Isidore Tiperanole et les trois lapins de Monceau-les-Mines, Pierre Thiry
Isidore Tiperanole et les trois lapins de Monceau-les-Mines, Pierre Thiry, Books on demand, 2011,68 pages
Genre : album jeunesse
Thèmes : animaux, fable, poésie, patience, morale
L'auteur en quelques mots ...
Pierre Thiry est un écriveur. C'est ainsi qu'il se définit et j'avoue apprécier la formule qui invite au jeu de mots. Administrateur de théâtre, vendeur de disques, programmateur de concert, l'auteur est résolument dans le spectacle. Jouer du violoncelle et écrire sont ses passions. De cet engouement pour les mots il a fait son métier et anime des ateliers d'écriture pour petits et grands.
Pour cette chronique, Pierre Thiry a accepté de répondre à quelques questions . Je l'en remercie encore.
Pourquoi avoir ancré votre récit dans un lieu réel comme Monceau -les-Mines ?
P.T : J'aime la Bourgogne. C'est une très belle région qui se situe entre Monceau-les-Mines, Châlons sur Saône et Macôn. C'est une région où j'ai longtemps été en vacances l'été. J'y ai d'excellents amis parmi lesquels je me dois de citer la potière Monique Dégluaire (dont je vous invite à découvrir le site internet ICI.
C'est beaucoup en hommage à mes amis de Bourgogne, et singulièrement à l'imaginaire foisonnant de Monique Dégluaire, que j'ai eu l'idée de placer ce conte dans une petite ville de Bourgogne. Une ville marquée par son histoire : les mines de charbon. J'ai voulu redonner à ce lieu de la poésie , du merveilleux, prendre une petite distance avec la réalité à "ras de terre" (et à Monceau les Mines il s'agit même d'une réalité souterraine) pour mieux souligner que l'imaginaire s'ancre dans la réalité, l'expression utilisée dans votre question est bien choisie.
Le passé minier est évoqué dans ce conte. Est-il important pour vous de transmettre ce patrimoine aux enfants ?
P.T : Dans mon conte le passé minier est évoqué "en passant", avec une certaine distance, mais je tenais en effet à l'évoquer.On ne peut qu'avoir un grand respect et une immense admiration pour les générations de mineurs qui ont donné de leur personne dans des conditions difficiles, parfois au risque de leur vie, pour assurer confort et bien être au reste de la population. La mine, le travail des mineurs, sont associés dans le vocabulaire courant à ce que le travail a de plus pénible: "aller au charbon" dit-on souvent pour évoquer une tâche pénible qu'il faut bien faire mais dont on aimerait faire l'économie. Il y a une part d'injustice visible dans le travail à la mine. J'ai voulu aborder dans ce conte cette part d'injustice: donner à penser. Penser face à l'injustice, il n'y a pas d'âge pour cela et plus tôt on y pense, plus on est à même de trouver des solutions pour les résoudre plus tard.
Vous aimez visiblement jouer avec les mots. D'où vous vient cette envie ?
P.T : Le jeu avec les mots est en effet une de mes plus grandes joies, il est lié au plaisir d'écrire. D'où me vient ce plaisir ? Cela peut être difficile de le préciser. J'ai le sentiment que j'ai toujours aimé la richesse de la langue, de toutes les langues ( il y a même une époque où j'aurais aimé pouvoir les parler toutes). J'ai également toujours été un très grand lecteur. J'ai toujours été persuadé de l'importance des livres, de ce qu'ils peuvent apporter au monde. J'aime les richesses des langues, leurs réonnances musicales, leurs rythmes, mais aussi toutes leurs richesses signifiantes qui font que l'on cherche à mieux se comprendre, à mieux se parler et s'écouter les uns les autres. Le brouillage du sens, par les jeux de mots, est également un moyen de susciter le rire, de dédramatiser les choses et d'amener un peu la paix dans ce monde "rempli de bruits et de fureurs" (pour reprendre une formule de Shakespeare).
