20 ans avec mon chat, Mayumi INABA, éditions Philippe Picquier, 2014, 195 pages

Traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu

Genre : autobiographie

Thèmes : chat, solitude, récit de vie, écriture, partage, amour, souvenirs, Japon

 

L'auteur en quelques mots ...

Née en 1950 à Saya et décédée en 2014, Mayumi Inaba est un poétesse japonaise, connue pour La Péninsule aux 24 saisons, récompensé en 2011 par le prix Tanizaki.

L'histoire :

"Année 1977, dans l'été finissant. Oui je suis presque certaine que c'était la fin de l'été. J'ai fait la rencontre d'un chat, ou plutôt d'une boule de poil, toute vaporeuse, comme une pelote de laine."

De ce jour, l'écrivaine Matumi Inaba garde un souvenir ému, car ce fut le début d'une belle aventure, une relation presque humaine avec Mî, une chatte abandonnée qui l'a accompagnée durant 20 ans, sans jamais se plaindre des conditions de vie souvent défavorable à l'animal.

En nous livrant le pouvoir qu'a eu l'écriture sur elle, Mayumi Inaba nous laisse entrevoir une vie riche qui la comble : "Ecrire ... C'était pour moi le moment le plus précieux.(...) J’avais déjà l'habitude de partager mon temps entre le travail pour vivre et celui pour écrire, en somme, ma journée était divisée en deux. Je repoussais la voix qui me demandait pourquoi, quelque chose faisait que je ne pouvais pas rester sans écrire, et après que mon mari s'était endormi, j'allumais la lampe de mon bureau et je restais des heures devant le papier. Alors, un autre monde naissait, ailleurs que celui de la vie de tous les jours, et il me semblait que les mots détenaient un pouvoir illimité". Ainsi naît sa vocation d'écrivain.

Au fil des pages, l'auteure nous livre le sentiment grandissant que cette chatte était là pour une raison précise, qu'il a été le vecteur de bien des changements et que sans elle, la vie aurait été différente. C'est en effet de son observation minutieuse, qu'est né le sens du détail , la nécessité du calme et de l'apaisement par l'écriture, chaque nuit, alors que l'animal vadrouillait, menait sa vie "sauvage", la sécurité de savoir les choses en place, de la voir aller et venir, "les heures sereines passées avec Mî". Rapidement sa présence est devenue indispensable, voire a supplanté la présence humaine du mari de Mayumi Inaba. Car, alors qu'elle apprend à découvrir et apprécier les habitudes du chat, qu'elle se reconnait même en lui, l'auteure s'éloigne irrémédiablement de son époux avec qui elle ne partage plus rien. Une blessure, certes, mais aussi un réconfort de savoir qu'elle peut vivre seule et assumer cette part d'elle-même qui réclame l'indépendance, comme si la seule présence de Mî lui avait insufflé ce courage.

" Au milieu de ma vie conjugale en train de se démanteler, un chat au visage serein était là,ignorant de ce qui se passait dans mon coeur. En face d'un être humain, je me serais plainte, nous nous serions affrontés, mais Mî ne disait rien et moi non plus.Pourtant nous nous comprenions."

"Combien de fois suis-je restée debout dans l'entrée, rassurée et attendrie par la tiédeur de la petite langue râpeuse qui me chatouillait... Je restais ainsi, triste et sans bouger, avec la chatte dans mes bras, et le sang irriguait à nouveau mon coeur glacé, en même temps je retrouvais les sensations dans tous les recoins de mon corps, et je m'apercevais que mes égratignures me faisaient souffrir"

Mais alors que Mî et Mayumi vivent heureuses dans le petit pavillon loué dans la banlieue de Tokyo, le fils des propriétaire revient s'installer dans les lieux. C'est le temps du déménagement, avec toutes les contraintes de la capitale, la vie en appartement, plus d'extérieur pour Mî qui adorait vadrouiller dans les herbes, une vue imprenable certes, mais le début de la déchéance pour la chatte.

La poésie qui rythme chaque chapitre, aporte la douceur de l'observation délicate de la vie de Mî dans son environnement, le regret de ne pouvoir lui offrir une vie meilleure, mais aussi l'assurance que Mayumi Inaba sera là jusqu'au bout, comme la chatte a assuré de sa présence les heures difficiles.

 

En vrac et au fil des pages ...

J'ai adoré ce récit, pas seulement parce que j'y ai retrouvé des sensations connues, des émotions liées à la présence de l'animal, mais parce qu'il est construit autour de ressentis exprimés tantôt par la poésie, tantôt par une observation fine de tranches de vie.

Cela nous révèle évidemment combien la présence d'un chat nous révèle à nous-mêmes, la façon dont on s'occupe d'eux et le lien qu'ils ont avec nous, alors que l'on pourrait les croire indépendants au point de ne pas éprouver de lien plus fort.  La présence de Mî a beaucoup apporté à l'auteure qui reconnait avoir puisé sa force en elle, mais l'on sent aussi combien cet attachement se mêle de reconnaissance lorsque Mayumi Inaba évoque les derniers jours de Mî et décide d'être présente à chaque instant, comme pour la remercier.

La poésie, comme les haikus, est parfaitement adaptée à l'observation des détails, des sentiments, de l'environnement. Rapidement, on comprend que tout tourne autour de ce chat, y compris les choix faits par l'auteure. Finalement, elle se reconnait en cet animal, indépendant, présent, réconfortant.C'est fou comme les chats sont associés aux livres, ici à l'écriture, comme s'ils étaient là pour cela, à la fois inspiration et révélateurs.

Je dois avouer que la fin est poignante, mais elle révèle combien nos animaux de compagnie sont bien plus que cela et comme leur disparition créée un vide irremplaçable.

Ce récit nous entraîne aussi dans les habitudes de vie japonaises, la vie trépidante de Tokyo et la difficulté à avoir un animal dans la capitale, les propriétaires refusant bien souvent l'animal. L'auteure s'en insurge face aux agences qui lui refusent certains logements. C'est d'ailleurs à cause de cela qu'elle se retrouvera dans un appartement au 4ème étage, sans jardin pour Mî, une concession dont la chatte ne se remettra pas. Pour cela le récit est construit en deux temps, la vie avant le déménagement, plus joyeuse sans doute, porteuse de bien des changements mais aussi de l'aboutissement d'un projet personnel: l'écriture, et la vie après le déménagement et la déchéance de Mî, mais aussi l'amour inconditionnel que l'une et l'autre se portent.

 

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