L'Ours est un écrivain comme les autres, William Kotzwinkle
L'Ours est un écrivain comme les autres, William Kotzwinkle, éditions 10/18, 2016, 285 pages
Genre : roman contemporain
Thèmes : littérature, édition, satire, humour, écrivain, écriture
Traduit de l'américain par Nathalie Bru
L'auteur en quelques mots ...
Malgré une bibliographie assez ample, William Kotzwinkle reste connu pour la novelisation du scénario de E.T. l'extra-terrestre, le roman Fata Morgana et la série de romans jeunesse Walter le chien qui pète. En octobre 2014 sort une nouvelle traduction d'un de ses romans les plus extravagants, L'ours est un écrivain comme les autres, aux éditions Cambourakis, réédité en livre de poche chez 10/18 en 2016.
L'histoire
"- Vous avez vraiment vécu, dit-elle.
- Dans une caverne." Il sirotait son miel, pas le moins du monde gêné par son aveu, maintenant qu'il avait compris que les gens entendaient toujours autre chose que ce qu'il cherchait à leur dire. (...)
Elle eut le sentiment qu'il essayait de lui enseigner quelque chose d'important. "Une caverne ?
- L'hiver.
- Vous faites référence à Platon ? A son mythe de la caverne ? "
***
Alors qu'il a cessé ses fonctions d'enseignant universitaire pour se consacrer à l'écriture d'un roman, Arthur Bramhall se réfugie en plein cœur de la forêt, loin de toute activité humaine. Son premier récit ayant disparu dans l'incendie de sa maison, le professeur entreprend de cacher son oeuvre au pied d'un arbre, espérant ainsi le protéger. C'était sans compter sur la perspicacité d'un ours de passage qui, dans un premier temps décidé à trouver de quoi se sustenter, flaire là l'occasion de devenir riche et de s'acheter toutes les sucreries rêvées. Car notre ours est lettré, doué de raison et, par dessus tout, gourmand.
Décider de devenir un auteur à succès nécessite pourtant quelques ajustements : un pseudonyme digne de ce nom, une apparence humaine et un sens aigu de la communication. Désormais renommé Dan Flakes ( en hommage aux célèbres céréales), l'ours se glisse dans un costume et entreprend de s'adapter au monde de l'édition qui voit en lui un futur écrivain de best-seller. Son comportement instinctif, l'économie de mots dont il fait preuve et l'animalité qu'il dégage font merveille. Rapidement adopté comme la nouvelle coqueluche de New York, le nouvel Hemingway, Dan Flakes, qui ne perd pourtant rien de son instinct d'ours, découvre les petits bonheurs et les travers de l'humanité. Alors que son instinct est toujours bien vivace, Dan Flakes flaire les nombreux dangers que recèle la ville. Pourtant, bien que l'appel de la forêt semble réapparaître par moments, sa nouvelle vie le propulse dans un monde étonnant à bien des égards, où ses prouesses sexuelles et sa posture sauvage lui valent un succès fou.
Pendant ce temps, Arthur Bramhall qui se morfond dans les bois, se rend compte qu'il perd peu à peu son humanité, au profit de sens aiguisés et d'une force digne d'un ours. Conscient qu'il vient à nouveau de perdre l'occasion de quitter son poste d'enseignant pour être édité, il découvre une autre vie, sauvage, instinctive, qui l'éloigne de la réalité professionnelle triviale.
La vie de Dan Flakes et d'Arthur Bramhall a-t-elle pris un tournant définitif ?
En vrac et au fil des pages ...
Cette satire sociale pleine d'humour nous invite à nous débarrasser de notre raison, pour entrer dans un univers loufoque et pourtant terriblement lucide sur la réalité de notre époque.
Le milieu littéraire est ici largement égratigné : sa superficialité, ses faux-semblants, rappellent que l'on peut "être quelqu'un" comme le répète Dan Flakes, puis retomber dans l'oubli, selon le bon vouloir des medias, des maisons d’édition.
Le récit de William Kotzwinkle invite également au retour à la simplicité. C'est ici la nature qui tient le rôle de rappel à l'ordre, comme un retour aux sources, aux origines de l'écriture.
Si le roman d'Arthur Bramhall a tant de succès, c'est qu'il propose tout cela, une écriture instinctive, en harmonie avec la nature, loin des contraintes de la civilisation, ce qui convient aussi parfaitement à la vie de l'ours qui reconnait en cela des valeurs sûres. Le milieu universitaire est lui aussi critiqué, à travers le personnage de Penford, auteur d'une thèse sur le nombre d'occurrence de "comme" dans l'oeuvre d'un auteur contemporain, travail qu'il estime hautement utile !
L'originalité du récit consiste à faire accepter au lecteur que nous sommes dans une fable, qu'un ours peut tout à fait endosser le rôle et le comportement d'un humain, et qu'un humain peut retourner à l'animalité, sans que cela ne choque les personnages qui les entourent. Se cache là dessous une critique de l'humain qui ne cherche pas à aller plus loin que les apparences, mais aussi l'éloge d'un retour à la nature qui nous replacerait juste là où l'on doit être. Car si l'ours plait tant dans le milieu littéraire, c'est qu'il en bouleverse les codes et apporte une brassée de nouveauté, d'air frais, de simplicité qui séduit. Inversement, l'homme qui perd le sens de sa vie retourne à l'état de nature, retrouve un instinct animal qui le guide ( peut-être l'auteur se moque-t-il des deux !).
Cela donne des situations cocasses, des quiproquos hilarants lorsque les propos de l'ours sont mal interprétés par les humains et un plaisir de lecture que je tiens à partager. Entre un ours attiré par des humaines sans poil et un humain qui, poussé par son instinct, part vivre dans une grotte, l'auteur s'amuse à inverser les codes. Un petit plaisir de lecture !