Le lecteur adulte retrouve dans ce petit livres quelques subtilités comme une référence au Cid de Corneille (Ô rage ...), des jeux de mots, des références à d'autres lectures...Est-ce une volonté de ne pas faire de cette histoire une simple histoire pour enfants ?
P.T : Ces références, ces allusions à d'autres auteurs sont une invitation à la découverte. Je l'ai fait en me disant qu'un jeune lecteur qui aurait un jour entendu parler de cette citation de Pierre Corneille dans ma petite histoire de lapins aurait un jour envie de découvrir cette grande pièce qu'est Le Cid avec plaisir et appétit et non avec " cette crainte de mal apprendre" , ce vilain sentiment qu'il faut absolument faire disparaitre des écoles.
Dans cette histoire vous laissez livre cours à votre imagination comme le ferait un enfant (et Isidore s'envole ...). Comment concevez-vous vos histoires ? Quel cheminement jusqu'à la rédaction finale ?
P.T : J'ai d'abord écrit ce petit conte pour une de mes nièces, ainsi que pour le neveu d'une amie. Je ne savais pas quoi faire comme cadeau alors j'ai écrit ce petit conte.Je ne l'ai pas écrit en songeant que je l'éditerais un jour. Je me suis décidé à l'écrire un après midi, en reprenant une structure classique de conte (celle des trois frères ou des trois soeurs, comme celle utilisée dans les Trois petits cochons par exemple). A l'intérieur de ce conte j'ai glissé mon propre imaginaire, mes jeux avec les mots, quelques citations d'auteurs plus ou moins déguisées, comme celle que vous avez repérée de pierre Corneille.Il y en a quelques autres mais parfois tellement modifiées que l'on a peine à les reconnaitre. Parmi celles qu'un lecteur averti pourrait reconnaitre il y a deux citations ( un peu modifiées et retravaillées) de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette. Dans ce conte j'ai voulu transmettre aux enfants à qui je le destinais une belle langue, celle que j'aime, celle qui me vient des autres et de mes lectures. Mais aussi celle que j'essaie de travailler pour moi-même et pour mes amis. Mon plaisir d'écrire est en effet d'abord celui-là : écrire pour les amis, pour ceux que j'aime. Ce conte a été écrit dans cet esprit.
Si je l'ai édité c'est parce que je l'ai fait lire à Myriam Saci (illustratrice blogueuse créatrice de Mya c'est moi) et qu'elle a été d'accord pour l"illustrer. C'est alors que j'ai décidé de l'éditer. Sans Myriam Saci ce livre n'existerait pas. J'ai eu l'idée de la contacter car elle avait chroniqué en images mon précédent livre, Ramsès au pays des points virgules et cela m'avait beaucoup plu et amusé. Cela m'a flatté qu'Isidore Tiperanole et les trois lapins de Monceau les Mines lui plaise et qu'elle accepte de lui donner quelques couleurs. A partir du moment où elle s'était engagée à l'illustrer, j'ai voulu donner à ce conte un peu plus de visibilité en l'éditant.
Le récit étant parsemé de poèmes, j'aimerais savoir ce que la poésie représente pour vous et quels sont les auteurs qui vous inspirent par exemple.
P.T: Les passages rimés et versifiés qui émaillent de temps à autre le récit font partie des petits "jeux d'écriture" que j'ai toujours aimé imaginer pour faire plaisir à mes amis. ce sont aussi de petits exercices qu'il m'arrive de faire pour moi-même, simplement pour "jouer avec les mots" , pour faire résonner leur musique.Ce plaisir de l'écriture, du jeu avec les mots a quelques rapports avec celui de la danse ou de la musique (deux arts qui vont souvent ensemble). Longtemps, cette activité de rimer ou de versifier je l'ai vue comme les gammes ou les arpèges, ces exercices que le musicien fait sur son instrument. Je ne sais pas si ces morceaux rimés sont véritablement de la poésie. Les grands poètes du passé que j'admire : Charles Baudelaire, Guillaume Apollinaire, Arthur Rimbaud, Jules Laforgue, ou encore Mallarmé ou René Char, sont de toute façon inégalables à mes yeux et le moindre des hommages que je puisse avoir pour eux c'est de reconnaitre cette immense différence qu'il y a entre eux et moi. Poète, je ne suis pas sûr de l'être, mais il est sûr que j'admire la poésie pour tout ce qu'elle peut nous apporter.
