Appelez la sage-femme, Jennifer Worth

Appelez la sage-femme, Jennifer Worth, éditions Le Livre de poche, 2015, 498 pages

Genre : témoignage

Thèmes : obstétrique, seconde guerre, enfantement, femmes, ouvriers, Londres, Docklands

 

L'auteur en quelques mots ...

 

 

née au Royaume-Uni en 1935, Jennifer Worth est une infirmière et une musicienne.

Jeune infirmière, elle décide, dans les années 1950, de parfaire sa formation de sage-femme auprès des sœurs d’un couvent anglican, des sœurs de St John the Divine, qui soignent les pauvres des quartiers des docks de l’East-End. 
Quand à vingt-deux ans elle rejoint les sœurs de Nonnatus House, une maternité qui vient en aide aux plus pauvres, elle s’apprête à vivre l’expérience de sa vie. Elle travaille à Elizabeth Garrett Anderson Hospital à Bloomsbury et plus tard à Marie Curie Hospital à Hampstead.

En 1963, elle s'est marie à l'artiste Philip Worth. Ils ont eu deux filles. 

Elle se retira de son métier d’infirmière en 1973 pour poursuive une carrière de musicienne. En 1974, elle reçoit un diplôme du London College of Music, ou elle enseigne le chant et le piano.

En 2002, elle se tourne vers l’écriture et publie "Appelez la sage-femme" (Call the Midwife), un best-seller qui sera suivi par trois autres tomes de mémoires: "L’ombre des Workhouses" (Shadows of the Workhouse, 2005) et "Au revoir à l’East-End" (Farewell to the East End, 2009), les tomes 2 et 3 de la trilogie, et "In the Midst of Life" (2010).

Elle meurt en 2011 sans connaître l’immense succès de la série télévisé de la BBC, "Call the Midwife" (2012), inspirée par son livre. 

L'histoire :

 

" A l'ère victorienne, un vent de réforme sociale avait soufflé sur le pays.Pour la première fois, des auteurs ont dénoncé des injustices qui n'avaient jamais été mises en lumière, et la conscience du public s'est émue.Un certain nombre de femmes instruites et clairvoyantes se sont notamment avisées du besoin d'améliorer les soins infirmiers et l'obstétrique(...) Ils ne faisaient pas partie des occupations considérées comme respectables."

Les sages-femmes de Saint Raymond Nonnatus travaillaient dans les docks de Londres, seules sages-femmes compétences dans la seconde moitié du XIX°S, soumises aux épidémies de choléra, polio, tuberculose... Au cours du XX°S elles ont exercé leurs activités durant deux guerres mondiales. Tous les respectaient.

C'est dans ce contexte que la narratrice évoque son arrivée puis son apprentissage auprès des soeurs, sages-femmes, dans les bas quartiers de Londres. Pourquoi s'engager dans une telle voie, auprès des plus pauvres, dans la saleté, la misère ? Rapidement la réponse émerge à travers la beauté d'une rencontre d'une mère et son enfant, la puissance de la vie, la certitude d'une vocation, sans doute pas suffisamment reconnue, souvent méprisée au profit de professions plus nobles.

"Tous les médecins généralistes étaient formés par une sage-femme. Mais cela, très peu de gens semblent le savoir" et le mépris continue de la part des médecins diplômés envers ces femmes courageuses, souvent non reconnues. Heureusement ce n'est pas le cas de tous et ceux que l'on rencontre dans ce récit sont tout aussi bienveillants.

Peu à peu, à travers les rencontres, le suivi de parturientes, se tissent des amitiés. La misère sociale éclate également, le manque d'instruction, la violence, l'alcool parfois, la malnutrition qui provoque des malformations ou des décès précoces, les mères soumises ou révoltées, les pères effacés, travailleurs ou au contraire investis. Dans tous les cas une méconnaissance des soins nécessaires, de l'hygiène. Mais également de belles surprises liées à l'instinct maternel.

