Dernière journée sur terre, Eric Puchner
Dernière journée sur terre, Eric Puchner, éditions Albin Michel, collection Terres d'Amérique, 2018, 269 pages
Genre : nouvelles contemporaines
Thèmes : enfance, famille, futur, absurde, dystopie...
Traduit par France Camus-Pichon
L'auteur en quelques mots ...
Professeur de littérature à l’université, Eric Puchner est l'auteur de La Musique des autres (Albin Michel, 2008), un recueil de nouvelles très remarqué à sa sortie, et Famille modèle, son premier roman (Albin Michel, 2011), qui a été unanimement salué par la critique et a bénéficié d'un formidable bouche-à-oreille. En deux livres seulement, il s'est imposé comme l'un des jeunes écrivains américains les plus doués de sa génération, réussissant à mêler hilarité et désespoir pour offrir une radioscopie bouleversante de l'Amérique d'aujourd'hui. (source Albin Michel)
L'histoire :
Dernière journée sur terre est un recueil de nouvelles
Couvée X
Baltimore en plein été : rien d'autre à faire que jouer au football américain dans les rues ,sous le bruit assourdissant des cigales qui envahissent tout. En pleine période de reproduction, ces insectes se donnent en spectacle, à la surprise des enfants: "le mâle meurt juste après et la femelle pond des oeufs dans un arbre". C'est aussi à ce moment-là qu'une nouvelle famille s'est installée dans le quartier. Venue tout droit de Californie, elle alimente déjà les potins, surtout ceux de la mère du narrateur, qui n'a de cesse d'épier ses voisins, remarquant chaque détail, comme un jardin mal entretenu. Mais le plus étrange est ce garçon, Jules, une cigarette toujours éteinte à la bouche, "pour rire", persuadé qu'il existe d'autres univers selon la théorie des mondes multiples, "un univers parallèle ou toi et moi sommes aussi en train de parler à cet instant, exactement la même conversation...". C'est en enfermant le narrateur dans sa cave qu'il compte le lui faire découvrir. Pourtant, quelques jours plus tard, lorsque le jeune garçon lui en reparlera pour le prendre en défaut, Jules ne comprendra pas de quoi il parle ...
Des monstres magnifiques
Un jeune garçon prépare le petit déjeuner pour sa soeur, lorsqu'il aperçoit une créature dans son jardin, en train de se régaler des fruits de leur pommier. Cet être ne ressemble pourtant pas exactement à ce qu'il a appris : grand, poilu, vêtu de haillons, il semble épuisé. Décidé à le chasser de chez eux, le garçon entreprend de l'effrayer avec sa carabine, mais la créature est blessée et se met à lui parler. Pris de pitié, le jeune garçon le fait entrer afin de le soigner et le nourrir, bien qu'il sache qu'il n'en a pas le droit. Car la créature est un homme, adulte, une espèce que l'on ne rencontre plus que dans les bois. Traqué, comme ses congénères, il tente de fuir et d'échapper aux enfants qui n'hésiteront pas à le tuer, comme ils l'ont fait pour d'autres avant lui. Car dans ce monde où seuls des enfants préprogrammés vivent, chacun sait ce qu'il a à faire et a été sélectionné à partir de compétences prédéfinies. Les quelques hommes et femmes qui existent encore sont traqués. Pourtant, aux côtés de ce Père, les enfants vont apprendre bien plus : les rires, les jeux, les émotions, tout ce qui semble avoir disparu de ce monde, jusqu'à ce que ...
Être mère
Après une tentative de suicide, Jess se retrouve chez sa soeur. Mais alors qu'elle pensait attirer l'attention, elle découvre que le mari de Margot est à l'hôpital , "il n'y avait qu'elle pour se faire voler la vedette par une tumeur au cerveau". Sa mission est toute trouvée :s'occuper des deux marmots, Floyd un petit garçon de 4 ans allergique aux arachides et sa soeur Ellory, fillette intellectuellement précoce. Jess, qui s'est toujours sentie inférieure à sa soeur, est connue dans la famille pour ses bourdes, ses passages à vide, ce que lui prouve encore ce séjour chez Margot. Elle découvre son surnom au sein de la petite famille: "Tatie Marteau" et se sent à nouveau rabaissée, y compris par Ellory. Pourtant, les souvenirs d'une enfance où les deux soeurs étaient proches, ne cessent de la hanter. Mais alors que, déguisée,elle accompagne les petits dans les rues pour Halloween, un des voisins, fort séduisant, la confond avec sa soeur. Elle découvre que cette dernière n'est peut-être pas aussi parfaite qu'elle en a l'air. Comment utiliser cette révélation à son avantage ?
