La Fille du fermier, Jim Harrison
La Fille du fermier, Jim Harrison, éditions Folio, 2017, 130 pages
Genre : contemporain
Thèmes : adolescence,Montana, grands espaces, solitude
Traduit par Brice Matthieussent
L'auteur en quelques mots...
Jim Harrison, nom de plume de James Harrison, est un poète, romancier et nouvelliste.
À l'âge de huit ans, une gamine lui crève accidentellement l'œil gauche avec un tesson de bouteille au cours d'un jeu. Il mettra longtemps avant de dire la vérité sur cette histoire. A l'age de 16 ans, il décide de devenir écrivain et quitte le Michigan pour vivre la grande aventure à Boston et à New York.
C'est aussi à 16 ans qu'il rencontre Linda, de deux ans sa cadette, qui deviendra plus tard (1960) la femme de sa vie. Ils ont eu deux filles, Jamie (1960), auteur de roman policier, et Anna.
Il rencontre Tomas McGuane (1939) à la Michigan State University, en 1960, qui va devenir l'un de ses meilleurs amis. Sa vie de poète errant vole en éclats le jour où son père et sa sœur trouvent la mort dans un accident de la route causé par un ivrogne, en 1962.
Titulaire d'une licence de lettres, il est engagé, en 1965, comme assistant en littérature à l'Université d'État de New York à Stony Brook mais renonce rapidement à une carrière universitaire. Pour élever ses filles, il enchaîne les petits boulots dans le bâtiment, tout en collaborant à plusieurs journaux, dont Sports Illustrated. Son premier livre, "Plain Song", un recueil de poèmes, est publié en 1965.
En 1967, la famille retourne dans le Michigan pour s'installer dans une ferme sur le rives du Lake Leelanau. Immobilisé pendant un mois, à la suite d’une chute en montagne, il se lance dans le roman "Wolf" (1971).
McGuane lui présente Jack Nicholson sur le tournage de "Missouri Breaks". Harrison, qui n'a pas payé d'impôts depuis des années, est au bord du gouffre. Nicholson lui donne de quoi rembourser ses dettes et travailler un an. Il écrit alors "Légendes d'automne" (Legends of the Fall, 1979), une novella publiée dans Esquire et remarquée par le boss de la Warner Bros qui lui propose une grosse somme pour tout écrit qu'il voudra bien lui donner. Le succès n'étant pas une habitude chez les Harrison, Jim se noie dans l'alcool, la cocaïne. Après une décennie infernale (1987-1997) durant laquelle il a écrit un grand roman, "Dalva" (1988), il choisit de s'isoler et de se consacrer pleinement à l'écriture et aux balades dans la nature. (source)
Décédé en 2016, Jim Harrison laisse une oeuvre considérable et variée.
Merci aux éditions Flammarion et aux partenariats Livraddict pour cette belle découverte.
L'histoire :
Montana
Lorsque ses parents décident de déménager et partir vivre dans le Montana, Sarah, 12 ans, voit la vie qu'elle s'était jusque là construite voler en éclat, jusqu'à son piano, précieux compagnon, vendu à un homme qui compte le désosser. Franck, son père, meurtri par ce qu'il a vu au Vietnam durant le conflit, souhaite passer à autre chose et vient d'acquérir un ranch. Quant à Peps, sa mère, elle ne vit que par la religion, posant contraintes et regard craintif sur la vie. "Frère", l'ainé, ne suivra pas, engagé dans les marines.
Pourtant le Montana lui réserve de belles surprises, à commencer par ces paysages et cette vie sauvage qui vont lui permettre de s'épanouir, sous le regard bienveillant de Tim, ami de son père. Entre eux, et malgré la différence d'âge, va se créer une complicité matinée de séduction. Sarah n'est alors pas encore consciente de l'intérêt qu'elle éveille chez les hommes. Mais dans cette contrée reculée, une jolie fille ne passe pas inaperçue. Entre recommandations et protection, Tim va lui faire comprendre qu'elle doit prendre garde pour avancer dans la vie comme elle l'entend.
Sarah a d'ailleurs un fort caractère, à l'opposé de sa mère qui ne tarde pas à les abandonner Franck et elle, pour une vie plus excitante. Même si la jeune femme aurait souhaité être plus proche de sa mère, elle ne vit pas son départ comme une fatalité et soutient son père qui a prospéré dans le coin. Bien que douée pour les études, c'est vers la vie en plein air, le maraîchage, l'élevage, qu'elle se tourne malgré son jeune âge. Franck aimerait la voir scientifique, comme sa soeur Rebecca, astronome. Et en effet, les sciences apportent à Sarah cet apaisement, cette certitude compensée par ses nombreuses lectures. Cela lui permettra-t-il de rester connectée à ce monde, ou bien finira-t-elle comme sa mère, déconnectée de la réalité ? Cette question hante Sarah qui n'a de cesse d'observer ce qui l'entoure, les animaux, les hommes, les réaction parfois troublantes de chacun.
