Wanderer, Sarah Léon

Wanderer, Sarah Léon, éditions Héloise d'Ormesson, 2016, 175 pages

Genre : contemporain

Thèmes : musique classique, romantisme,  Sturm und drang , amitié, solitude, hiver

 

L'auteur en quelques mots ...

 

 

Lauréate ,pour sa nouvelle "Mon Alban", du prix Clara 2012 à l'âge de 19 ou 20 ans, alors qu'elle était élève à l'École normale supérieure de Paris, où elle étudiait les lettres et la musicologie, Sarah Léon a écrit en 2016 Wanderer, un beau premier roman porté par la mélodie de mots et des sentiments. 

( source Babelio)

 

L'histoire

 

" Il va. Par les bois, les guérets, les collines endormies que recouvre le gel, il se fraie un chemin, sans hâte, à la rencontre de l'ami. Silhouette errante, perdue dans la blancheur, il s'enfonce toujours plus profondément dans la tourbe des fondrières, au coeur de la glace et du givre.

Depuis quelques temps, il scande à mi-voix, plus qu'il ne chante, les paroles d'un lied aimé.

"Ich wandle still, bin wenig froh,

und immer fragt der Seufzer, wo ? "

 

Dans les contreforts du Bourbonnais, Hermin Peyre, violoncelliste, a réussi à réhabiliter une bâtisse, isolée, dans laquelle il trouve refuge et espère composer un hommage à Schubert. En cet hiver rigoureux, peu s'aventurent par ici. Aussi, lorsqu'on toque à sa porte un soir, Hermin ressent-il l'élancement d'une douleur passée. Lenny est devant lui, comme un fantôme.

"Dix ans d'absence, dix ans sans musique et sans mots", pourtant le pianiste prodige, à la renommée internationale, est bien de retour, affaibli. Des milliers de questions assaillent Hermin et tous deux peinent à rétablir leur amitié, le lien.

Des années plus tôt, Hermin avait recueilli Lenny et lui avait ouvert les portes du conservatoire alors que le jeune homme était sans le sou. Mais rapidement, son admiration pour Lenny l'avait éloigné de ses amis, de son travail, pour vivre une passion indirecte. La vie tumultueuse de Lenny, sa tante si malade, son caractère taciturne, avaient conduit les deux garçons à nouer un lien fort mais aussi exclusif qui ne laissait plus de place au monde. La musique seule était leur univers, leur voie, leur vie, jusqu'à ce qu'Hermin n'en puisse plus et que Lenny s'éloigne.

Les voici face à face, au coeur de l'hiver empreint d'un romantisme délicat, pour une ode à l'hiver, à la solitude, à l'amour qu'Hermin n'a jamais voulu voir, entre le" Voyage d'hiver" et "Le Roi des Aulnes".

 

"Imagine-toi un homme dont les plus brillants espoirs ont été anéantis; à qui les joies de l'amour et de l'amitié n'apportent rien d'autre que les plus atroces souffrances..."

En vrac et au fil des pages ...

 

Faut-il être musicien pour apprécier ce récit ? Je réponds non, car la musicalité des phrases, l'histoire d'amitié et d'amour que nous propose Sarah Léon, permettent d'entrer dans l'univers de Lenny et Hermin. Bien entendu, les amateurs, professionnels trouveront un autre écho à ce récit qui emprunte aussi à la littérature. J'ai apprécié les nombreuses références, historiques, littéraires, qui se glissent entre les lignes sans alourdir le propos.

L'histoire est émouvante et joue sur la fusion entre les personnages et la nature environnante, l' Aufenthalt schubertien. Lenny est très tôt assimilé au marcheur, vagabond, promeneur schubertien, le Wanderer.

Pendant dix ans, Hermin a suivi de loin la carrière prestigieuse de son protégé qui a pourtant décidé d'abandonner la musique, le piano. Pourquoi ?

Alors que l'un comprend ce qu'aurait dû être sa vie et trouve la force de finir son oeuvre hommage, l'autre perd ses forces et sombre dans la mélancolie, souffrant d'un mal qu'un seul amour pourrait éteindre. C'est que Lenny est venu chercher une réponse, mais je ne peux en dire plus.

Leur relation ne fut pas simplement celle d'un maitre et son élève mais, transformée en amitié, elle a aussi révélé les failles de chacun. De disputes en crises de jalousie, Lenny n'a pas su faire comprendre à Hermin ce qu'il attendait, ce à quoi il aspirait. La musique a pourtant porté sa voix, longtemps. Mais face à l'aveuglement d'Hermin, Lenny n'a pu que se résoudre à se lancer seul dans une carrière qui l'éloignerait à coup sûr de l'âtre qu'il aimait le plus au monde.

La particularité de ce récit est de mêler présent et passé, certains passages étant en italique, rapporté à la première personne par Hermin. Pourtant certain pans de texte se répondent, comme en écho, soulignant que le temps n'a pas éteint le feu qui les animait alors. Comme il est facile pour chacun de retrouver les émotions passées. Mais 'on se rend compte qu'ils ne les vivaient pas de la même façon, d'où la rupture et la fissure difficile à guérir aujourd'hui.

Comment ne pas voir un lien entre Lenny et Schubert ? Le personnage de Lenny apparait alors comme tiré du romantisme allemand, un personnage hors du temps, qui ne peut trouver sa place dans le monde. Une vie passionnée qui ne peut trouver le repos puisque la mélancolie l'étreint tout entier.

Un roman à découvrir, comme un conte d'hiver.

 

 

 

 

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