84 Charing Cross Road, Hélène Hanff
84 Charing Cross Road, Hélène Hanff, Le livre de poche, 2011, 160 pages
Genre : récit par lettres
Thèmes : livres, guerre, écriture, rationnement, amitié, librairie
L'auteur en quelques mots ...
Ecrivain américaine née à Philadelphie en 1916, Hélène Hanff est auteur de pièces de théâtre et a également écrit des scénarios pour la télévision. D'abord la protégée d'une des coproductrices de la Teater Guild, elle ne connut jamais le succès, ses pièces ne furent jamais jouées. Elle vécu dans une grande misère, cumulant les petits contrats. Dès 1949 elle se lance seule dans une entreprise folle : acquérir une culture classique solide. C'est dans ce contexte qu'elle contacte la librairie anglaise Marks and Co. Cette correspondance durera 20 ans. En 1969 Hélnene Hanff se dit que ces échanges pourraient donner lieu à une petite histoire sympathique et les confie à un ami chargé de les abréger. ce dernier les livres telles quelles à un éditeur qui se propose alors de les publier sous le titre 84 Charing Cross Road. Ce n'est qu'avec la publication de sa correspondance avec la librairie Marks and Co qu'elle fut reconnue. En 1971, lorsque paraissent ces lettres, Hélène Hanff ne croit pas au succès, pensant qu'il ne s'agit là que d'une correspondance professionnelle. Mais grâce à la sortie du livre en Angleterre elle peut enfin se rendre à Londres pour la première fois, sur les lieux qu'elle n'a connu qu'à distance.Le livre est pourtant adapté au cinéma en 1987, avec à l'affiche Anthony Hopkins dans le rôle de Franck Doel et Anne Bancroft dans ce lui de l'auteur.
L'histoire
" Marks and Co
84, charing cross road
Londres, W C 2
Angleterre
Messieurs,
D'après votre publicité dans le Saturday review of literature, vous êtes spécialisés dans les livres épuisés. L'expression "librairie en livres anciens" m'effraie un peu parce que, pour moi, "anciens" est synonyme de "chers". Je suis un écrivain sans fortune mais j'aime les livres anciens et tous ceux que je voudrais avoir sont introuvables ici, en Amérique (...)".
Ainsi débute la correspondance entre Hélène Hanff et la librairie Marks and Co, sise en Angleterre, à Londres . Dès le départ, l'auteur impose un style, une personnalité bien à elle, directe et non dénuée d'humour. Les livres que recherche Hélène Hanff sont généralement épuisés chez les édieurs et participent tous de la culture classique, de Platon aux poèmes de Wyatt en passant par la Bible. Rapidement les initiales qui signent les lettres de la librairie se tranforment en un nom F.Doel, puis un prénom, Franck, signalant au fil des pages le lien qui s'installe entre les correspondants.
La franchise de l'auteur étonne mais crée rapidement une ambiance sympathique: "Eh, Frank Doel, qu'est-ce que vous FAITES là-bas ? RIEN du tout, vous restez juste assis à ne RIEN faire. Où est Leigh Hunt ? Où est l'anthologie d'Oxford de la poésie anglaise ? (...) vous me laissez tomber et j'en suis réduite à écrire des notes interminables dans les marges de livres qui ne sont même pas à moi mais à la bibliothèque. Un jour ou l'autre ils s'apercevront que c'est moi qui ai fait le coup et ils me retireront ma carte". L'usage des majuscules donne le ton !
Le style oralisé ajoute à l'humour qui se dégage des pages et l'on imagine une Hélène Hanff qui sait ce qu'elle veut, ne craint pas de le dire et est surement très dynamique :
" il a une édition originale de l'Université de Newman pour trente balles et il demande innocemment si je la veux !
Cher Frank:
Oui, je la veux. Je ne pourrai plus me regarder dans une glace. Je ne me suis jamais intéressée aux éditions originales en tant que telles, mais une édition originale de CE livre-là ! Bon sang !"
Le plus surprenant sans doute est de voir comment Frank Doel prend ces écrits, avec humour et se plie aux demandes de son interlocutrice. Une amitié naitra de ces lettres qui emportera toute la librairie dans son sillage. Rapidement Hélène Hanff fait parvenir en Angleterre des colis contenant la nourriture qui fait défaut en cette période de rationnement : " je tiens à ajouter que tout ce qu'il y avait dans ce colis est introuvable ici ( ou alors on ne peut se le procurer qu'au marché noir). C'est vraiment très gentil et très généreux de votre part de penser à nous comme ça".