Indépendance
Trois amis travaillent dans une petite librairie. Leur plaisir ? Trouver LE livre qui fera vibrer le lecteur. Et pour cela ils inventent des jeux, qui trouvera la meilleure référence, celle qui comblera la requête la plus improbable ? Pourtant, tout a basculé le jour où Rogelio a agrafé un tract sur la poitrine d'un client. Il faut dire qu'il l'avait bien cherché ce père de famille désireux de renouer avec son ado. Alors que le libraire ( le narrateur en l’occurrence) avait trouvé exactement ce qu'il lui fallait, l’homme avait sorti son portable et commandé sur Amazon le livre recommandé ! Comment peut-on à ce point manquer de respect au libraire, au livre ? Bien entendu Rogélio s'est fait virer. Pourtant il était l'âme de cette librairie, son coeur, sa pulsation...
Expression
Alors que ses parents partent en Europe, le narrateur est envoyé dans un camp pour jeunes artistes. Dépité par cette nouvelle, il va pourtant nouer avec Chet une amitié complice. Tous deux logés dans une chambre, ils découvrent l'autre à travers son art. pour Chet, c'est le trombone, instrument ingrat du point de vue du narrateur, que Chet fait pourtant résonner avec brio. Lui écrit et est persuadé de son talent depuis que sa prof de littérature l'a félicité pour sa nouvelle, "Massada de nouveaux-nés" dans laquelle elle a cru voir une intention qu'il n'a pourtant jamais eue. C'est la réalité qui l'inspire, ou plutôt qu'il plagie dans ses écrits, sans se rendre compte des conséquences que cela peut avoir sur la vie du campus. Car la vie de Chet l'intrigue en même temps qu'elle l'attire. A la lecture de passages de son récit, d'autres camarades comprennent qui est mis en scène dans cette fiction.Lorsqu'il comprend à son tour que ses mots, son histoire, largement inspirés de la vie de Chet, ne sont que sa vision déformée par son imagination, il est trop tard, le mal est fait...
Paradis
Kévin, professeur d'arts plastiques, n'a jamais voulu d'enfant. Sans doute voyait-il sa vie avec Charlotte comme une succession de possibilités infinies, de liberté. C'est pourtant face à un bébé de quelques mois qu'il doit faire face ce jour-là. Car Charlotte est là avec Arrow, leur fils. La jeune femme a changé et lui a préféré ce bébé dans une réponse à un ultimatum posé par Kévin: "lui ou moi". Pourtant la jeune femme n'a rien perdu de son attrait et Kévin ne cesse de penser à elle et d'imaginer ce que pourrait être leur vie. C'est pourquoi il a accepté de garder Arrow, pour qu'elle puisse se reposer, décompresser. Il doit regagner sa confiance, lui montrer qu'il peut être autre chose que ce fêtard invétéré, amateur de beaux arts, de modernisme, fréquentant la société des artistes. Mais sitôt Charlotte partie, ses vieux démons le rattrapent et la fête organisée par Druvi l'attire comme un aimant. C'est donc accompagné du bébé qu'il se rendra dans la maison huppée de Druvi, entrera dans la cocaine party organisée par son ami et s'apprêtera à replonger. A moins que ...
Trojan Whores Hate You Back
Réunis à nouveau, les membres du groupe Trojan Whores se retrouvent à bord d'un van, comme au bon vieux temps. Vieillis, acculés par la vie, probablement has been, ils se projettent sur scène pour un retour triomphal, une ultime tournée qui devrait leur permettre de faire le buzz et gagner un peu d'argent. Mais désormais, chacun a roulé sa bosse, Alistair est un homme affaibli par une bursite, Glenn passe son temps à lire la Bible comme si sa vie en dépendait et Vladimir est condamné à s'asseoir sur un coussin pour soulager ses hémorroïdes. Comment revenir sur scène ? Qu'à cela ne tienne, l'animateur du talk show a tout prévu : les faire passer pour impotents et, au premiers sons des accords de guitare, envoyer la musique comme autrefois et les laisser se déchainer sur scène. Les temps ont changé mais leur public les aime toujours. Alors que les souvenirs émergent, les premiers concerts, ce projet fou , comme une blague, les titres sulfureux ou provocants, leur jeunesse insouciante et féroce, Glenn semble porter une autre blessure ...
Là, maintenant !
