Au fond de l'eau, Paula Hawkins
Au fond de l'eau, Paula Hawkins, éditions Sonatine, 2017, 405 pages
Genre : Thriller
traduction de Corinne Daniellot et Pierre Szczeciner
Thèmes : enfance, fratrie, meurtre, sorcellerie, noyade, résilience, enquête
L'auteur en quelques mots ...
Découvrez la biographie de l'auteur sur le billet de La Fille du train
L'histoire :
"Les hommes l'attachent à nouveau- différemment cette fois (...) Cette fois ils l'emmènent dans l'eau.(...)
Elle n'est pas sûre de pouvoir affronter cela à nouveau, le noir et le froid.(...)
Quand ils la remontent sur la berge, la seconde fois, ses lèvres ont la couleur d'un hématome et son souffle l'a quittée à jamais".
2015. Jules apprend la mort de sa soeur, Nel, et se rend dans le village de son enfance, au Nord de l'Angleterre, pour les obsèques. Un lieu où elle n'est pas retournée depuis une éternité, lié à des souvenirs d'enfance blessants, des humiliations et une dispute qui a éloigné les deux soeurs à jamais. Pourtant, cette dernière a cherché à la joindre quelques jours avant sa mort. Un énième appel que Jules n'a pas pris...
Nel s'est suicidée lui dit-on, mais le doute persiste. Désormais, cependant, Jules est la seule famille qu'il reste à Léna, la fille de Nel. Adolescente rebelle, clairement décidée à montrer à sa tante qu'elle a une part de responsabilité dans le décès de sa mère, Léna cache un lourd secret.
Peu de temps avant le décès de Nel, un autre drame a endeuillé la commune : le suicide de Katie, meilleure amie de Léna, une jeune fille qui respirait pourtant la joie de vivre à entendre les habitants du bourg, à commencer par sa mère, Louise, qui peine à accepter qu'elle ne connaissait peut-être pas sa fille autant qu'elle le pensait.
Revenant sur les traces d'un passé qu'elle avait pris soin de mettre de côté, Jules découvre la vie de sa soeur à travers des objets, des bribes de souvenirs et sa fille, qui lui ressemble en bien des points. Peu à peu émergent des épisodes marquants de leur enfance, cette période où Jules était grosse et subissait les moqueries des camarades de sa soeur, une soeur qui ne la protégeait pas et était déjà obsédée par le destin de femmes qui avaient finies noyées dans le bassin, le bien nommé "bassin aux noyées". Un bassin qui recèlerait les corps de ces femmes accusées de sorcellerie au XVII°S et qui hanteraient les lieux. Mais c'est surtout le souvenir d'une nuit glaciale au cours de laquelle Nel a essayé de noyer Jules qui refait surface...
Sean Townsend, jeune inspecteur de police, mène l'enquête. Une recherche difficile qui le renvoie à la mort de sa propre mère, elle-même tombée du haut de la falaise dans le bassin alors qu'il était tout jeune. Alors que la rumeur enfle, Nickie, que tous semblent considérer comme folle et qui prétend parler aux morts, révèle peu à peu des éléments troublants.
Ces décès seraient-ils tous liés ? Le meurtrier se cache-t-il dans cette communauté où chacun semble avoir quelque chose à se reprocher ?
En vrac et au fil des pages ...
J'ai apprécié La Fille du train et avais envie de découvrir le second roman de Paula Hawkins. J'avoue avoir préféré celui-ci pour sa construction d'une part, pour le lien entre des femmes dont les destins semblent liés et qui remonte aussi loin dans l'histoire que la chasse au sorcière qui sévissait au XVII°S.
Débarrassons-nous des quelques points négatifs : j'ai regretté que la dimension historique du lieu ne soit pas davantage développée. En effet, la fameuse chasse aux sorcières n'intervient que très peu, au tout début du roman pour donner le ton et dans le récit interne, rédigé par Nel, qui menait des recherches sur ces femmes suppliciées. On sait donc peu de choses sur Libby Seton, jeune femme jetée dans le bassin pieds et poings liés, accusée de sorcellerie par les hommes de son village. Son ombre plane sur le récit, sans plus.
Le deuxième point négatif est la fin , qui est à mon sens attendue.
Cela étant la construction est intéressante et l'on retrouve un procédé découvert dans La Fille du train : l'entrecroisement des points de vue sur un même événement, donnant un éclairage nouveau à chaque épisode.
Les personnages évoluent sous nos yeux, de révélation en révélation, en même temps que les souvenirs d'enfance, déformés par un choc, se précisent. C'est le cas pour Jules ( Julia, c'est donc une fille !), partie depuis longtemps du village de son enfance, qui est restée sur le souvenir d'une dispute avec sa soeur, une incompréhension qui lui a gâché la vie et qu'elle pensait enfouie. On découvre alors que les images de son enfance ont été faussées par une perception toute personnelle de l'événement. Ainsi, alors que Nel n'avait de cesse par la suite d'appeler Jules, de tenter de lui parler, cette dernière ne voyait en sa soeur qu'une persécutrice. Est-ce la vérité ? N'y a -t-il pas une autre possibilité ? C'est à Léna que revient la tâche de faire comprendre à sa tante qu'elle ne connaissait peut-être pas Nel finalement.
Un processus similaire anime le personnage de Sean. Jeune inspecteur, respecté dans le village, ce protagoniste semble rongé par le décès de sa mère, qui s'est pourtant produit alors qu'il était tout jeune. Des bribes de souvenirs lui renvoient des images contradictoires et ses cauchemars semblent ne pas avoir de sens. Son père a-t-il quelque chose à voir avec la mort de sa mère ? Ses paroles et les souvenirs de Sean ne concordent pas. Mais il y a autre chose, que je vous laisse découvrir !
Le suspens est maintenu grâce au lieu, qui est comme souvent un personnage à lui seul. D'abord ce bassin, ou ce lac, dont l'histoire malsaine anime les légendes depuis toujours, entouré de superstitions et croyances. Ensuite la maison de Jules et Nel, au bord de laquelle court une rivière associée au tableau Ophelia de Millais. On imagine sans peine le pouvoir de l'eau, le lien entre l'onde et la mort, les ténèbres profondes qui happent les femmes suppliciées. Nel est depuis toujours obsédée par ce lieu qu'elle n'a jamais quitté, par les légendes racontées par sa mère, rituel qu'elle a poursuivi avec sa jeune soeur Jules et sa fille Léna.
Mais l'autre thème qui sous tend le récit nous invite à voir les liens de pouvoir, de domination des hommes sur les femmes. Disons de "certains" hommes, depuis le moyen âge, jusqu'à ce personnage dans le roman qui impose sa puissance et entend punir les femmes qui ne correspondent pas à l'image soumise qu'il prône.
On comprend que les destins sont liés, mais pas de la façon que l'on croit. Nulle fatalité mais un travail de résilience qui a fait son oeuvre et met ,à un moment donné, les personnages face à leurs responsabilités, leurs émotions, pour les surmonter...ou pas. Un roman ou personne n'est ce qu'il parait.