconte, sur les ondes, des histoires, légendes et autres récits qui apaisent la population, l'aident à s'évader du marasme ambiant. Indépendante, elle ne doit rien à l'Empire mais ne cherche pas non plus à faire passer un message politique. Pourtant, lorsque son chemin croise celui des nimaliens, elle se sent investie d'une mission et prend peu à peu conscience de son rôle en ce monde. A quelques pas d'elle, Igor veille comme un ange gardien, dans l'ombre.

Sous une dictature qui impose ses idées, n'accorde que quelques jeures de jeux et d'écran à une population privée de sa capacité de raisonner, quelques esprits croient encore qu'un renversement est possible et qu'il suffit de réveiller en chacun la liberté, la conscience.

 

 

En vrac et au fil des pages ...

Petits lecteurs s'abstenir ! Ici la reflexion est intense et la plume alerte, tantôt poétique, tantôt philosophe. L'auteur joue avec les mots, aime la langue et en abuse. Les personnages, sous sa plume, prennent consistance et l'on entre dans leur esprit autant qu'on les voit évoluer.

Erwan Larher prend appui sur un monde fururiste dans lequel on reconnait les travers de notre société. Si on en est arrivé à cette dictature, c'est , en effet, que les humains n'ont pas su gérer les ressources, penser communauté, groupe, et sont restés fermés sur leur attitude individualiste alimentée par les réseaux sociaux. "Vous n'ignorez sans doute pas que peu ou prou de ses contemporains ont connu un glissement de la réalité hypnotisée ( par la télévision) vers la réalité augmentée, puis vers le règne effréné de la virtualité, de plus en plus interactive. Des individus pouvaient passer des jours dans des mondes parallèles, devenus un personnage, vivant sans bouger de chez eux des aventures extraordinaires dans d'autres époques, d'autres lieux. Troubles comportementaux, maladies mentales, suicides, actes de barbarie: les conséquences n'ont pas été neutres (...)".

Il était alors facile, lorsqu'Arsène Nimale est intervenu pour inverser la tendance en proposant libre arbitre et bienveillance, d'organiser une Grande Catastrophe qui éliminerait la moitié de l'humanité et contrôlerait les masses.

Ce qui dérange est ce retour en arrière draconnien opéré par le Parti : la France est redevenue la Gaule, on ne se déplace plus en voiture, finie la télévision; on fait croire aux gens que l'avenir est sur Mars et que chaque famille doit livrer ses enfants pour la conquête de nouveaux territoires dans l'espace, chacun vit dans une faction, selon son origine sociale ou ses capacités.

On nous interroge sur le terrorisme, sur l'exclusion qui crée des révoltes, sur les écarts entre riches et pauvres, sur le climat, les ressources, toutes préoccupations actuelles qui prennent sens lorsqu'on envisage ce qui pourrait se passer dans quelques années.

La force du récit est de croiser les époques, d'apporter un flou qui perd le lecteur ou plutôt le guide, lui montre les ressemblances, jusqu'au final. Pour savoir qui est cet Arsène Nimale dont il est question ,il fallait lire Autogénèse, ce que je n'ai pas encore fait ! Pour autant rien ne choque et l'on n'est pas perdu puisque les références sont claires. L'auteur se prend à son propre jeu ou plutôt se prend pour sujet,et propose Autogenèse ni plus ni moins que comme LE livre qui donne chair à Arsène Nimale, une sorte de bible préservée du carnage. Du coup, il ne se prend pas au sérieux, s'égratigne au passage en tant qu'écrivain et l'on trouve d'ailleurs dans ce récit de nombreuses références à la création, au concept d'écrivain : celui qui invente, recrée, imagine ... Quand je dis que l'auteur s'amuse, on trouvera quelques références à des écrivains actuels aussi, des clins d'oeil. C'est un peu comme s'il commentait son écriture au fur et à mesure, de petites remarques, comme ça en passant, émaillent le récit et l'on ne peut s'empêcher de se demander s'il parle de l'histoire en train de se créer ou des personnages. "Notre message sera d'autant plus fort que le lecteur sera captivé,tenu en haleine (...)Des rebondissements habilement injectés dans le cours du récit serviront mieux notre cause que n'importe quelle sentence définitive, même la mieux tournée".

Arsène Nimale colle bien à notre époque puisque propose tout simplement ... d'être heureux ! Il a foi en l'humain, souhaite mettre entre ses mains les outils pour accéder à ce bonheur. Une sorte de Florence Servan-Schreiber ! On peut comprendre que l'idée effraie ses adversaires, surtout lorsque cela fonctionne. Et si c'était vrai ? "La grande force d'Arsène Nimale (...)fut de faire prendre conscience à ses compatriotes qu'en exaltant ces valeurs positives, en remplaçant le "chacun pour soi" par le "un pour tous" leur existence serait plus heureuse et plus harmonieuse".

Erwan Larher nous interroge quelque part sur cette possibilité de laisser la politique actuelle de côté et repenser le lien social. "Les gens heureux n'ont pas envie de mendier, pas envie de casser, pas envie d'arracher des sacs à main, de torturer pour une rançon. Encore moins de tirer au hasard dans la foule, de s'immoler par le feu ou de ses uicider sur leur lieu de travail (...) Le seul moyen de faire cesser la violence n'est pas de punir mais de rendre les gens heureux"

Pour cela il fallait une femme ... non, un homme ... euh ! Vous comprendrez en lisant le livre qui se présente aussi sous la forme d'un récit initiatique, le belle Cybèle étant sans doute un peu naive, n'ayant rien expérimenté des rapports humains et découvrant donc ses potentialités, son pouvoir de séduction, d'apaisement.

Une écriture inventive qui nous transporte dans un monde post apocalyptique dont on ne pourra sortir qu'en décidant d'être heureux. Pas mal non ?Une bonne dose de reflexion et un bon moment de lecture, une plume à découvrir !

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