Butor, Vincent de Longueville

Butor, Vincent de Longueville, éditions Le Texte Vivant, 2017, 186 pages

Genre : roman aux allures de conte

Thèmes : société, intégration, normalité, philosophie

 

L'auteur en quelques mots ...

Né en 1978, Vincent de Longueville a grandi dans le Lot, puis en région parisienne, où il s'est fixé. Après un parcours dans le journalisme, il se voue à l'écriture depuis 2010. Il est l'auteur de deux recueils de poésies au carrefour de la fable et de la chanson française : Petits Récits Fabuleux (Librairie Galerie Racine, 2010) et Le Retour du Loup (Librairie Galerie Racine, 2015). Butor est son premier roman. Vincent de Longueville est marié et père de quatre enfants.

L'histoire :

"Butor descendit de La Colline car il avait froid aux pieds. Certains ont prétendu qu'il avait faim. A tort."

***

"On l'aurait cru fait en pâte à modeler par un enfant de trois ans".Ainsi nous apparaît Butor alors qu'on le découvre, pieds nus, armé d'un gourdin, descendant La Colline pour rejoindre La Vallée où, pour sûr, il doit faire plus chaud.

Qu'importe qu'il se fonde dans le monde qu'il va découvrir, Butor est une cible de choix pour tous les arnaqueurs du monde. Il n'est pourtant pas bête, mais naïf, à part pourrions-nous dire si l'on s'en tient à son langage de "paladin médiéval" qui surprend ses interlocuteurs mais ne les arrête pas.

Ayant assouvi son besoin de chaleur , Butor se met en quête de nourriture. Mais devant  un hurluberlu qui s'était mis en tête de lui piquer son déjeuner, il applique la "diplomatie du gourdin", certes interdite dans La Vallée mais qui a le mérite de régler une situation injuste. Car c'est l'injustice qui agace Butor et lui fait retrouver ses instincts primaires. Placé sous les verrous, Butor se voit appliquer une peine pédagogique. Mais, pour lui, la leçon est suffisante et il sait désormais ce qu'il veut : "devenir un membre de l'espèce comme un autre, quelconque, plat, lisse, transparent, médiocre ( au sens latin de moyen)(...)Mais ce bonheur-là, il le comprenait, avait un prix".

Ayant épuisé l'école de la Dernière Chance où l'on ne stigmatise pas les élèves, il fut tout de même stigmatisé et conduit vers la Der des ders. Trop différent, Butor n'entre dans aucune case et épuise le système.De job en emploi, il découvre alors avec innocence que ce monde est bien curieux, lui qui n'a jamais connu d'autres activités que "la pêche à la paluche" et les peintures rupestres.

Butor n'a de cesse de montrer ses capacités, se fondre dans le moule, acceptant avec philosophie les incohérences et aberrations de la société, jusqu'à s'unir à Love Bank et se voir tatouer sur les fesses une identité bancaire sous la forme d'un code barre qui lui donne droit à un prêt immobilier sur trois générations pour devenir propriétaire d'un clapier étroit et peu confortable, vanté par un agent peu scrupuleux.

"Pourtant, fraternel lecteur, je t'enjoins à la patience, car l'amour viendrait bientôt à Butor, comme la vache au taureau" ...

En vrac et au fil des pages ...

 

Butor n'est pas sans faire penser à Candide, le gourdin en plus ! On peut aussi le voir comme une sorte de géant des montagnes, encore que l'on puisse l'imaginer petit et trapu.Ce qui est sûr, c'est qu'il est l'innocence incarnée et ne s'embêtait pas, jusque là, de choses superflues.

Si ce n'avait été cette ourse qui,prenant sa place dans la grotte pour se chauffer à un bon feu, Butor ne serait probablement jamais descendu de sa Colline, n'aurait pas rencontré les spécimens de La Vallée et aurait gardé son esprit naïf et frais.

Mais la rencontre avec la civilisation est pernicieuse et, loin de revendiquer sa différence, Butor n'a qu'une envie : se fondre dans la masse, faire comme les autres, avoir un compte en banque, un emploi, un appartement.

Rapidement, sa façon de parler ,tout droit héritée du Moyen-âge, et son caractère ingénu, font de lui une proie facile. Mais qui s'y frotte s'y pique et la fameuse "diplomatie du gourdin" dont Butor use pourtant avec parcimonie, souligne l'injustice et rétablit l'ordre. Bon, un ordre primitif certes, mais radical !

Le récit est bourré d'humour, de jeux de mots et l'on pensera que l'auteur ne se prend pas au sérieux. Il envoie d'ailleurs au passage quelques piques à l'écrivain qu'il est dans le chapitre "Comment Butor devient écrivain obscène" qui est sans doute le passage que j'ai préféré ,ou comment Butor, dans un instant de fatigue, commence à se regarder le nombril ( au sens propre), le trouve beau et se pique de devenir écrivain ! On comprend très vite l'allusion et le narrateur d'ajouter "on a bien le droit de se la raconter, parce qu'on se met à poil devant autrui". Comme cette idée lui est venue alors qu'il était aux toilettes, Butor écrit sur un rouleau de papier. De là à demander à la dame pipi de chez Flamard de déposer ses écrits dans les dévidoirs des toilettes de l'entreprise il n'y a qu'un pas...et la célébrité éphémère qui s'en suit. J'ai apprécié la rapidité et la logique implacable de l’enchaînement des actions, des idées. Et hop, voilà notre Butor encensé par la critique. Bon, le revers de la médaille n'est pas loin, comme toujours avec Butor. Ce chapitre reflète ce qui arrive sans cesse à Butor, un instant porté aux nues par un patron, un critique littéraire ou un coach sportif, puis descendu en flèche par les mêmes qui ont tôt fait de le virer manu militari lorsqu'ils estiment qu'il ne correspond plus au profil (comment ? vous croyez reconnaître une situation vécue ? un reflet de notre société ? Mais non, illusion, allons ! ...hum!).

L'auteur fait évoluer son personnage, donne la parole à un narrateur qui nous interpelle, ce qui rend le récit dynamique. Alors que Butor n'est plus le va-nu-pieds que l'on a connu dans les premières pages, le lecteur se demande s'il reverra un jour sa colline, s'il va persévérer et rester dans la vallée...Vous le saurez en lisant ce récit enlevé et drôle qui nous pousse tout de même à réfléchir, l'air de rien, comme une petite épine dérangeante une fois le livre refermé.

 

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