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Eve et ses décombres, Ananda Devi, editions Gallimard, NRF, 2006, 154 pages

Genre : roman

Thèmes : ile Maurice,quartier défavorisé, adolescence, insularité, violence, poésie

 

 

Eve et ses décombres est un roman à quatre voix. Eve, Sad, Clélio et Savita, dont les destins se croisent, prennent tour à tour la parole pour expliquer leur vie sur l'ile Maurice. Mais alors que l'on s'attend à une description digne d'une carte postale, c'est un lieu en marge , défavorisé qui les accueuille. Troumarron " une sorte d'entonnoir, le dernier goulet où viennent se déverser les eaux usées de tout un pays. Ici on recase les réfugiés des cyclones, ceux qui n'ont pas trouvé à se loger après une tempête tropicale et qui, deux ou cinq ou dix ou vingt ans après, on toujours les orteils à l'eau et  les yeux pâles de pluie". L'envers du décor, dans un roman qui peut

 

paraître dérangeant par les thèmes qu'il aborde mais qu'Ananda Devi connait bien.

 

L'histoire : le roman s'ouvre sur un prélude d'Eve, à la fois cassée et fière. Sad prend la parole , révélant son amour pour Eve qui, elle, ne le voit presque pas. Il la regarde sombrer, se veut une présence rassurante et protectrice. Clélio, lui, s'enfonce dans la violence parce qu'il ne sait comment faire autrement et perd ce qui lui reste de naiveté enfantine. Enfin Savita, la seule qui ait pu entrer dans l'intimité d'Eve et lui apporter son amitié et qui porte sur son amie un regard à la fois admiratif et inquiet :"S'approcher d'Eve, c'est être happé par elle (...) J'ai été clouée sur place par sa tristesse".Tous vivent leur adolescence comme un vide, un fardeau, une perte de contrôle mais prennent en même temps conscience du monde qui les entoure, violent, injuste. Refusant son existence à Troumarron, Eve fait commerce de son corps, "J'ai dis-sept ans et je m'enfous. J'achète mon avenir". La perte des illusions de l'enfance se manifeste dans l'acceptation du don de soi, sans amour, sans compassion, comme si c'était tout ce qu'elle méritait. "Nous sommes des papillons volés.(...) même au plus fort de notre offense. Nous sommes des corps volés". Mais un soir Savita ne rentre pas. Son corps sera retrouvé dans une poubelle.Le roman prend alors des allures d'enquête pour amener le lecteur à comprendre ce qui s'est passé et combien tout conve

 

rge vers Eve et ses décombres.

 

En vrac et au fil des pages :J'ai trouvé ce roman bouleversant. Certes, le sujet qu'il aborde est délicat mais la façon dont il le traite est remarquable. La répartition de la parole, d'un personnage à l'autre, construit peu à peu un tableau sans concession de la vie dans un quartier défavorisé d'une ile paradisiaque. L'insularité permet de former une sorte de huis clos dans lequel se débattent ces quatre adolescents que la vie délaisse. Je pense que ce qui touche également le lecteur est la voix intérieure, comme un refrain, qui parcourt les chapitres et que l'on pourrait lire indépendamment. Une voix qui s'adresse à l'être pour l'interroger, le mener à une réflexion intense.

 

J'ai aimé la poésie qui se dégage de certains passages et fait le pendant d'un monde hostile et parfois écoeurant. Ainsi les paroles de Sad résonnent-elles comme un chant d'amour dédié à Eve : "Miracle de mes jours. Les flamboyants sont en fleur (...) Une explosion presque indécente de couleurs, comme si un volet s'était ouvert et qu'on apercevait à l'intérieur un corps de lumière nue". Sad que la poésie de Rimbaud a éveillé et qui se reconnait dans le poète, "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans". Sad qui sera la présence finale.

 

Quand ce qui devrait être la plus belle période de la vie ressemble à une lente chute ...

 

Ce roman a reçu le Prix des cinq continents de la francophonie 2006. Je vous en recommande la lecture.

 

 

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