"Le soir où il découvrit que sa mère était peut-être un robot, Josh écoutait depuis son lit les aboiements du beagle des Gutierrez dans le jardin d'en-face". Descendu dans la cuisine, il découvrit son beau-père en train de manipuler quelque chose dans le dos de sa mère, comme s'il ouvrait une boite et réparait un robot. Dès lors, Josh n'a qu'une obsession, vérifier que sa mère n'est pas un automate. Mais cette sensation étrange ne le quitte pas. Il faut dire que sa vie est perturbée depuis que son père a quitté la maison dans un éclat de violence, lui qui ne le voit plus et reçoit rarement des nouvelles. En pleine mutation adolescente, Josh s'interroge sur la vie, ses émotions, mais reste accroché à l'enfance, à ses cauchemars. Même son ami Bennett ne semble pas comprendre ce qu'il vit, entre fiction et réalité. Sa mère est-elle vraiment un robot ? Son ami Bennett est-il bien celui qu'il dit être ? Et lui, pourquoi est-il assailli par ces sentiments ? Que signifient ces sensations dans son corps ?
Dernière journée sur terre
Lorsqu'il était enfant, Caleb aimait plus que tout assister son père dans son quotidien avec les chiens de chasse, le voir préparer ses affaires, son thermos de café et partir chasser. Pus tard, lorsque la famille eut déménagé en Californie, son père cessa cette activité et les chiens, Shorty et Ranger, furent relégués dans un enclos au fond du jardin. "Mon père répétait qu'il allait leur trouver une famille d'accueil, mais c'est lui qui partit, nous laissant à la charge de ma mère- les chiens et moi" Dès lors la mère de Caleb s'enfonce peu à peu, tente de maintenir à flot sa famille alors qu'elle n'a jamais travaillé. Mais ce matin-là elle prit une décision : amener Ranger et Shorty dans un refuge pour animaux. Les chiens, le seul lien qui unissait encore son père au foyer familial. Caleb ne pouvait se résoudre à les envoyer dans un lieu où on les piquerait sans doute. C'est pourquoi il proposa un détour par la plage, une dernière journée de liberté, pour eux tous.
En vrac et au fil des pages ...
Dans cette suite de nouvelles, l'auteur propose deux fils conducteurs : l'enfance ou un regard sur l'enfance et la possibilité donnée aux personnages de prendre conscience d'un changement, d'une émotion dans leur vie.
Dans un genre différent, tantôt réaliste , tantôt futuriste, Eric Puchner nous amène à une réflexion sur notre comportement, notre rôle d'adulte et semble dire que les enfants nous poussent à changer, bouleversent la donne et montrent une nouvelle voie. Selon les personnages mis en scène, l'enfant est tour à tour, celui qui ouvre une nouvelle voie, suscite une émotion, offre, par sa vision simple de la vie, une bouffée d'oxygène. Il est aussi le garant des rêves que chaque adulte porte en lui, que l'on oublie parfois au fil du temps mais qui restent ancré.L'adulte devient celui qui devrait montrer l'exemple mais a perdu ce regard naïf, s'est perdu lui-même dans une vie qu'il pensait toute tracée.
Dans Couvée X c'est le pouvoir de l'imagination qui est mis en avant, comme seuls les enfants savent le faire. Mais des Monstres magnifiques nous invite à penser une société sans adultes. Puisque ce sont eux qui pervertissent le monde, pourquoi ne pas créer une société où seuls des enfants vivraient, avec leur regard naif, sans préjugés, sans pouvoir de destruction ? Mais l'adulte, bien que traqué, est celui qui va apporter aux enfants la révélation, les sentiments. C'est la nouvelle qui m'a le plus plu pour l'émotion qu'elle suscite.
Les suivantes sont plus réalistes, mais proposent à chaque fois une réflexion sur le regard que nous portons sur les autres, les liens d'amitié ou d'amour et ce que nous en faisons, le besoin des autres tout simplement. Cet autre qui nous ressemble et qui est en même temps si différent que cela nous trouble parfois, nous rend jaloux, nous pèse. L'adolescence, particulièrement difficile et cruelle, est l'étape de la perversion, celle qui fait sortir de l'enfance mais n'a pas encore la maturité nécessaire pour ne pas blesser. La conclusion est toujours que nous avons besoin des autres pour exister. Le point commun entre toutes ces nouvelles semble être la révélation qu'a, à un moment donné, un des personnages, une compréhension plus fine de ce qui advient.
Un aspect désenchanté parcourt ces nouvelles, un côté sombre qui est contrebalancé par l'enfance dans ce qu'elle a de plus simple, frais. Que l'adulte soit au seuil de sa vie ou qu'il s'agisse justement d'un jeune qui entre dans l'âge adulte, on remarque que la frontière avec l'enfance est mince mais fait basculer dans un autre monde où la noirceur est plus présente. Certains récits sont plus réalistes, d'autres comportement une part métaphorique. Ils constituent une série de portraits sans concession, un patchwork de la société.
Cela m'a donné envie de découvrir d'autres écrits d'Eric Puchner, notamment Famille modèle que j'espère lire bientôt.