L'histoire : "Jadis, régnait à Monceau-les-Mines, une hermine plus belle que le jour...". Ainsi commence ce conte qui va nous mener au "temps où les humains n'existaient pas encore", où les lapins parlaient, construisaient des villes et pilotaient des avions. C'est sur les bords de la Bourbince que s'élevait la plus belle cité du monde : Monceau-les-Mines. Devenue une capitale prospère grâce à un fabuleux trésor découvert dans une caverne toute proche, la ville était gouvernée par Hermangarde de Sanvigne-l'Hermine. Lapins et hermines vivaient donc heureux et , parmi eux, trois lapins, trois frères "descendants de l'honorable famille de Monsieur et Madame Lapaimbot". Il faut dire que Monsieur Lapaimbot était fier de ses petits : Arthur, valeureux gendarme, Théobald, glacier de renom et Justin, merveilleux poète. Le seul hic, s'il y en avait un, est que les trois lapins étaient amoureux de la même fille : Ermelinde, la fille d'Hermangarde. Tous trois mirent en avant leurs atouts et lui écrivirent des poèmes. Mais c'était sans compter sur Isidore Tiperanole, terrible conciergequi rêve de tuer le temps, qui renvoyait à l'expéditeur tout courrier destiné à la princesse. Une tête de crocodile sur un corps de gorille ! De quoi effrayer le moindre petit lapin venu. Ce que firent alors nos trois compères est raconté dans ce petit livre. Quant à moi, je n'en dirai pas plus ...
Une dédicace "où l'on découvre qu'il peut être utile d'avoir une agilité de poète,
même si l'on est un lapin" !
En vrac et au fil des pages : voici un conte à croquer ! Sous une trame digne d'un conte de fées où princesses, reine et modestes citoyens se partagent la vedette, l'humour de l'auteur fait des merveilles. Jeu de mots, clins d'oeil aux fables, poèmes ou romans que chacun reconnaitra, donnent un rythme soutenu à une histoire loufoque et enlevée.
Les enfants apprécieront les personnages hauts en couleur, le vocabulaire expressif et l'humour . Cet univers peuplé d'animaux ne leur est pas inconnu et mes petits qui adorent Béatrix Potter ou la Famille Passiflore ont beaucoup apprécié la mise en scène de petits lapins, plus ou moins rusés. Le personnage du méchant n'est pas forcément celui que l'on croit dans ce conte, aussi ont-ils été surpris du face à face entre Justin, lapin poète et Ermelinde, hermine qui ne "détestait pas dévorer un, deux , trois ou quatre lapins" de temps en temps !
Les illustrations enfantines leur plaise apparemment. J'avoue ne pas avoir adhéré, ce sera le seul point négatif de la chronique . Pourtant je reconnais à Myriam Saci un certain talent sur son blog Mya c'est moi J'ai été, comme mes enfants, plus sensible à la poésie naive et rigolote de Pierre Thiry. D'ailleurs les petits apprécieront de poursuivre les rimes de Justin !
Les adultes reconnaitront ici un vers de Corneille, là un clin d'oeil à Proust et apprécieront le travail de Pierre Thiry qui jongle avec les mots. Sous le conte, la ville: le passé minier de Monceau-les-Mines est évoqué en filigrane et ceux qui connaissent ce lieu retrouveront des noms de rues, le fleuve et quelques endroits connus.
La morale du conte ? "Rien ne sert de s'agiter en tous sens".Carpe diem ! Prenez le temps, profitez, "faire peu mais le faire bien". Toute chose que nous devrions mettre en pratique au quotidien...
Pour commander ce conte ou Ramsès au pays des points virgule, c'est par ICI