Une Part de ciel, Claudie Gallay

Une Part de ciel, Claudie Gallay, éditions Babel, 2014,570 pages

Genre : contemporain

Thèmes : fratrie, solitude, drame, hiver, isolement, communauté, enfance, résilience

 

L'auteur en quelques mots ...

Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L’Office des vivants (2000), Mon amour, ma vie (2002), Les Années cerises (2004), Seule Venise (2004, prix Folies d’encre et prix du Salon d’Ambronay), Dans l’or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008, Grand Prix des lectrices de Elle). Aux éditions Actes Sud : L’amour est une île (2010) et Une part de ciel (2013). (source)

L'histoire :

 

Peu avant les fêtes de Noël, Carole reçoit une boule à neige en verre et se rend aussitôt dans le village de son enfance, au coeur du massif de la Vanoise,où elle retrouve sa soeur Gaby et son frère Philippe. Eux-mêmes ont reçu l'objet, signe que leur père va revenir. Depuis toujours, cet homme fuyant crée une attente au sein de sa famille, apparaissant et disparaissant au gré de ses envies ou de son tempérament, envoyant une boule à neige quelques jours avant son retour. Lorsqu'ils étaient petits, les enfants vivaient cette attente à travers les gestes de leur mère qui préparait invariablement, tous les matins, un gâteau au chocolat pour le retour de son époux. Cela pouvait durer des jours ou des semaines. De ce souvenir, Carole garde, plus que les autres, une blessure, liée aussi au drame qui a bousculé à jamais leur famille, un incendie dont elle ne s'est pas remise et qui la freine dans son avancée.

Carole vit seule à St Etienne depuis que son mari l'a abandonnée et que ses filles ont quitté le nid. De retour dans son village natal, elle retrouve ses marques, ceux qu'elle a laissé derrière elle des années plus tôt. Chacun a avancé dans la vie avec ses projets : Philippe, garde forestier rêve de réhabiliter le passage d'Hannibal à travers les Alpes, le col franchit avec les éléphants; Gaby élève la môme qu'elle a adoptée alors qu'elle était bébé et dont nul ne connait l'origine. Elle attend Ludo, bandit qui s'apprête à sortir de prison et qu'elle aime pour ce qu'il est, ce qu'il lui apporte. Mais en attendant elle subvient aux besoins de l'adolescente dans un mobilhomme qui lui assure à peine de quoi survivre dans cette montagne rude.

La solidarité qui lie les habitants du bourg est sans faille et, malgré les animosités qui peuvent se faire sentir, chacun a trouvé sa place auprès des autres : le vieux Sam qui va fermer boutique après des années de service, son fils Jean qui travaille sur le chantier de la nouvelle piste et que Carole rêvait de conquérir plus jeune, Marius, le cadet d'une famille violente qui trouvera auprès de Gaby et la Môme l'attention dont il a besoin, la Baronne qui recueille tous les chiens abandonnés, les nourrit et rêve de monter pour eux un chenil, Francky qui tient la brasserie du village, voit passer tout le monde et a fondé des projets autour de la piste qui attirera des touristes... Tous marqués par une vie isolée, tous portant une faille et une belle âme en dedans.

Alors que Carole instaure un rituel autour de la photographie et trouve là un repos apaisant, la vie en montagne fait ressurgir le drame passé, les interrogations, les blessures liées à l'incendie qui a ravagé leur maison enfants et ne l'a jamais quittée. Pourquoi leur mère l'a-t-elle emportée, elle, et non sa soeur Gaby, en cherchant à extraire ses enfants de la maison? N'est-ce pas elle, Carole, qui l'a obligée à faire cela, au détriment de sa soeur, aujourd'hui malade des poumons ? Sa mémoire lui fait-elle défaut lorsqu'elle évoque ce souvenir ou bien l'a-t-elle recréé de toutes pièces ? Comment parler de cela à son frère et sa soeur sans rouvrir une plaie ?

En vrac et au fil des pages ...

Hannibal traversant les Alpes

C'est un beau roman que celui-ci. Je ne connaissais pas l'auteur mais j'aime sa plume, sans chichi, poétique et simple à la fois, juste.

Bien qu'une attente soit créée au départ avec ce retour du père, on comprend rapidement que l'essentiel n'est pas là et qu'il s'agit davantage d'un récit qui va nous entrainer au coeur d'une fratrie qui communique mal, qui a du mal à s'ouvrir, à créer du lien. Elargie aux personnages secondaires qui prennent finalement autant de place, elle constitue le noyau de l'histoire.

Le drame qui a bousculé leur enfance, cet incendie qui a ravagé leur maison et a obligé leur mère a faire un choix parmi ses enfants car elle ne pouvait les emporter tous, a créé une blessure béante en Carole. Elle qui s'est occupé de leur mère jusqu'au bout a toujours guetté dans ses yeux la réponse aux questions qu'elle s'est toujours posées : était-elle la préférée des soeurs ou bien ce souvenir qui la hante, ce moment crucial du choix, est-il une illusion ?

C'est donc aussi un roman sur la résilience, la capacité à dépasser un événement pour avancer, ce qu'ont su faire Philippe et Gaby bien que ce soient deux écorchés.

La vie dans ses montagnes est simple et rude, elle a forgé des caractères bien trempés mais humbles qui n'attendent pas de grandes choses mais savent observer, admirer. C'est une belle leçon de vie. Les personnages sont un peu bruts, rocailleux, mais ils sont aussi capables d'émotions plus fortes.

On reconnait en Carole les failles qui l'ont façonnée et l'on se demande si elle parviendra à pardonner, à se pardonner. Tous les personnages sont attachants parce que justement ils ne sont pas lisses.

Les paysages sont à la fois majestueux et inquiétants. La description de la dameuse qui se jette dans le vide enneigé et étoilé est à couper le souffle et l'on a la sensation de vivre cette émotion avec Carole. Le froid qui isole est aussi celui qui resserre les liens.

Et puis il y a cette folle histoire de parcours d'Hannibal à travers les Alpes, qui s'oppose au projet de piste de ski. J'ai eu envie d'en savoir davantage, bien que connaissant l'épisode, mais la fascination de Philippe et son fils pour ce passage de l'Histoire donne envie de se documenter.

Le fil conducteur entre les chapitres est assuré par la question qui revient sans cesse : Curtil reviendra-t-il ? et les photos que prend Carole, chaque jour à la même heure, rituel rassurant qui en dit long sur sa personnalité, ses manies et ses failles. Au fil des pages se construit alors le portrait de la jeune serveuse qui étend son linge chaque jour à 11h, ses absences créent le vide et sont en même temps révélatrices du temps qui passe, de ce qui perdure et disparait, de la place de Carole en ce lieu.

Je dirais que c'est un peu comme ces récits asiatiques qui sont beaux parce qu'il ne se passe rien. Sauf qu'ici il se passe tout de même quelque chose : les personnages réapprennent à s'aimer

A découvrir absolument ! 

 

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