Une Femme aimée, Andrei Makine
Une Femme aimée, Andreï Makine, éditions Seuil, 2012, 348 pages
Genre : contemporain
Thèmes : cinéma, communisme, Catherine II de Russie, amour
L'auteur en quelques mots ...
Andreï Makine naît à Krasnoïarsk, en Sibérie, le 10 septembre 1957. Dans les années 1980, il obtient un doctorat de l’Université d’État de Moscou après avoir déposé une thèse sur la littérature française contemporaine. Il collabore à la revue Littérature contemporaine à l’étranger (современная художественная литература за рубежом), et enseigne la philologie à l’Institut Novgorod. Au cours d’un voyage en France en 1987, il obtient l’asile politique, puis devient professeur de langue et de culture russes à Sciences Po et à l’École normale supérieure. En 1990, il publie son premier roman, La fille d’un héros de l’Union soviétique. Deux ans plus tard, il dépose une thèse de doctorat à la Sorbonne consacrée à l’œuvre de l’écrivain russe Ivan Bounine (1870-1953). Il obtient la reconnaissance du public et de la critique avec son quatrième roman, Le testament français, paru en 1995, pour lequel on lui décerne les prix Goncourt, Médicis, et Goncourt des lycéens.
L’auteur publie également sous le couvert d’autres pseudonymes, dont celui de Gabriel Osmonde. Toute l’oeuvre est écrite en français, sa langue seconde, et ses romans sont traduits dans plus d’une trentaine de langues. Il a été élu à l’Académie française en mars 2016. (source)
L'histoire :
"Ce grand miroir s'abaisse, telle une fenêtre à guillotine. La femme qui vient d'actionner le levier sourit : chaque fois, un petit frisson.Et si le cadre heurtait le parquet et que le verre éclatait ? Mais le contact est feutré- le monde est coupé en deux. de ce côté-ci, un salon blanc et or. De l'autre, dissimulés par le miroir, une alcôve, une bougie, un homme nu halète ..."
Oleg Erdmann souhaite devenir cinéaste et imagine cette mise en scène incroyable pour évoquer la passion de Catherine II de Russie pour les hommes, ses amants. Pour tous, cette femme était une nymphomane, celle qui aurait commandité l'assassinat de son époux Pierre III, pour Oleg elle était une femme en quête d'amour, brisée par l'impossibilité d'une première liaison."Le vrai mal de ma vie ,c'est que mon coeur ne peut vivre un seul instant sans aimer."
Sa passion, ou plutôt son obsession, devient rapidement un sujet trop lourd pour sa compagne Lessia. Tous deux vivent dans une résidence communautaire, promiscuité dans laquelle chacun trouve son compte. Lessia ne le comprend pas, lui lance des piques sur son adoration pour Catherine ,"un vaudeville", et semble rejoindre l'opinion générale des historiens: Catherine, la messaline russe. Lui ,Oleg, veut chercher en elle l'enfant, la petite princesse allemande. Son quotidien aux abattoirs de Léningrad ne l'aide pourtant pas à s'évader dans le monde du cinéma. Et puis ,son film doit passer la censure du CEAC, dans un pays qui ne laisse pas l'expression artistique libre.
Alors, il s'intéresse à tous ses amants et entreprend de prouver que Catherine fut aimée, ne serait-ce que par un seul. De Grigori Orlov avec lequel elle aura un enfant caché, au dessert de diamants chez Potemkine, tous les aspects de la vie de Catherine sont décortiqués.
On découvre alors une Catherine affamé, mais aussi pugnace, capable de se débarrasser des encombrants ( la maitresse de Potemkine, simple servante, sera emmurée vivante alors que la femme de son fils Paul jugée trop indépendante, sera empoisonnée !). Mais c'est l'autre visage de la Grande Catherine que révèle Oleg, celle qui a réellement aimé chacun de ses amants et s'est montrée une femme surprenante et forte, l'oeuvre de toute une vie...
Au contact de cette femme, c'est finalement Oleg qui se révèle, analyse sa propre vie, se laisse enfermer dans cette obsession...
En vrac et au fil des pages ...
C'est un récit assez étrange et en même temps fascinant que ce roman d'Andreï Makine. Etrange car on a du mal à comprendre le personnage principal Oleg, son obsession pour Catherine, le fait qu'il consacre sa vie à cette femme. Fascinant car il nous permet de poser un autre regard sur une figure historique méconsidérée par la plupart des historiens, ce qui dans le récit est souligné par l'indifférence des gens à l'égard du projet de Oleg.
Deux époques s'entrecroisent, le XVIII°S, ses philosophes, ses grandes figures mais aussi ses complots, rivalités pour le trône et entre les pays; et la vie d'Oleg dans la Russie communiste des années 80, le politburo, la censure, la jeunesse étudiante qui rêve de s'exprimer, la chute du mur de Berlin...Tous deux sont d'origine allemande, sans doute ce qui les réunit à quelques siècles de distance. Tous deux sont un temps incompris.
Mais Oleg ne se prive-t-il pas de sa propre existence en la vouant à une figure du passé ?
A ce sujet, la femme aimée est sans doute Catherine mais pourrait aussi être les femmes qui sont passées dans la vie d'Oleg, une allusion est ainsi faite au tout début de l'ouvrage : "Un vertige de bonheur: une femme aimée l'attend à l'autre bout du dédale communautaire...". Il parle de Lessia, que le lecteur ne peut que détester pour son caractère et les moqueries qu'elle lance sans cesse à Oleg. Plus tard ce sera Eva
J'avoue que par moments j'ai ressenti un peu de confusion à la lecture de ce récit. Avec le recul je me demande si l'auteur n'a pas voulu transmettre le cheminement d'Oleg, la confusion qui animait son esprit alors qu'il découvrait des pans de la vie de Catherine et se demandait quelle était la part de réalité et comment la fiction pouvait lui rendre hommage.
J'ai apprécié les remarques et changements au fil du temps, voir défiler Brejnev, Gorbatchev, Eltsine, comprendre que la Russie se relève peu à peu, change.
Cela m'a donné envie d'en savoir davantage sur cette femme et de replonger dans la Grande Russie. Je pense que cette lecture ouvre pour moi un cycle russe !