D'autres employés écriront à Hélène Hanff pour la remercier puis pour demander des nouvelles, établissant avec elle une correspondance amicale et reconnaissante et tous attendent sa visite. Mais elle ne viendra pas, non pas faute de temps mais faute d'argent. Car l'auteur avoue vivoter entre quelques scenarios pour la télévision et des écrits historiques qui lui sont commandés. On ne comprend réellement sa situation que lorsqu' un correspondant insiste pour qu'elle cesse de dépenser ses maigres gains dans des colis de nouriture qu'elle leur envoie.
La dernière lettre, en date du 8 janvier 1969 sera rédigée par Joann Todd, secrétaire de la librairie, annonçant une bien mauvaise nouvelle qui mettra fin à la correspondance entre Hélène Haff et Frank Doel. Au terme de cet échange épistolier, une dizaine de personnes auront participé à ces échanges.
En vrac et au fil des pages
Il faut prendre ce recueil de lettres pour ce qu'il est , sans chercher à y voir un roman. Les échanges sont véridiques, non remaniés et soulignent la singularité d'une correspondance qui s'est étalée sur 20 ans.
J'ai particulièrement aimé le décalage entre le franc parler d'Hélène Hanff et la réserve toute britannique de Frank Doel. C'est ce qui fait le charme de ces écrits. Bien sûr la dimension historique est présente et l'on en apprend beaucoup plus sur l'Angleterre entre 1949 et 1969 que sur les Etats-Unis. Le rationnement a été maintenu en Angleterre jusqu'en 1953, ce qui explique la joie des correspondants à l'ouverture des colis, le bonheur de régals en famille grâce à cette mane généreuse. Cependant quelques remarques bien senties soulignent l'opinion de l'auteur sur son propre pays : " Je vous envoie des amitiés d'Amérique, même si l'Amérique est une amie traitresse qui déverse des millions dans la reconstruction du Japon et de l'Allemagne et laisse l'Angleterre mourir de faim".
Entre eux deux s'établit une amitié intellectuelle qui vaut par la proximité ressentie dès le premier écrit. La femme de Frank expliquera plus tard que Frank se reconnaissait totalement en Hélène, sa verve et son humour.
On découvrira dans ce recueil une multitude de titres, souvent méconnus, auxquels Hélène Hanff fait référence comme étant le socle de la culture littéraire anglophone. Mais c'est Arthur Quiller Couch, qu'elle appelle Q dans ses lettres, qui lui a permis de découvrir la littérature anglaise. Pas de référence de romans car , comme elle le précise avec humour, "je ne peux jamais m'interesser à des choses qui ne sont pas arrivées à des gens qui n'ont jamais existé". Pourtant, en fin de correspondance on trouve une référence à Jane Austen qui a apparemment réussi à obtenir gain de cause auprès d'elle, Orgueil et Préjugés qui l'envoûte au point qu'elle souhaite lire ses oeuvres complètes. C'est cet enthousiasme pour la littérature, le savoir, qui m'a le plus plu, puis la personnalité très directe d'Hélène Hanff.
Les lettres sont truffées de pépites, de petits moments d'émerveillement littéraire, surtout lorsque les employés de la librairie se prennent à imaginer la correspondante de Frank et avouent écrire dans son dos, car il garde jalousement cette cliente, puis cette amie, pour lui. Mais c'est peine perdue car l'enthousiasme de l'auteur gagnera toute la librairie !
J'avoue avoir découvert avec plaisir une mauvaise habitude de lecture que j'ai aussi et qui fait souvent horreur : les petites notes portées dans les marges ! "des petits points au crayon pour attirer l'attention d'un amateur de livres qui n'est pas encore né sur les meilleurs passages". Puis le plaisir de lire des livres d'occasion, lorsque la page "s'ouvre toujours d'elle même aux meilleurs endroits et le fantôme de son précédent propriétaire attire mon attention sur des choses que je n'avais jamais lues(...)"
Le plus intéressant est sans doute de lire l'histoire de cette correspondance , en fin d'ouvrage, dans le petit dossier proposé par l'éditeur et qui reprend la vie d'Hélène Hanff. On replace alors les lettres dans leur contexte, imaginant la vie des uns et des autres. C'est le lecteur qui construit son propre roman à partir de cette correspondance.
Inévitablement on pense au Cercle littéraire des amateurs d"épluchures de patates qui proposait aussi un petit côté désuet et délicieux. Puis à l'heure où l'on parle de la mort des libraires, ce petit livre nous rappelle que rien ne vaut le conseil éclairé d'un libraire ou d'un bouquiniste ...