Le Dimanche des mères, Graham Swift
Le Dimanche des mères, Graham Swift, éditions Gallimard, collection du monde entier, 2017,142 pages
Genre : historique
Thèmes : aristocraties, société, Angleterre, domesticité, écrivain
L'auteur en quelques mots ...
Ecrivain britannique né en 1949, Graham Swift est remarqué en 1982 avec L‘Affaire Shuttlecock . Ses écrits mettent en avant le paysage, la psychologie des personnages. L'écrivain se dit influencé en cela par Jorge Luis Borgès, Günter Grass, Gabriel Garcia Marquèz, "(...)nous sommes, comme toujours dans ce pays, terriblement bornés, absorbés en nous-mêmes et culturellement isolés. Il est grand temps pour nous d’absorber des choses venant de l’extérieur. »
Le Dimanche des mères est son dixième roman. Il a également publié trois recueil de nouvelles et a vu trois de ses oeuvres adaptées à l'écran.
L'histoire :
"Autrefois, avant que les garçons ne passent de vie à trépas, à l'époque où il y avait plus de chevaux que d'automobiles, avant que les domestiques de sexe masculin n'aient disparu..."
Angleterre, 30 mars 1924. Comme de tradition, les domestiques des différentes maisons aristocratiques sont invités à prendre leur journée, rejoindre leur famille, pour le rituel Dimanche des mères.
Jane est la jeune femme de chambre de la famille Niven. Orpheline, elle envisage cette journée avec d'autant plus de plaisir qu'un rendez-vous secret lui a été donné par Paul Sheringham, jeune homme de bonne famille et son amant depuis quelques années.Ce moment de complicité sera-t-il le dernier ? Paul doit en effet épouser Emma Hobdays, riche héritière.
Quelle excuse donnera-t-elle à M Niven ? Une séance de lecture au soleil ? Une balade à bicyclette ? C'est ainsi qu'elle quitte la propriété pour rejoindre son amant alors que la famille Niven se rend de son côté à "Un jamboree à Henley".
Seuls dans la chambre de la maison des Sheringham, à Upleigh, Jane profite de ces derniers instants, se repaît de la présence de Paul, le contemple et goûte chaque seconde de cette intimité. Lui semble loin par moments,fait durer l'instant, comme s'il redoutait de partir, de rejoindre celle qui sera désormais sa femme, mais entre eux une connivence s'est installée. C'est pourtant la fin d'une époque en même temps que la fin de leurs rencontres secrètes. Le vocabulaire lui-même change, les habitudes, même si certaines familles tentent encore de perpétuer les traditions.
A quelques années de là, devenue écrivain, Jane repensera avec nostalgie à cette époque, au dernier regard de Paul , aux mots, peut-être dits, peut-être inventés, à cette chambre dont elle parvient encore à retranscrire tous les recoins.
En vrac et au fil des pages ...
Le Dimanche des mères est un roman contemplatif , lent comme le temps qui s'écoule dans cette chambre où Paul et Jane se retrouvent, à la fois pour la première fois ( elle n'y est jamais venue malgré les années de liaison) et la dernière. C'est la confrontation de deux mondes, finalement leur fusion en un même vocabulaire ( plus familier en cette époque de changement), une amitié indéfectible. C'est également le récit d'un éveil pour Jane, mais aussi d'u souvenir qui va rester en elle, sur lequel elle reviendra à de multiples reprises ( comme les redites que l'on trouve dans le roman et qui donnent un effet lancinant, cyclique).
Justement l'auteur laisse entendre qu'un drame va se produire, on le sent dans chaque mot, dans le fait que ce soit leur dernière rencontre, dans la fin d'une époque. Le lecteur découvre les lieux à travers le regard de Jane et ce côté subjectif, dont la narratrice avoue qu'il est peut-être un souvenir réinventé, donne un caractère intime au récit.
Il faut tout lier, la fin de la guerre, la fin de la domesticité, les familles d'aristocrates qui s'accrochent à des traditions vieillottes et ce fils, Paul, qui sans le dire semble désapprouver ce mariage arrangé.C'est justement cette lenteur, comme s'il ne voulait pas que l'instant finisse, qui est suspecte. Ainsi chacun pourra comprendre le drame qui va se produire comme il le souhaite ...
A la fois roman très britannique par le milieu social, l'environnement, les traditions qu'il propose, et contemplatif comme peuvent l'être les romans asiatiques, ce récit nous invite à la rêverie. Il marque également le changement, l'ascension d'une jeune orpheline devenue domestique puis ayant pu faire des études et finalement devenue écrivain, ce qui fut possible grâce, justement, à ce bouleversement des valeurs après-guerre.
J'ai apprécié ce roman pour sa richesse et sa plume. Le parti pris de croiser les chapitres, les regards entre la jeune Jane et celle qui peut poser un regard plus distancié sur une époque révolue, est intéressant.