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Concerto pour la main morte, Olivier Bleys, éditions Albin Michel, 2013,234 pages

Genre : roman

Thèmes : Russie, pianiste, concerto, souvenirs, hypnose, pauvreté

L'auteur en quelques mots ...

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olivier Bleys n'en est pas à son premier roman. Auteur d'une vingtaine de livres, BD, essais, romans, récits de voyage, il a reçu de nombreux prix.

Depuis trois ans il accompli un tour du monde à pieds, par étapes ( voir icihttp ://geopedisfr.canalblog.com/) qui fait de lui un observateur curieux et passionné. Pour en savoir plus, son blog : http ://monvolubilis.canalblog.com/ 


L'histoire

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La vie des habitants de Mourava, en Sibérie centrale "se déroulait dans un décor de conte populaire, sombre et élégiaque. Tournant le dos au fleuve on faisait face à la forêt; tournant le dos à la forêt on affrontait le fleuve, qui ne coulait guère qu'une centaine de jours par an et, le reste du temps, tendait un pont de glace aux rives opposées". Petit point sur la carte, Mourava n'a jamais attiré personne. Et pour cause : jonché de détritus, vestiges du monde moderne, la ville qui ne compte que seize habitants l'hiver semble en marge du monde. Seul Vladimir Golovkine a conscience de cela. Eboueur consciencieux il tire chaque jour de l'Ienissei des sacs de polyéthylène, des pneus et autres dépouilles dont ses congénères ne savaient que faire. Lui n'a pas "embarqué sur les flots troubles de la vodka artisanale (...) ce casse-gueule" qui ravage les hommes et les maintient dans un état de semi conscience qui leur fait oublier leur condition. Vladimir est prêt. Prêt à embarquer à bord de l'Alexander Matrosov pour découvrir un autre monde, sortir de son bourbier. Il emportera sa fortume, un tas d'objets amassés , inutiles ,qui rempliront sa valise.Mais les voyageurs clandestins sont refoulés et Vladimir, pas plus que les autres ne partira aujourd'hui. Sous les yeux des villageois à la fois déçus et confortés dans leur idée qu'on ne quitte pas Mourava si facilement, il rejoindra sa cabane, épaulé de Sergueï, ancien soldat tombé dans la boisson. 

Pourtant ce n'est pas un jour comme les autres car l'Alexander Matrosov a rejeté un duo bien étrange, un français et son piano. Que peut-on venir faire à Mourava avec un piano ? Qui est cet individu au physique ingrat qui gravit la colline en direction des cabanes de Serguei et Vladimir ? Qu'est-il venu chercher en ces terres où les étrangers restent peu de peur "d'être assimilés aux rebus de l'humanité" qui jonchent le sol ?

C'est que Colin Cherbaux , pianiste raté, porte un lourd passif et un handicap qu'il ne s'explique pas : sa main droite refuse d'obeir dès qu'il se met à jouer le concerto n°2  en do mineur de Rachmaninov. Improbable rencontre entre un pianiste qui rêve d'isolement, d'un face à face avec son instrument et un éboueur qui rêve d'humanité, le récit nous entraine bien au -delà , au coeur d'une fable où les souvenirs courent sur plusieurs vie, où la nature et l'humain se comprennent et se complètent, où tout devient possible ...

En vrac et au fil des pages ...

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Ce roman est un coup de coeur.

Dès les premières lignes, la description de ce village, à l'écart du monde, soumis à la modernité qui le ravage dans tous les sens du terme (dégâts sur l'environnement, pas de travail, abandon de sa population, alcoolisme ...) prend une autre dimension sous la plume de l'auteur. Comment expliquer que ce que nous avons sous les yeux et que n'importe qui rejetterait, attire le regard et donne envie d'en savoir davantage ? Les personnages campés dans ce roman y sont sans doute pour quelque chose : entiers, durs car la vie les a rendus ainsi, battants pour l'un d'entre eux, vaincus pour les autres. 

J'ai apprécié d'emblée cette idée qu'un homme vienne s'échouer à Mourava pour compléter une humanité à laquelle manquait cette pièce. Car tout est représenté , de l'ancien soldat qui fabrique en sa cabane un alcool qui le tue à petit feu, à ceux qui rêvent d'un ailleurs improbable et ne tentent pas de le rejoindre, les blessés de la vie, les vaincus, les rejetés du monde comme cet ancien cosmonaute qui sera à l'origine du basculement du récit. Comme autant de déchets qui encombrent la terre, eux résistent et ne sont perçus par le monde que lorsqu'arrive l'Alexander Matrosov, le lien, l'espoir vite évanoui.

Puis le récit prend une autre tournure et se mettent en place les éléments d'un conte  : la sombre forêt, la cabane au bout d'un chemin jalonné de dangers, l'animal terrifiant et porteur de morale, la quête ... L'auteur nous taquine en débutant son récit par le chapitre 7 : le compte à rebours commence , que va-t-on découvrir ? Et arrivé au chapitre 1 devra-t-on reprendre la lecture ?

Un roman à échelle humaine qui pose en filigrane quelques questions sur l'environnement, l'attitude du gouvernement russe pour les siens, une population dont on ignore tout. Interessant de savoir qu'Olivier Bleys avait au départ prévu un récit de voyage (lui qui a eu la chance de voyager à bord de l'Orient Express !) qui s'est peu à peu mué en un roman qui mêle l'étrange au réalisme cru d'une observation qu'il a lui-même menée, le fantastique d'un imaginaire de conte populaire à la dure réalité. Je ne connaissais le fleuve Ienissei que par l'oeuvre de Jules Verne ,Michel Strogoff ! On peut ne rester que sur la fable ou bien entendre aussi les contradictions de la Russie d'aujourd'hui à travers ce tableau où les enfants du totalitarisme ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour survivre.

Un roman que je vous invite à découvrir aussi pour la plume fluide et passionnée d'Olivier Bleys qui n'a pas son pareil pour dresser le portrait d'êtres particuliers.

Merci à Laure Watcher des éditions Albin Michel pour cette découverte.

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