Baguettes chinoises, Xinran
Baguettes chinoises, Xinran, éditions P Picquier,2008, 335 pages
Genre : roman, témoignage
Thèmes : condition des femmes, ruralité, discrimination, émancipation
L'auteur en quelques mots ...
Xin Ran est une journaliste chinoise née en 1958 à Pékin. Pendant la révolution culturelle, elle est enlevée par les gardes rouges et envoyée dans un orphelinat avec son frère, leurs parents, jugés réactionnaires, ayant été emprisonnés. En raison de son milieu aisé, elle ressent vivement les souffrances imposées par le régime communiste. A 15 ans elle se lance dans les relations internationales et commence à écrire. Dans les années 1980, les autorités chinoises font appel à des militaires formés au journalisme afin d'animer des émissions de radio, des débats. Xin Ran qui occupait jusqu'alors un poste de civil à l'université, dans l'armée, décroche le poste en 1989 et entame alors une carrière de journaliste. Elle animera cette émission , Mots sur la brise nocturne, pendant une dizaine d'années , recevant des appels de femmes et débattant à l'antenne de leurs problèmes, puis s'installera à Londres. En 2004 elle fonde l'association Mother's bridge of love entre la Chine et d'autres pays. La situation des femmes en Vhine est au coeur de ses ouvrages qui se présentent comme des romans ou des documentaires : Chinoises, Baguettes chinoises, Funérailles célestes, Messages de mères inconnues.
L'histoire
" Dans un petit village au nord de la province de Shanxi, j'avais entendu dire qu'une femme s'était suicidée en avalant un pesticide parce qu'elle n'arrivait pas à donner naissance à un garçon (...) j'ai interrogé son mari pour savoir ce qu'il ressentait. "On ne peut pas leur en vouloir, m'a-t-il dit sans le moindre ressentiment, ils ne veulent pas attraper la poisse. Et puis c'est sa faute à elle si elle n'a su mettre au monde qu'une poignée de "baguettes" et aucune" poutre".7
XinRan a recueilli pendant des années le témoignage de femmes vivant dans les campagnes chinoises, soumises à l'autorité masculine et au diktat d'une société dans laquelle le déshonneur submerge une famille qui n'a pu assurer sa descendance en donnant la vie à un garçon. Alors que la polititque de l'enfant unique régente la vie des citadins, les ruraux évoluent dans un tout autre monde où les filles sont désignées comme des "baguettes" "fragiles ustensiles dont on se sert tous les jours", alors que les hommes sont "considérés comme les piliers sur lesquels repose le toit du foyer", "les poutres.
Aujourd'hui Nankin est une grande ville mais à la fin des années 90 elle avait encore des airs de ruralité. Pourtant ,pour un habitant ds campagnes ,c'était déjà une ville évoluée qui surprenait par sa vivacité et ses commerces.Au moment où débute cette histoire, en 2001, la place du Grand Saule accueillait des hommes qui venaient jouer aux échecs, des femmes qui épluchaient leurs légumes et tous devisaient sous l'arbre,refaisant le monde. C'est ici que "Trois" , ainée d'une fratrie de six filles, arriva pour la première fois, désemparée après s'être enfuie du foyer familial où son père voulait la marier à un homme du village. Sous la protection de son oncle, elle rêve d'achapper à un destin qui ne lui correspond pas car fera d'elle une femme avilie. Mais Dame Tofu veille au bien être de ses protégées; elle qui a su créer un commerce qui prospère chaque jour et connait bien le sort des femmes en Chine. Avec son aide et celle de ses amis, Trois trouvera un emploi dans un restaurant où elle saura faire montre de ses talents. Bientôt ses soeurs , Cinq et Six, la rejoindront et leur père devra reconsidérer son point de vue : des baguettes peuvent aussi ramener de l'argent à la maison. Pourtant Trois, pionnière dans l'émancipation des femmes de la famille, mais blessée par une peine de coeur, sera celle de la fratrie qui portera le lourd fardeau qui accable les femmes...
En vrac et au fil des pages ...
Entre roman et témoignage, le livre de Xinran nous entraine au coeur de la Chine rurale où la politique de l'enfant unique a peu de prises. Là, une autre conception de la famille domine les rapports hommes/femmes. Ces dernières, contraintes de donner naissance à un garçon afin d'être considérées , peuvent être tenues pour responsable du déshonneur de la famille.
Cet ouvrage n'est pas à proprement parler un livre sur l'exode rural mais sur l'émancipation des femmes chinoises et le poids tenace des traditions, comme le montre la fin du roman aux tonalités pessimistes. L'histoire part de témoignages réels confiés à Xinran, journaliste, durant des années par des femmes en détresse, par le biais de rencontre ou de son émission de radio. Je regrette toutefois que cet écrit ne soit pas présenté comme un documentaire car l'auteur semble hésiter entre deux formes, ce qui fait perdre un peu de crédit à l'ouvrage. Le fond réaliste tient une large place mais le côté romancé ne parvient pas à entrainer le lecteur dans une histoire qui pourrait être émouvante. Les écueils rencontés par les jeunes femmes témoignent d'une Chine peu encline à considérer les femmes comme l'égal de l'homme et en même temps d'une évolution positive avec l'image de ces femmes émancipées qui mènent leur vie comme elles l'entendent et bravent le regard masculin. Cette Dame Tofu est en ce sens remarquable de courage et de tenacité.
Les dialogues sont simples, voire simplistes, mettant en avant la naiveté des campagnardes. On ne parvient pas à s'attacher à elles tant leur comportement enfantin et ingénu donne envie de les secouer un peu. Il faut dire que leur dénomination, Trois, Cinq, Six, m'aide pas, même si l'on voit bien l'intention de l'auteur de déshumaniser ces jeunes femmes en insistant sur le prénom accordé par le père pour qui elles ne son rien. En même temps cela dépeint une réalité : deux mondes coexistent qui ne se connaissent pas. le choc des cultures à l'intérieur d'un même pays va souligner la difficulté à sortir d'un carcan bien ancré par des années de brimades, comme si cela était inscrits en elles. Un souffle d'espoir mais aussi une grande désillusion font de ce roman un bon documentaire, soulignant ce que l'auteur dit de son écriture : "Je me considère beaucoup plus comme une journaliste que comme un auteur de fiction".
Il me semble que son livre Chinoise doit être plus abouti car prend réellement la forme de témoignages, livrant les différents aspects de la vie des femmes et le poids du fardeau de la tradition.