Première neige sur le Mont Fuji, Yasunari Kawabata

Première neige sur le Mont Fuji, Yasunari Kawabata, Le Livre de poche, 2016, 151 pages

Genre : nouvelles

Thèmes : amour, Japon, temps, solitude, neige

traduit du japonais par Cécile Sakai

 

L'auteur en quelques mots ...

Yasunari Kawabata est un écrivain japonais considéré comme un écrivain majeur du XXe siècle.

Second enfant d'une famille de notable, Yasunari Kawabata a une sœur aînée. Son père exerce le métier de médecin. C'est un homme cultivé, se passionnant pour la poésie et la peinture. Mais, atteint de tuberculose, il décède un an après la naissance de Yasunari ; tout comme la mère de celui-ci quelques temps plus tard, des suites de la même maladie. Yasunari est alors confié à ses grands parents paternels. Son grand-père réalise des investissements hasardeux qui le conduisent à la ruine.

Malgré tous ces évènements, les jeunes années de Yasunari se passent tranquillement. Cependant, l'angoisse et les frayeurs qu'il relate dans ses récits commencent à le hanter.

En 1915, alors qu'il a perdu ses grands-parents, ainsi que sa sœur, il est envoyé dans la pension du lycée de Ibaragi. En 1916, il y fait la connaissance de Kiyono, un camarade de chambrée, avec lequel il se lie intimement ("mon amour homosexuel"). Parti vivre à Tokyo en 1917, Yasunari entretient avec son amant une importante correspondance, qui dure jusqu'en 1921. Il racontera cette histoire dans L'adolescent (1948).

En 1919, il évolue au sein d'un cercle littéraire, qui tient débat dans un café à la mode. Il y rencontre Hatsuyo (Michiko dans ses récits), une jeune serveuse de quatorze ans, qu'il finit par épouser. Mais, celle-ci décide de rompre un mois après leur mariage.

Hatsuyo devient sa muse, son idéal de femme qui hante son écriture. Ce n'est que douze ans plus tard, en la revoyant que le charme semble se rompre définitivement. Déçu, l'artiste doute et se remet en question.

En 1968, il a reçu le prix Nobel de littérature, devenant ainsi le premier écrivain nippon à obtenir cette distinction.

Yasunari Kawabata finit par se suicider. Il ne laissa ni explication ni testament.  (source)

L'histoire : 

Mont Fuji

Première neige sur le Mont Fuji est un recueil de six nouvelles. J'ai choisi de vous en présenter trois.

Première neige sur le Mont Fuji "La guerre a séparé des amoureux et des couples ..."

Utako et Jîro ont été séparés par la guerre et la décision des parents d'Utako de quitter la ville. Utako était alors enceinte et ne savait comment agir. Des années plus tard, ils se retrouvent par hasard sur le quai d'une gare. Tous deux décident de se rendre à Hakone et reviennent sur leur passé commun, la guerre, les bombardements, l'enfant perdu et le mariage de Utako avec Someya. Jîro revoit souvent les corps mutilés, marqué par une guerre atroce et injuste. Utako est, elle, épuisée, comme détachée de ce corps. Mais rien n'a été oublié, ni la blancheur opaline de la peau d'Utako, ni les sentiments qui les unissaient. Devant la nature luxuriante et pure du Mont Fuji tous deux avancent pas à pas.

En silence : "Voici ce que l'on raconte: Ômiya Akifusa ne prononce plus le moindre mot..."

Ayant subi une attaque, l'écrivain Ômiya Akifusa se retrouve paralysé et ne peut plus communiquer que par geste. Isolé de ceux qui l'entourent, il finit par ne plus recevoir que de rares visites. A la mort de sa femme, c'est sa fille aînée qui s'était sacrifiée pour s'occuper de lui." Sans doute trouvait-elle sa consolation dans son dévouement à son père". Un jeune écrivain Mita, se rend auprès du maître et y retrouve sa fille Tomiko, changée, épuisée. Ils échangent alors sur un roman écrit par le maître, Lecture d'une mère, et se prennent à imaginer ce que serait le récit d'une fille sur son père. "Avec ce père muet et ses paroles à lui, transmises à sa fille, où se trouvait donc la force du silence ?"

En terre natale : " C'est par la voie des airs qu'il se rendit dans son village, en terre natale"

Revenant dans son village vingt ans après, Torao s'interroge sur la raison de ce retour aux sources. Il observe la nature fragile et abondante à la fois, les fruits qu'il cueillait enfant, les pousses de yuzus, mais s'étonne de ne voir personne. Nul habitant alors qu'ils auraient du être alertés par le bruit de l'hélicoptère qui l'a amené. Les souvenirs affluent, lui enfant aimant partir seul et voir le coucher du soleil du haut de la colline, la même émotion, plus intense encore, au lever du soleil, la voix des ancêtres, de sa terre natale. C'est alors qu'apparait une jeune fille qui semble le connaitre et l'entraine vers la maison de son enfance...étrangement vide.

 

En vrac et au fil des pages ..

"les fleurs blanches de lespédèze qui ployaient dessus le rocher ..."

C'est ce que j'aime dans la littérature japonaise : cette concision, cette pureté. Ici encore Kawabata va à l'essentiel et s'attarde sur les petites choses de la vie, les détails que l'on ne remarquerait pas, pour en tirer la substantifique moelle.C'est une réflexion sur la nature (le Mont Fuji, la feuille d'un arbre, les premières neiges, les fleurs blanches de lespédèze qui ployaient dessus le rocher ...), sur le temps qui passe et les souvenirs parfois douloureux, le temps qui fuit, les corps vieillissants.

Il est dans l'ordre des choses que tout change, que les plus âgés laissent la place, que l"homme transforme ce qui l'entoure, qu'un amour s'efface. Pourtant c'est en revenant sur des souvenirs que l'auteur nous fait comprendre, avec une pointe de nostalgie, que ce qui était avant est encore présent dans certains aspects de la vie. Certaines nouvelles, comme En Terre natale, semblent aller vers le fantastique.

Bien entendu, comme souvent dans la littérature asiatique, l'action, l'intrigue n'est pas au centre de l'oeuvre. Aussi ne doit-on pas se demander par exemple ce qu'il adviendra de  Utako et Jîro, car cela n'a pas d'importance, ce qui compte c'est le voyage, la communion de deux êtres qui s'étaient perdus et se retrouvent.

 

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