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Georges, Alexandre Dumas , éditions Gallimard Folio classique, 1974, 452 pages

Genre : roman réaliste

Thèmes : esclavage, Ile de France, Bourbon, métissage, colonisation

L'auteur en quelques mots ...

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Je devrais logiquement commencer cette chronique par "On ne présente plus Alexandre Dumas". Pourtant, toutes les biographies consultées révèlent des failles quant aux origines métissées de Dumas fils. Ces zones d'ombre tendent à souligner la volonté de ne pas associer Alexandre Dumas à l'esclavage, au métissage.

Avant 1843 Alexandre Dumas est connu comme homme de théâtre (Henri III, Antony, La Tour de Nesles...). Pourtant à partir de 1844 sont publiés ses nombreux romans, qui ont tous fait partie de notre enfance (Les Trois mousquetaires, Le Comte de Monte Cristo,La Reine Margot, Vingt ans après ...). Dans cette prolifique diffusion, son roman Georges est passé quasi inaperçu. Pourtant le héros préfigure à bien des égards Edmond Dantès.

On a pu voir dans Georges une large part autobiographique, sans doute par les origines "mûlatres" de Dumas. Mais jamais ses origines ne lui ont fermé les portes des salons et de la bonne société. Pourtant il a reçu, comme d'autres, des injures, ainsi Balzac le surnommait-il "le nègre" et Mademoiselle Mars disait-elle de lui: "Il pue le nègre"; En le voyant couvert de décoration Nodier aurait dit : "Ah ! Dumas, mon pauvre garçon, que de babioles ! Serez-vous toujours les mêmes, vous autres nègres, et rechercherez-vous éternellement la verroterie et les hochets ?". Certes le terme "nègre" n'avait pas encore la connotation péjorative qu'il a pris par la suite.

Sa grand-mère, Louise Cessette Dumas, était esclave noire à Saint Domingue. Mais il ne parle pas d'elle dans ses écrits. Quelques notes sur son père renvoient à ses origines :" beau de visage, quoique son teint de mûlatre donnât un caractère étrange à sa physionomie." Deux lettres attestent de sa volonté de se lier avec "ses frères (...) amis de couleur", mais Dumas n'a pas milité au côté des abolitionnistes. Sans doute cela est-il dû au fait que son métissage le renvoyait davantage vers les colons blancs que vers les haitiens, comme c'était le cas au XIX°S. En effet, les "mulâtres" étaient libres, possedaient des terres et pouvaient s'enrichir et posséder des esclaves. Dans plusieurs écrits il partage d'ailleurs les préjugés ethniques de ses compatriotes.

Dans ce roman Dumas attaque les préjugés sociaux des créoles blancs envers les mulâtres libres. Il ne s'agit pas d'un roman abolitionniste. Dumas a probablement souffert du préjugé de couleur mais s'est toujours clairement dissocié des esclaves noirs et de leur histoire. Je pense qu'il faut considérer ce roman comme un témoignage de la pensée du XIX°S, un document historique en somme.

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L'histoire

"Ne vous est-il pas arrivé, quelquefois, pendant une de ces longues, tristes et froides soirées d'hiver (...) le front appuyé contre votre cheminée, et regardant, sans les voir, les tisons pétillants dans l'âtre (...) de prendre en dégoût notre climat sombre, notre paris humide et boueux, et de rêver à quelque oasis enchantée, tapissée de verdure et pleine de fraicheur..."

