Charlotte, David Foenkinos
Charlotte, David Foenkinos, éditions Gallimard, 2014, 224 pages
Genre : roman
Thèmes : Charlotte Salomon, femmes, destin, peinture, guerre, shoah
L'auteur en quelques mots ...
Né en 1974 David Foenkinos est un écrivain français.Etudiant parallèlement les lettres à la Sorbonne et le Jazz, il choisit le professorat de guitare. Son premier roman est publié en 2001 : Inversion de l'idiotie, de l'influence de deux polonais et reçoit le prix Mauriac. Il a depuis écrit 16 romans, une pièce de théâtre et réalisé deux films. Ses oeuvres les plus connues restent La Delicatesse et En cas de bonheur. Il analyse dans ses romans le caractère amoureux, thème que l'on retrouve chez un cinéaste qu'il affectionne, Albert Cohen.
L'histoire :
Charlotte Salomon, Vie? ou théâtre ?
"Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe.
Elle n'est donc pas la première Charlotte"
C'est l'histoire d'une destinée, celle de femmes d'une même famille qui se suicident, ne peuvent accéder au réel, éprouvent le fardeau de la vie. Mais Charlotte n'est pas de celles-là et bien qu'on lui ait caché les conditions du décès de sa mère, elle ressent pour la vie un immense amour. Sa grand-mère ne s'est jamais remise du décès de sa fille, elle même prénommée Charlotte. C'est un sujet tabou dont Charlotte ne découvrira le fin mot que bien plus tard.
En grandissant Charlotte va s'intéresser à la peinture, parvenir à entrer à l'école des beaux arts et y révéler son talent avangardiste. Elle doit pourtant cacher son nom, ses origines car les nazis sont au pouvoir et Charlotte est juive. Elle connait ses premiers émois amoureux avec un professeur de musique venu pour travailler avec sa belle mère cantatrice et qui restera sa source d'inspiration, son unique aamour. Mais elle vit à Berlin et l'exil nécessaire à sa survie approche .Expatriée en France elle consacrera le reste de sa vie à la peinture, une fuite en avant symbole d'une époque troublée, comme une urgence à inscrire son nom pour la postérité avant la tragédie ...
"Sur le chemin du retour, elle respire profondément.
Ce jour-là, c’est la naissance de son œuvre Vie ? ou Théâtre ?
En marchant, elle pense aux images de son passé.
Pour survivre, elle doit peindre son histoire.
C’est la seule issue.
Elle le répète encore et encore.
Elle doit vivre les mots.
Je dois aller encore plus profondément dans la solitude.
Fallait-il aller au bout du supportable ?
Pour enfin considérer l’art comme seule possibilité de vie.
Ce que Moridis a dit, elle le ressentait.
Dans sa chair, mais sans en avoir la conscience.
Comme si le corps était toujours en avance sur l’esprit.
Une révélation est la compréhension de ce que l’on sait déjà.
C’est le chemin qu’emprunte chaque artiste.
Ce tunnel imprécis d’heures ou d’années.
Qui mène au moment où l’on peut enfin dire : c’est maintenant."
En vrac et au fil des pages ...
Le roman de David Foenkinos ne se livre pas facilement et il faut accepter sa forme surprenante pour entrer dans l'histoire passionnante de ce destin de femme. Je ne connaissais pas l'auteur et ne peut donc comparer, mais j'ai trouvé ici une forme qui convient parfaitement au contenu. La structure du texte se veut poétique et elle l'est parfois dans son contenu, comme un hommage rendu à une artiste peintre que l'auteur affectionne et dont l"oeuvre l'a bouleversé. C'est donc sa vision des choses qu'il nous donne à voir et le genre "roman" convient bien à cette oeuvre de fiction.
Le fond historique est présent dans tout le récit mais ne prend jamais le pas sur le personnage qui est au coeur de l'histoire. On sent la tragédie transpirer à chaque page, d'abord avec la malédiction qui pèse sur les femmes de la famille puis avec l'arrivée au pouvoir en 1933 des nazis. Il s'agit pourtant d'un arrière plan qui n'est jamais évoqué dans le détail, ce que l'on pourra regretter mais qui colle bien avec l'objectif de Foenkinos, révéler ce que fut la vie de Charlotte Salomon dont la naiveté et l"engouement pour sa passion ne lui permettait pas de comprendre l'ampleur de ce qui se passait autour d'elle.
Les intrusions à la première personne de l'auteur marquent une rupture et ressemblent à une sorte d'enquête. Ainsi part-il à la recherche de cette femme surprenante qui exerce sur lui une fascination que l'on se s'explique pas , si ce n'est dans l'énigme de ses peintures, peintes avec frénésie entre 1940 et 1942 , une multitudes de gouaches dont la plupart consacrées à l'amour de sa vie qui ne sut que bien plus tard quelle influence il eut sur Charlotte Salomon.
Le récit est poignant mais en même temps léger, visiblement travaillé et porteur de l'émotion de l'auteur.