Laver les ombres, Jeanne Benameur, éditions Babel, 2015, 157 pages

Genre : contemporain

Thèmes : danse, famille, secret, lien mère/fille, père, amour, épanouissement, résilience

 

L'auteur en quelques mots ...

Née à  Ain M'lila , en Algerie , en 1952, Jeanne Benameur arrive en France à l'âge de 5 ans et sa famille s'installe à La Rochelle. 

Professeure de lettres jusqu'en 2001, elle a publié chez divers éditeurs, mais particulièrement Denoël en littérature générale, et les éditions Thierry Magnier. Elle est également directrice de collection, aux Éditions Thierry Magnier et chez Actes Sud-junior.

Elle vit maintenant à Paris où elle consacre l’essentiel de son temps à l’écriture: théâtre, roman , poésie, nouvelles. Elle a reçu en 2001 le Prix Unicef pour son roman "Les Demeurées", l’histoire d’une femme illettrée et de sa fille (Denoël, 2000).

Jeanne Benameur fait partie de l’équipe de Parrains Par Mille, une association de parrainage d’adolescents désemparés. L’auteure fait d’ailleurs agir cette association auprès d’Adil, dans Adil, cœur rebelle.

En 2008, elle rejoint Actes Sud avec "Laver les ombres".

Elle reçoit le Prix RTL-LIRE 2013 pour "Profanes" et le Prix Libraires en Seine 2016 pour son roman "Otages Intimes".  (source)

L'histoire:

 

"Danser, c'est trahir l'espace.

Alors autant le faire avec la plus grande précision.

C'est la loi qu'elle s'est donnée. Il faut la tenir.

Danser c'est altérer le vide.

Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien ? Elle voudrait tant pouvoir juste contempler et habiter simplement, sans bouger. Elle envie ceux qui le peuvent. Elle, elle n,y arrive pas.

Elle est un mot étranger jeté dans une langue. Comme un mot tout seul jeté dans le silence. Elle se sent intruse. Depuis toute petite.

Alors elle danse (...) C'est sa façon de trouver place dans la vie.

Léa est chorégraphe par nécessité."

Régulièrement, Léa a cette sensation de "vivre avec des éclats de bombe sous la peau". D'où vient le fait qu'elle ne peut se donner à l'homme qu'elle aime, Bruno, peintre qui tente par ses approches de la réconcilier avec un corps qui lui échappe ?

La précision que Léa met dans chaque geste se révèle une carapace, un moyen de ne pas laisser sortir ce qui la ronge réellement. Comme les mots qui ne viennent pas, elle ne peut comprendre ce qui contraint son corps.

Il faudra ce spectacle autour de la mère, figure centrale de la danse, pour qu'elle réalise que la solution est là , sur le visage de sa mère, dans les non-dits.

Naples, 1940, Romilda est une jeune femme qui s'abandonne aux hommes de passage, aux soldats, par nécessité et par la volonté de son mari. Elle reste là, tentant de disparaitre, de ne pas penser à ce que l'homme qu'elle aime lui demande de faire. S'évader en pensée, le corps présent mais l'esprit ailleurs, loin.

Le lien qui unit Léa et Romilda est celui d'une fille et sa mère, deux corps qui furent liés et dont chacune a fait un instrument, pour oublier, pour ne pas penser. Alors que Léa se donne aux regards d'un public, Romilda ne peut accepter que des hommes observent le corps de sa fille, réminiscence d'un passé qu'elle ne parvient pas à oublier.

Mais il est temps et Léa a besoin de comprendre et de convoquer le souvenir de son père, un homme qu'elle a toujours idéalisé mais qui n'est sans doute pas celui qu'elle connait comme un père...

 

En vrac et au fil des pages ...

 

Cela faisait longtemps que je lorgnais du côté de Jeanne Benameur sans me lancer. 

XL, en me prêtant ce livre, m'a permis de découvrir une belle plume, recherchée, travaillée, qui fait la part belle aux émotions et parvient à souligner la blessure, la faille.

Le point de départ est assez classique et fascinant à la fois : comment peut-on porter en soi un choc, une blessure appartenant à l'un de nos parents ? Quelque chose qui peut nous bloquer, nous empêcher d'avancer, de nous épanouir, et dont l'origine est à chercher dans une autre génération. Lorsqu'il est temps d'ouvrir les vannes, de laisser parler pour comprendre, on ne s'attend pas à la déferlante qui peut tout emporter.

Ici il s'agit de création et de re-création. Léa a fait de sa vie une danse, mais de façon précise, sans que rien ne lui échappe de chaque mouvement. C'est dire qu'elle ne parvient pas à exprimer ce qu'elle a réellement en elle, pas de liberté de mouvement paradoxalement, dans cet art.

C'est un autre artiste, Bruno, qui va lui permettre d'aller plus loin. Lorsqu'elle pose pour lui, Léa ressent dans son corps cette gêne, cette agression que sa mère a connu alors qu'elle n'était qu'une jeune mariée.

Le lecteur est alors convié à découvrir le portrait de Romilda. 1940/41, des soldats défilent dans sa chambre. C'est juste pour le temps de la guerre, lui promet son époux. Et il tient parole. Sauf qu'entre temps, Romilda est un peu morte, détachée de ce corps dont il a fait une source de revenu. Comment se reconstruire ? Comment donner naissance à un enfant alors qu'on n'a plus l'impression d'être soi.

C'est une mère discrète, taiseuse, que Léa connait. Elle sait que l'explication est là mais ne s'attend pas aux révélations.

Il faudra désormais "intégrer le faux pas" à son art.

Où l'on comprend que l'on porte en son corps bien plus que sa propre histoire...

Je suis ravie d'avoir découvert une écriture poétique, qui colle parfaitement à l'histoire car aide à souligner la blessure, la souffrance et les émotions. Cela a aussi éveillé en moi des images de danse, comme la magnifique Pina Baush, c'est elle que j'ai vue en lisant. J'espère lire d'autres récits de Jeanne Benameur.

Retour à l'accueil