Sur les docks, toujours un respect affectueux pour ces sages-femmes qui circulent à vélo, par tous les temps, afin d'accompagner leurs patientes, prodiguer des soins précis, des conseils. En expertes, elles assurent les gestes qui vont faire naitre la vie, protéger ses premières heures et guider les nouvelles mères comme les multipares. Leur technique est ici détaillée et souligne les progrès effectués en terme d'obstétrique.

Jennifer Worth livre ici avec patience et émotion, le récit de quelques expériences fortes, vécues dans les années 50, alors que ces quartiers de Londres sont en pleine mutation. Les logements ouvriers ne suivent pas l'évolution de la société et les familles s'entassent en nombre dans une seule pièce, dans ces "tennements" pourtant récemment aménagés, souvent au détriment de l'hygiène de base. Pourtant ces quartiers grouillent de vie et la pauvreté n'enlève rien à l'amour.

Etre sage-femme dans ces conditions est une preuve inconditionnelle d'amour de son prochain, ce que les soeurs de Saint Nonnatus apprennent à Jennifer qui n'était pourtant pas tournée vers la spiritualité au début de sa prise de fonction.

Ici, chaque soeur, chaque sage-femme a une histoire , mais ce vécu est souvent oublié au profit des patientes. Jennifer Worth choisit de faire vivre chaque personne à travers ses particularités .

En vrac et au fil des pages ...

 

On parle souvent d'infirmières ou de médecins dans la littérature, mais rarement de sages-femmes. C'est le constat que dresse Agnès Ledig dans la préface.

Ce qui fait la force de ce récit est le mélange parfaitement agencé d'un documentaire et d'un récit de vie. On plonge immédiatement aux côtés de la narratrice dans cet univers si particulier, en démarrant par une interrogation : pourquoi avoir choisi ce métier ?

Les conditions d'exercice sont particulièrement rudes, la gratitude absente de la part du corps médical. Mais l'essentiel n'est pas là, car au-delà des soins on touche à la vie.

Le récit invite à l'humilité face à ces familles dont on se demande toujours comment elles peuvent mettre au monde de si nombreux enfants tout en sachant qu'elles ne pourront subvenir à leurs besoins. Le témoignage le plus poignant pour moi reste le récit de l'accompagnement de Conchita, mère de 23 enfants ! Les a-priori sont forts avant la rencontre de Jennifer avec cette famille exceptionnelle. Mais force est de constater que tout n'est qu'amour dans ce foyer, que les enfants disposent de l'essentiel et que  non seulement le couple est toujours uni ( je ne vous dirai pas pourquoi, c'est à vous de la découvrir !), mais le père, Len, est investi au même titre que sa femme, dans l'éducation des enfants. Une leçon d'humilité ! 

Jennifer Worth ne passe cependant rien des moments tragiques, difficiles, nécessairement affrontés.Les avancées de la médecines sont détaillées dans leur application quotidienne ( come l'usage de la pénicilline qui n'a été généralisé qu'à partir de 1941 !) , ce qui aide à comprendre comment on en est arrivé à un monde hyper médicalisé comme aujourd'hui. Qui eut cru qu'à cette époque, accoucher dans un hôpital vous faisait courir plus de risque que rester chez soi !

Mais ce qui rend le récit touchant et l'apparente à un roman, est la description des personnages, les portraits qui en sont dressés, qui rendent le tout vivant. Certains sortent du lot comme la soeur Monica Joan , dont on ne sait si elle feint l'innocence ou cache sa véritable personnalité, capable de bonté ais aussi de cruauté. A l'opposé, Soeur Evangelina se révèle adorée de ses patients et l'on se demande là encore ce qu'a été son parcours de vie. Chummy, jeune femme d'une taille hors norme, livrée aux moqueries mais déterminée et bravant ce défaut physique, compensé par sa bonté. Puis des patientes comme Conchita qui donnera une leçon de vie à tous.

Je vous recommande cette lecture touchante.

On me souffle à l'oreille qu'il faut regarder la série inspirée de ce roman témoignage ;)

 

 

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