Une douce lueur de malveillance, Dan Chaon, éditions Albin Michel, collection Terres d'Amérique, 2018, 527 pages

Genre : contemporain, récit psychologique

Thèmes : famille, meurtres, résilience, adolescence, drogue, drame, folie

Traduit par Hélène Fournier

L'auteur en quelques mots ...

Originaire du Nebraska, Dan Chaon est l’auteur de Parmi les disparus, Le Livre de Jonas, Cette vie ou une autreet Surtout rester éveillé, tous parus chez Albin Michel et salués par la critique. Dan Chaon enseigne à l’université à Cleveland (Ohio), où il vit aujourd’hui. Son nouveau roman, Une douce lueur de malveillance, a été consacré comme l’un des meilleurs romans de l’année par de nombreux quotidiens et magazines, dont le New York Times, le Washington Post et le Los Angeles Times. (source Albin Michel)

L'histoire :

"Un jour, au début du mois de novembre, le corps du jeune homme qui avait disparu sombra au fond de la rivière".

"Au cours de cette même période, de novembre à avril, Dustin Tillman s'était lui aussi laissé porter par le courant"

Pourtant la vie de Dustin est on ne peut plus banale : psychologue, marié, père de deux adolescents, bercé par le ronron de la vie quotidienne. Jusqu'à ce que sa cousine Kate lui annonce la libération de Rusty, après 30 ans de réclusion. Aussitôt les souvenirs de ce frère adoptif affluent, leur adolescence à Chicago, l'emprise de Rusty sur Dustin, son aura, son pouvoir de séduction, cette "douce lueur de malveillance" qui l'avait longtemps happé, jusqu'au meurtre de ses parents. Il était alors âgé de 14 ans et croyait sincèrement que Rusty était l'assassin, ce frère qu'il avait laissé entrer dans son intimité, celui qui lui avait appris tant de choses, mais éveillait en lui à la fois méfiance et fascination.

Il avait fallu toute la patience de Kate, dont les parents avaient aussi été assassinés ce soir-là, pour qu'il retrouve la paix et que Rusty soit incarcéré. Et voilà qu'il était libéré, grâce à une association qui le croyait innocent. Innocent ? Était-ce possible ? C'était pourtant bien Rusty qui les avait initiés aux rites sataniques, qui se droguait, qui avait évoqué le désir de tuer ses parents adoptifs pour partir vivre loin avec Dustin. Se pourrait-il que l'histoire soit différente ? Se pourrait-il que Dustin ait imaginé tout cela ?

Mais pour l'heure c'est la santé de sa femme, Jill, qui le préoccupe. Atteinte d'un cancer, il lui reste peu de temps à vivre. Imaginer la vie sans elle, pilier de la famille, mère attentionnée, lui semble impossible. Pourtant, elle s'éloigne déjà, laisse les garçons se débrouiller, vivre leur adolescence. Dennis, plus mature, pourra avancer. Mais qu'en est-il d'Aaron, influençable, plus fermé, dont les fréquentations semblent l'envoyer dans la mauvaise direction. Dustin ne parvient plus à communiquer sainement avec ses fils. Sans doute Jill aurait-elle dû leur parler, leur annoncer la maladie.

Enfermé dans ses préoccupations, Dustin entrevoit toutefois un ailleurs, un autre sujet d'intérêt en la personne d'Aqil, ancien flic, venu le consulter sous un faux prétexte afin d'obtenir son aide dans une enquête qu'il mène à son compte.  Des étudiants ont été retrouvés noyés, en diverses périodes, en plusieurs lieux. En apparence des suicides, ces décès sont toujours précédés de la disparition des jeunes, bien avant qu'on les retrouve. Pourquoi sa théorie selon laquelle les meurtres perpétrés sur des adolescents serait l'oeuvre d'un sérial killer, le fascine-t-elle autant ? Se pourrait-il qu'il y ait un lien entre ces décès en apparence dus au suicide, comme le prétend Aqil ? Comment lui, Dustin, en tant que psychologue, peut-il intervenir dans cette histoire ? Et jusqu'où doit-il s'impliquer ?

En vrac et au fil des pages ...

C'est avec un noeud à l'estomac que je ressors de cette lecture. Prenant, intrigant, glauque, difficile de qualifier ce récit qui joue avec nos nerfs, nous envoyant sur diverses pistes, pour mieux nous tromper. Car alors que l'on souhaite ardemment résoudre l'énigme du meurtre de la famille Tillman, on comprend peu à peu que ce n'est pas le plus important.

La psychologie des personnages assure des liens entre eux, mais aussi avec le passé. Chacun est une part du puzzle qui raconte une histoire familiale, mais aussi l'histoire de la fragilité des hommes, des jeux d'influence, de la folie peut-être.

Dustin Tillman a été traumatisé par le meurtre de ses parents. Mais avant cela, son attitude révélait une prédisposition à l'imagination fantasque, aux affabulations, un goût pour l'étrange,la fantasmagorie. Ses cousines, Kate et Wave s'en amusaient plus jeunes, lui faisant croire toutes sortes de choses. Mais c'est surtout Rusty, le frère adoptif de Dustin, dont le lourd passé comportait une part d'ombre non négligeable, qui révéla ce qu'il portait déjà en lui : une forme de schizophrénie, de décrochage, délié de toute émotion.

Le lecteur ne remet pas en doute les affirmations portées à l'époque à l'encontre de Rusty, car l'auteur a su nous le présenter sous un jour malveillant. Est-ce lui qui a mis le feu à sa première maison ? Que cherche-t-il en se rapprochant ainsi de Dustin ?

Mais d'un autre côté, se pourrait-il que cette libération anticipée, révèle une autre histoire dans laquelle Rusty ne serait pas le meurtrier ? Dès lors que le doute s'installe, nous naviguons dans la tête de chaque personnage, à la recherche d'indices.

Pourtant le passé n'est pas le plus important. L'avenir d'Aaron, adolescent de 16 ans, fils de Dustin semble compromis par la drogue, l'addiction , l'influence. Lui qui ne sait rien du passé de son père va être contacté par Rusty. Immédiatement , on se demande si ce rapprochement va mener à la perte de l'adolescent, ou bien si c'est lui qui parviendra à reconstituer le puzzle et mettre au jour la personnalité de chacun.

Car ce qui est surprenant dans ce roman, c'est que personne n'est celui qu'il prétend, tous portent une part d'ombre, de responsabilité et l'on ne sait où cela va nous mener. Bien entendu, passé la moitié du récit, on comprend que l'un des personnages tire les ficelles. Mais j'avoue que, même si j'avais compris cela, la fin m'a laissée surprise. Mais non ... mais ...ça ne peut pas finir comme ça !

L'écriture de Dans Chaon est également surprenante, et totalement raccord avec la personnalité tourmentée des personnages : la mise en page se présente parfois de manière hachée, à tel point que j'ai pensé qu'il s'agissait d'une erreur d'impression, mais Mr K ( blog : le capharnaum éclairé) m'a confortée dans l'idée que cela était voulu. Cela prend parfois la forme d'un tableau, comme si seule une disposition à plusieurs entrées pouvait rendre compte de la pensée multiple des personnages, essentiellement de Dustin.

L'expression "une douce lueur de malveillance" est distillée par Dan Chaon à plusieurs reprises, comme un jeu de piste pour nous faire comprendre que c'est la société entière qui est devenue folle. Il jongle avec les dates, les points de vue, d'un chapitre à l'autre.

Tout cela est à la fois perturbant et passionnant à découvrir. Je vous incite donc vivement à découvrir ce récit.

 

 

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