Parfum de glace, Yoko Ogawa, éditions Babel, 2004, 302 pages

Traduit du japonais par Rose Marie Makino-Fayolles

Genre : récit contemporain

Thèmes : deuil, parfums, senteurs, famille, mémoire, passé

 

L'auteur en quelques mots ...

Retrouvez la biographie de l'auteur sur les billets suivants :

La Formule préférée du professeur

Cristallisation secrète

 

L'histoire :

"Gouttes d'eau qui tombent d'une fissure entre les rochers. Air froid et humide d'une grotte."

"Réserve de livres hermétiquement fermée. Poussière dans la lumière."

"Frasil sur un lac à l'aube."

"Mèche de cheveux d'un défunt formant une légère boucle."

"Vieux velours passé qui a gardé sa douceur."

 

Lorsqu'elle apprend que son compagnon, Hiroyuki, s'est suicidé sur son lieu de travail, un laboratoire de parfumeur dans lequel il effectuait ses recherches, Ryoko ne parvient pas à y croire. Dès lors, les derniers mots de Hiroyuki, laissés sur une disquette, deviennent une énigme à résoudre pour comprendre son geste. En rencontrant son frère, Akira, elle réalise qu'elle ne savait rien de ce garçon avec qui elle vivait pourtant, lui qui disait ne plus avoir de famille.

Ryoko entreprend alors de partir sur les traces de son âme soeur, entre Tokyo et Prague, pour reconstruire un passé dont elle n'a jamais rien su mais qui a peu à peu détruit Hiroyuki. Guidée par le dernier parfum qu'il a composé et ces phrases énigmatiques, rédigées à la manière d'un haiku, elle comprend que "ce sont des images d'odeurs mises en mots". De rencontres en souvenirs, Ryoko va faire revivre son compagnon à travers les paroles de sa mère, de son frère Akira, ou d'un vieux gardien de paon.

Qui est ce jeune homme féru de mathématiques, participant à des concours internationaux et classé parmi les génies de la discipline ? Pourquoi n'a-t-il jamais parlé de sa famille ? Mais surtout pourquoi s'est-il réinventé une vie, à l'opposé de son adolescence à Tokyo ?

En vrac et au fil des pages ...

J'aime beaucoup l'écriture sensible de Yoko Ogawa. Elle parvient si bien à mettre en mots une émotion, une ambiance ou ici un parfum, que l'on est tout de suite submergé par les ressentis des personnages. Comme souvent dans ses oeuvres, elle traite ici de la disparition, des traces laissées par le personnage disparu, comme autant d'indices d'une vie passée. Mais ici c'est une vie à reconstruire, car Ryoko comprend que l'homme avec qui elle a pourtant vécu, ne s'est jamais livré à elle sur son passé.

Au fil des pages on ressent toute la douceur de leur union, basée sur un immense respect de l'autre. Aussi lorsque Ryoko entreprend ce voyage à Prague, là où la vie de Hiroyuki a basculé, le lecteur est impatient de comprendre, de mettre bout à bout les éléments donnés pour reconstruire le portrait du jeune homme.

Le fil conducteur est le parfum et j'ai pris plaisir à retrouver des émotions ressenties à la lecture du Parfum de Suskind. Hiroyiko est ce que l'on appelle un nez, mais est doué de capacités hors norme qui lui permettent de reconstituer une senteur, d'en analyser toutes les composantes. On comprend rapidement que la quête de sa vie est liée à un souvenir, qu'il a souhaité reproduire dans un parfum, et que parvenu à cette création, sa quête enfin accomplie, il s'est donné la mort car il ne restait rien à faire. Cette révélation nous apparait dans toute son émotion et sa poésie, au terme d'un périple à Prague au cours duquel Ryoko refait le chemin emprunté par son compagnon, comme guidée par lui. La langue n'est plus un frein, seules les sensations comptent et les passages où elle se laisse porter, à la découverte de cet autre qui était auprès d'elle chaque jour, sont magnifiques.

"Dès l'instant de notre rencontre, j'avais compris le décalage entre le monde où il était et celui où il n'était pas".Ce personnage que l'on ne rencontre que par le souvenir que les autres en ont et les multiples indices laissés sur sa vie, nous apparaît comme un être distant, perdu dans une sorte de rêverie ou de nostalgie, comme vivant dans sa propre bulle. Sa vie était guidée par les parfums, les senteurs,

"Toi évidemment, tu as l'odeur de quelqu'un qui écrit.

- C'est désagréable ?

-Non, au contraire. A la base il y a le papier.Des cahiers remplis de mots qui se bousculent.D'épais dossiers conservés dans un coin de bibliothèque. Une librairie presque déserte en fin d'après-midi. Avec un mélange de gomme et de mine de crayon. (...) Je ne peux pas prédire l'avenir. Le parfum est toujours dans le passé, vois-tu"

Finalement, ce qu'elle va découvrir va la conforter dans sa perception de cet être, "Dans ce cas je comprenais. Peut-être que Hiroyuki était déjà mort bien longtemps avant de me connaitre". Pour autant ce n'est pas triste car ce jeune homme qui a longtemps été dirigé, manipulé par sa mère, qui a toujours cherché un sens à sa vie, a pu transmettre à sa compagne la mémoire de son plus beau souvenir.

 

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