Féroces, Robert Goolrick
Féroces, Robert Goolrick, éditions Pocket, 2012, 252 pages
Genre : autobiographie
Thèmes : enfance, parents, rejet, suicide
Traduit par Marie de Prémonville
L'auteur en quelques mots ...
Robert Goolrick vit à New York. Il est l'auteur de "The End of the World as We Know It", un récit acclamé par la critique américaine.
"Une femme simple et honnête" son premier roman, N°1 sur la liste du New York Times, fera prochainement l'objet d'une adaptation cinématographique confiée au réalisateur David Yates.
"Féroces" a reçu en France un accueil prodigieux de la part des critiques, des libraires et des lecteurs.
Robert Goolrick reçoit le Prix Virgin Megastore 2012 et le Grand prix des lectrices de Elle 2013 pour "Arrive un vagabond". "La Chute des princes" reçoit le Prix Fitzgerald 2015.
Sa vie, son adolescence dans une famille respectable mais qui, une fois la porte fermée, cachait bien des secrets et a détruit à petit feu sa vie d'enfant, est la métière de plusieurs de ses romans (Féroces, La cute des Princes). Il y décrit les années de descente aux enfers et le regard de sa famille.
L'histoire :
Evoquant sa famille, Robert Goolrick parle de son admiration pour sa mère, sa beauté, son élégance, et de l'indifférence de son père. Connus pour leurs soirées arrosées, l'image idéale sur papier glacé qu'ils donnaient en façade, les Goolrick cachaient pourtant bien des blessures, comme en attestent les disputes sans fin, les parents qui sombrent dans l'alcool pour ne pas penser, les enfants qui observent cela et deviendront des adultes blessés.
Dans ce contexte, sous le regard d'un enfant, l'élégance revêt les atours d'une dame sophistiquée, de cocktails aux noms plus exotiques les uns que les autres, des Gimlet, des Manhattan, des Gibson, des Singapore Ming,d'amis qui viennent chaque semaine pour de longues soirées où l'on rit en ne pensant pas à l'avenir. L'insouciance. Les enfants, brillants, parachèvent le tableau.
Pourtant, les fissures ne tardent pas à se faire jour. Une règle absolue permet à la famille de ne pas montrer l'envers du décor : on ne parle jamais à l'extérieur de ce qui se passe dans la maison. Règle que va enfreindre Robert en écrivant un récit de vie et en dévoilant une facette de la vie de ses parents que personne n'aurait dû connaitre. Dès lors, c'est une haine féroce qui va animer les Goolrick et faire sombrer Robert dans l'alcool, la drogue, les tendance suicidaires...
En vrac et au fil des pages ...
C'est pourtant avec une certaine douceur que l'auteur évoque des années pénibles, marquées par l'absence de tendresse, une joie feinte pour donner le change. On sent bien que derrière cela doit se cacher un drame mais l'on ne comprend vraiment qu'à la fin du récit.
Revenant tantôt sur ses années d'enfance, tantôt sur son entrée dans le monde adulte, Robert Goolrick ne cache rien de ce que fut la vie de sa famille. On sent une admiration pour sa mère, son physique élégant, sa beauté et l'on est d'autant plus peiné par l'attitude de cette dernière qui considère son fils comme un traitre parce qu'il a osé parler d'eux dans ses écrits.
On comprend le poids, le fardeau et les années de chute libre qui ont suivi pour se trouver, se perdre, avancer.
Le récit est donc un mélange de belles images et d'une réalité cruelle qui explique aussi le caractère sombre des écrits de l'auteur. Cette part d'ombre est en lui et, encore en écrivant ce livre, il ne parvient pas à joindre toutes les pièces du puzzle. Pour l'enfant, tout a basculé avec l'épisode de la robe : une belle robe verte et bleue que sa mère avait endossée avant de partir à une soirée et dans laquelle les enfants l'avaient admirée, regardée tounoyer; une robe qui était revenue précipitamment, abîmée par un trou infligé par la cendre d'une cigarette et qui marquait la dispute, l'instant d'inattention parce que happé par autre chose, la faille dans la vie de cette mère si parfaite.
"On a tendance à vouloir aimer sa famille. En fait, on a même tendance à le faire.Même si l'on choisit de couper les liens avec tout ce qui avait été pour nous "chez nous", pour redéfinir l'espace dans lequel on vit, les émotions qui nous paraissent le plus naturelles, notre manière d'aimer, on reste hanté par un sentiment persistant de deuil et d'admiration à l'égard des êtres que l'on a connus en premier et le mieux. Même si on ne leur adresse plus jamais la parole, ils demeurent nos premiers et nos plus purs amours. Il y a, pour chacun de nous, une époque où ils signifiaient tout.
Parfois, cette époque dure toute notre vie. Elle est aussi éternelle que notre souffle. Elle ne s'altère ni ne meurt.
Parfois, elle prend fin à un âge très précoce. On n'y peut rien. Il arrive des choses."
Les remarques de l'enfant se mêlent à l'analyse de l'adulte. La destruction lente que s'inflige l'auteur ne prend fin qu'avec l'acceptation. Malgré tout, il ne parvient pas à en vouloir à ses bourreaux et poursuit pour eux ses attentions, ses égards. C'est ce décalage, que l'on ne comprend, qu'à la fin, qui rend ce témoignage poignant et cinglant.
Une lecture forte que je vous recommande.