Le narrateur nous entraine alors au coeur des océans, à bord d'un vaisseau qui nous mènera vers l'Ile de France( Maurice), contournant Bourbon (la Réunion) et sa végétation luxuriante, à la rencontre d'indigènes. Pourtant, rapidement, le regard se porte vers une bataille singulière, opposant Français et Anglais, pour la belle ile de France, convoitée de tous. Sur le sol français, pour la défendre, les troupes de M de Malmédie, armées jusqu'aux dents. Mais alors que le conflit s'annonce, le bataillon s'exclame : "Pas de mulâtre !". La famille Munier s'est avancée, le père et ses deux fils Georges et Jacques, mulâtres, riches propriétaires terriens de l'ile, pour venir en aide aux autres. Il faudra créer deux troupes, pour une seule et même cause. Georges, alors âgé de 10 ans; gardera toujours en mémoire cette journée où, repoussant les anglais, son père se battit aux côtés des esclaves noirs et ramena le drapeau ennemi qui lui fut confisqué par un blanc. Quatorze ans plus tard, revenant de France où il reçut une éducation qui lui permit de se distinguer dans la haute société, Georges entreprend de venger son père et cette humiliation en luttant contre le préjugé racial qui affaiblit les mulâtres de l'ile. Reprenant la plantation de son père il se distinguera par sa générosité, affranchissant des esclaves, leur donnant les moyens de cultiver leurs terres. Mais ,face à lui, un mur culturel lui fera comprendre que cette lutte est âpre . Jacques, devenu négrier, comprenant la douleur et la fermeté de son frère le poussera à comprendre comment fonctionnent les relations inerculturelles sur l'ile. Mais Georges est déterminé à se battre, tout comme il est déterminé à enlever Sara des griffes d'Henri Malmédie à qui elle est promise . A ses côtés, Laiza, esclave, fils de chef, fomentera la révolte..

En vrac et au fil des pages ...

Voici un roman qui se distingue par sa construction et son propos polémique . Le narrateur , par des piques constantes, met à mal les deux partis : les riches propriétaires créoles et les esclaves. Entre les deux, les mulâtres, metiss libres et propriétaires eux aussi, ne sont ni blancs, ni noirs. C'est cette situation instable qui est développée dans le roman d'Alexandre Dumas. Les préjugés raciaux ponctuent le récit, animant chez le lecteur une polémique que le héros, Georges, ne prend pas en charge. Sa détermination n'a qu'un but, amener les blancs à considérer les mulâtres comme leurs pairs.

Bien que le roman ne se revendique pas abolitionnistes, les actes de Georges tendent à souligner la nécessité de redonner aux esclaves leur liberté. On entend tout de même les prémices du discours de Sarda Garriga prônant le travail pour la patrie.

Rapidement, la raison du coeur l'emporte et notre héros s'affaiblit dans sa lutte , d'une part en découvrant que malgré sa volonté il n'est pas aisé de générer une émulation chez les esclaves, dont seule une poignée est consciente de la chance d'avoir un tel homme à leurs côtés, d'autre part en tombant amoureux de Sara, nièce de son ennemi Malmédie.

On appréciera les scènes où l'on découvre un peu mieux la culture des esclaves, l'importance des contes, de la danse pour sortir d'un quotidien d'asservissement, la révolte qui gronde mais ne prend pas, le marronage. On aimerait un héros plus sûr de lui, qui ne faiblit pas. Mais la réalité l'emporte et le lecteur la respectera pour ce qu'elle est : un témoignage historique.On peut regtretter que le narrateur ne prenne pas davantage parti, annonce des préjugés raciaux comme si cela coulait de source. Sans doute aurait-on aimé un Dumas plus affirmé et non tiède  ! mais il faut le lire comme une chronique de la société coloniale de l'époque.

L'écriture est celle de Dumas, précise, détaillée, abondante. Les descriptions jalonnent le récit et proposent une ambiance en même temps qu'elles donnent à voir la vie au XIX°S sur l'ile. Les Anglais vont peu à peu s'accaparer l'ile qui deviendra Maurice. Certaines scènes ne sont pas sans évoquer un roman qui viendra plus tard, Le Comte de Monte Cristo, par la vengeance, la scène de bal. Mais Edmond Dantès est bien plus fort que Georges, qui souffre de sa différence de couleur. Notre héros apprend aussi le poids de la fatalité tout en se révélant un héros romantique comme on les aime, une sorte de Lorenzaccio qui affronte avec courage les préjugés. Commes le précise L F Hoffmann dans la préface : " les milâtres partageaient le plus souvent les préjugés  de ces blancs qui les méprisaient et ne râvaient que de faire oublier la part du sang maudit qui coulait dans leurs veines"

Quoiqu'il en soit c'est un roman à découvrir car peu connu mais il mérite autant d'attention que les grands classiques d'Alexandre Dumas.

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