Son ami Terry lui assure une culture littéraire solide en lui permettant d'emprunter des livres chez lui, alors que Marcia l'entraine vers la vie sauvage, la chasse, ce qui réveille en elle un instinct de chasseresse. Très tôt Sarah comprend qu'elle n'aura d'autres amis que ces deux-là, le souvenir de Tim et les livres.
Alors qu'elle doit entrer à l'université à l'aube de ses 16 ans, repérée par le proviseur de son établissement qui perçoit en elle de grandes capacités, Sarah doit faire face à un drame qui changera à jamais sa vie. Dès lors, un seul objectif : tuer l'homme qui a violé son adolescence et lui a enlevé ses illusions.
En vrac et au fil des pages ...
Les grands espaces, le Montana en tête, sont des paysages qui donnent un souffle supplémentaire aux récits américains. C'est pour cela que j'aime cette littérature où l'homme se trouve face à la nature, où ses instincts se réveillent.
J'aime Jim Harrison pour cela, depuis Légendes d'automne que j'avais dévoré.
Souvent sombres ou dramatiques, ces récits mêlent des descriptions à couper le souffle, la force des éléments, et l'évolution de personnages forts, qui se révèlent. C'est probablement ce qui m'a manqué ici, dans le format de la nouvelle. J'aurais aimé retrouver ces espaces vibrants dans des descriptions plus longues, aller à la rencontre des tribus dont il est question et que Sarah ne fait qu'effleurer . Pour autant c'est un personnage très fort qui porte ce récit.
Sarah est une adolescente , mais rapidement son caractère, sa curiosité et son adaptation vont la faire basculer dans le monde des adultes. Il faut dire que la vie dans le Montana demande du courage, une force et une résistance que tous les personnages n'ont pas. Les femmes notamment, sombrent vite dans l'ennui, l'alcool pour supporter leur morne quotidien. On survit en s'adaptant à son milieu, en le comprenant. Ce que fera Sarah qui va se révéler au contact de cette nature sauvage.
On suit alors la jeune femme qui, malgré sa naiveté et son approche assez simple des moeurs masculines, est capable d'une observation fine des failles de chacun. Rapidement elle perçoit les changements chez sa mère qui ne parvient pas à s'adapter à cette nouvelle vie. Le fait qu'elle ne comprenne pas tout ce qui se passe la place parfois en décalage et c'est cette fraicheur qui rend le récit crédible. Car à côté de cela Sarah est une jeune femme qui ne passe pas inaperçue, dont le corps se développe rapidement et harmonieusement. Elle porte en elle cette dualité de fillette / jeune femme de candeur et de séduction adolescente, elle qui n'a encore rien découvert de l'amour.
Les hommes sont égratignés dans ce récit, leur regard lubrique se posant sur Sarah laisse augurer le pire. Pourtant leur faiblesse, comme c'est le cas pour Franck ou la bienveillance de Tim, nous réconcilie avec la gent masculine. De même la fin de la nouvelle pose un certain espoir.
La seconde partie est plus dure. Sarah perd ses repères suite au décès de Tim, ne peut trouver en son père le confident dont elle aurait besoin après le drame qui la heurte de plein fouet. On comprend alors qu'elle a été brisée dans son élan et son instinct de chasseresse se révèle. C'est un instinct sauvage et brut, loin d'une reflexion d'adulte.
On aime ce personnage parce qu'il est féminin mais comprend cette part de masculinité qui le rend sauvage, inaccessible. On frémit avec elle et on comprend sa révolte, sa soif de vengeance. En même temps on espère une rédemption et un amour qui lui rendrait l'espoir dont elle a besoin.
La plume de Jim Harrison est tranchante, mais aussi empreinte de poésie. Le récit est fait de contrastes, à la fois tendre et acéré, tout comme le personnage de Sarah.
Les nombreuses références littéraires donnent envie de replonger dans cette littérature qu'elle aime tant, qui la nourrit et la façonne: Théodore Dreiser, Walt Whitman, Henry Miller, Steinbeck. Certains romans cités montrent l'étendue de sa culture littéraire car ce sont des oeuvres difficiles pour une jeune fille de 15 ans : Lumière d'août de Faulkner, les poèmes de Wallace Stevens ou encore Le Pont de Hart Crane. Puis elle va découvrir Jane Austen, les soeurs Brontë, Emily Dickinson.
Au bout du compte c'est la littérature et la musique qui la sauveront.
Cette nouvelle étant tirée d'un recueil intitulé Les Jeux de la nuit, je n'ai qu'une hâte, me le procurer !
Merci aux éditions Flammarion et aux partenariats Livraddict pour cette belle découverte.