L'Enfant de Noé, Eric Emmanuel Schmitt
L'Enfant de Noé, Eric Emmanuel Schmitt,éditions Albin Michel, 2004,150 pages
Genre : roman, drame
Thèmes: seconde guerre, shoah, enfants, amitié, religion
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L'histoire
1942, Joseph, le narrateur, vit avec ses parents en Belgique et porte un regard enfantin sur ce qui l'entoure, interprétant chaque conversation , chaque geste. Ainsi sa vie s'écoule-t-elle tranquillement, pas même alertée par cet insigne jaune que sa famille doit porter et que son père, tailleur, prend soin de camoufler par un petit rabat sur la veste. Aussi lorsque ses parents lui annoncent qu'ils vont aller vivre quelues temps chez la comtesse de Sully, se demande-t-il comment et quand il a acquis cette noblesse. Serait-il finalement issu de la haute société ?
Avec douceur, ses parents le laissent chez la comtesse et partent se réfugier ailleurs afin d'achapper aux rafles qui commencent. Cependant Joseph, qui ne comprend pas le détail de ce geste, se laisse porter par cette charmante femme qui l'initie à la musique et lui recommande de ne jamais parler hébreu. Jusqu'au jour où ce quelle redoutait arrive, la police allemande vient perquisitionner chez elle, à la recherche d'une famille juive. Avec son aplomb ordinaire , la comtesse les congédie, mais le risque est trop grand. Il faut confier Joseph à un homme plus sûr qui saura le cacher. Ce sera le père Pons (rien à voir avec la pierre !) . Sur le chemin qui les mène au foyer où Joseph cotoiera d'autres jeunes enfants juifs comme lui, ils échappent à Gros Jacques, délateur sans scrupule qui n'hésite pas à livrer les siens.
Mais Joseph n'est pas au bout de ses surprises: il va devoir changer de nom et se prénommera désormais Joseph Bertin, comme l'indiquent les faux papiers faits par Mlle Marcelle. A la Villa Jaune , pensionnat catholique, personne ne dévoile sa véritable identité mais les chrétiens coitoient les juifs sous la houlette du père Pons. Là ,Joseph va se lier evec Rudy et découvrir en même temps qu'une grande amitié, des détails étonnants sur sa religion, ses pratiques. Mais c'est au père Pons qu'il vouera un attachement profond. Il est son référent, alors que son propre père l'a abandonné. Quel étrange bonhomme qui , comme Noé, collectionne tout ce qui est voué à disparaitre; chaque fois qu'une population est menacée il entreprend de sauvegarder des objets, comme autant de petits témoins d'une existence fragile. Avec lui il découvrira un peu mieux sa religion, mais surtout la tolérance et la nécessité de témoigner, de transmettre l'Histoire et les valeurs d'une communauté.
Malheureusement la période n'est pas propice à cela et lorsque les troupes allemandes perquisitionnent la Villa jaune et y découvrent les faux papiers de Mlle Marcelle, il ne reste qu'une chose à faire, fuir...
En vrac et au fil des pages.
Il n'est pas évident d'écrire sur la shoah, sur l'extermination des juifs, tant les oeuvres sur cette période pullulent. Que ce soient des témoignages directs ou des récits fictifs, tous nous font entrer de plein fouet dans un univers sombre, où le devoir de mémoire prend tout son sens. Le pari était donc risqué mais Eric Emmanuel Schmitt, pour ce quatrième opus du Cycle de l'invisible, a procédé de manière fine en mettant en scène un enfant. le regard est donc tout autre, naif, innocent, et donne lieu à de jolies descriptions pleine d'humour. A aucun moment on ne tombe dans le pathos. Le lecteur, qui en sait plus que le personnage de Joseph, comprend et réinvente l'environnement du jeune garçon. Mais lui semble beaucoup plus détaché et ne comprend pas vraiment ce qui se joue dans cette Villa jaune.
Le symbole de la collection du père Pons est une jolie trouvaille. On la retrouve tout au long du roman, puisque cet homme se lance dans une nouvelle collection chaque fois qu'un conflit se déclare, qu'une population est menacée. On ouvre ici les yeux sur les multiples agressions qui perpétuent l'absence de tolérance, la haine de l'autre, de la différence. Et malheureusement le nazisme n'est pas le dernier fléau que connut le monde. La fin du roman nous conduit d'ailleurs bien des années plus tard, alors que Rudy et Joseph se retrouvent en Israël et assitent à une altercation entre un jeune israélien et un palestinien. Les souvenirs vivaces du père Pons le pousseront alors à, lui aussi, commencer une collection, geste tout symbolique mais annonciateur d'un désastre...
Par ses questions naives, Joseph interroge les religions et se demande où est Dieu dans tout cela. Pour le coup la réponse du père Pons m'a semblée convainquante car je dois avouer que je suis la première à regretter, lors d'une conversation autour de la religion chrétienne, que l'argument majeur des opposants soit : " mais si ton Dieu existait il ne laisserait pas faire ça !". Ici Eric Emmanuel Schmitt met dans la bouche du père Pons une phrase importante: "Les humains se font du mal entre eux et Dieu ne s'en mêle pas. il a créé les hommes libres (...) Dieu a achevé sa tâche.C'est notre tour désormais. Nous avons la tache de nous-même" Et cela responsabilise l'homme, dans ses actes comme dans ses pensées
J'ai apprécié que l'auteur ne tombe pas dans le style simple en faisant parler un enfant. Les remarques sont justes, invitent à la réflexion et nous livrent un regard nouveau : comment un enfant de 7 ans à qui on a tout épargné, perçoit-il l'horreur de ce qui l'entoure ? Comment transforme-t-il les informations qu'il glane ça et là pour appréhender le monde? Son comportement envers ses parents est d'ailleurs très dur à la fin du roman mais découle d'une logique qui lui est propre. J'ai retrouvé quelques sensations de lecture que j'avais eueus en lisant Un sac de billes de Joffo. C'est en somme un roman d'apprentissage.
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