L'Etrangleur de Cater Street, Anne Perry
L'Etrangleur de Cater Street, Anne Perry, éditions 10/18, collection Grands détectives, 1997, 382 pages
Genre : Grand détective, roman
Thèmes : assassinats, mariage, femmes, rang social, Londres, XIX°S, religion
Biographie de l'auteur (cliquez ici)
L'histoire
"Charlotte Ellison se tenait au milieu du salon désert, le journal à la main. Son père avait commis l'imprudence de le laisser trainer sur la desserte. Il désapprouvait ce genre de lecture (...)"
Mais Charlotte n'en fait qu'à sa tête et, loin de ressembler à ses soeurs Emily et Sarah, ne souhaite pas s'adonner aux convenances qui , selon elle, infantilisent les femmes dans la bonne société victorienne. Franche, curieuse, elle revendique le droit à l'information et entend bien prendre les nouvelles fraiches de Londres là où elles se trouvent. Mais ce matin du 20 avril 1880,Charlottte espère trouver dans le journal une information qui la sortira de son quotidien monotone, le rituel du thé, les visites chez les uns ou les autres, les conversations empruntées.
" On était en 1881 (...) Mr Disraeli venait de mourir. Les rues s'éclairaient au gaz; les femmes étaient admises dans les universités de Londres! La reine était impératrice des Indes et l'Empire lui-même s'étendait jusque dans les coins les plus reculés du globe"
Six semaines auparavant, Chloé Abernathy mourrait assassinée dans Cater Street. Mais Le père de Charlotte ne souhaite pas évoquer en public ce type d'incident, préférant que ses filles soient élevées loin de tout scandale. Pourtant, le comportement de ses filles lui pose quelques soucis. Emily, la cadette s'est entichée de Lord Ashworth , coureur et joueur de noble famille qu'elle compte bien épouser, et Charlotte n'a d'yeux que pour le mari de sa soeur Sarah, Dominic et provoque par son franc parler quelques soubresauts dans les conversations mondaines. Pourtant les crimes s'intensifient dans Cater Street, au point que l'on ne pense plus qu'à cela.Le pasteur et sa femme Martha s'emparent de ces actes odieux pour rappeler à leurs ouailles la nécessité d'une vie irréprochable, martelant leur sermon "Nous sommes tous de frêles esquifs et les femmes, surtout les jeunes femmes, deviennent facilement la proie du vice quand elles subissent de mauvaises influences (...) Les femmes, même les plus innocentes, ont besoin de la protection des hommes, qui repèrent à temps les germes du péché pour les en préserver".
C'est dans ce contexte qu'intervient l'inspecteur Thomas Pitt, chargé de mener l'enquête. Reçu froidement au départ, comme une personne de rang inférieur, il parvient à créer un climat de confiance qui envoûtera peu à peu Charlotte. Les hommes de la maison deviennent tour à tour suspects dans cette affaire et l'on découvre alors la face cachée de chacun, dans une société où les hommes sont volages mais où cela est communément admis. ce n'est que lorsque le malheur touche la famille Ellison que les querelles et rancoeurs s'estompent pour laisser place à la résolution des meurtres. Car l'assassin fait partie de cette société bien pensante ...
En vrac et au fil des pages
Voilà ! J'ai trouvé le livre de Anne Perry qu'il me fallait ! C'est le tout premier roman de la série des Pitt, il suffisait de commencer par là me direz-vous !
Ici l'enquête policière arrive bien après la description de la bonne société victorienne, ses convenances, ses us qui permettent aux hommes d'assouvir tous leurs désirs ( et leurs vices) et demandent aux femmes de tenir le foyer et de bien présenter. On comprend qu'un jeune femme comme Charlotte souhaite s'émanciper de ce qu'elle considère comme une injustice flagrante. Bien que classé dans les romans policiers, ce récit brosse un portrait historique du Londres des années 1880 et ne fait pas défaut à la réputation de la capitale, sombre, intriguante. C'est l'époque de Jack l'éventreur, de la création de Sherlock Holmes par Sir Arthur Conan Doyle. C'est aussi la ville des plus pauvres d'un côté et des plus riches de l'autre, comme dépeint dans Oliver Twist par exemple.
Ce roman développe d'ailleurs assez bien la reflexion sur les vices , la menant à son paroxysme avec la femme du pasteur dont le discours est assez efrrayant. Percevant le péché partout autour d'elle, elle se sent investie d'une mission de purification qui glace le sang. L'Eglise, représentée par le pasteur, apparait d'ailleurs comme une source d'avilissement plus que comme un refuge, ce que regrettent les femmes dans ce récit.
Evidemment, dans un millieu plutôt féminin, il est question de mariage, d'alliances avec la noblesse et de chiffons ! Mais l'on prend plaisir à découvrir la répartition des classes sociales et le gouffre entre la haute bourgeoisie londonienne et le tout venant. Ainsi l'inspecteur de police Thomas Pitt est-il considéré comme inférieur; issu d'une famille de domestiques il apparait indigne des prétentions paternelles. La société qu'il décrit est des plus troublantes, en cette période Londres est le repère de malfrats, les rues sont insalubres, la pauvreté mène à des actes criminels pour survivre, ce qu'explique bien le personnage qui cotoie chaque jour les plus démunis. C'est le Londres de Dickens ! Charlotte découvre ce monde nouveau dont elle ne savait rien, c'est dire le grand écart entre le peuple et les nobles qui vivent dans une sorte de bulle, loin de ces préoccupations matérielles. Bien entendu elle subvient à sa manière aux besoins des pauvres mais sans vraiment prendre conscience de ce que cela représente puisqu'elle ne les cotoie pas directement. Elle sera la seule, au demeurant, à accepter d'entrer dans un univers autre que le sien, par curiosité,par pitié.
La condition des femmes est parfaitement décrite, de la plus conservatiste ( la grand-mère absolument odieuse !) à la plus libre, on rencontre dans ce roman toutes les conditions. La prostitution tient le haut du pavé, considérée comme nécessaire dans une société qui donne tout pouvoir aux hommes pour assouvir leurs penchants. La réputation des femmes ne tient qu'à un fil, un faux pas qui les rangerait aux côtés des femmes de petite vertue ou des démunies, toutes deux peu considérées. Aussi doit-on se montrer en société d'un rare hypocrisie afin d'être reconnue.
Je dois avouer que l'intrigue est bien menée car, même si j'avais des soupçons sur l'identité du tueur en série, j'ai eu quelques doutes et ai soupçonné un autre personnage. Il faut dire que chaque personnage a sa part d'ombre et l'on découvre des secrets de famille, les vices de chacun. Les personnages sont entiers, en bien ou en mal. Lord Asworth est détestable, quoique touchant à la fin; le pasteur est effrayant de même que sa femme, Edward, le père de famille est intriguant et l'on a du mal à le cerner jusqu'au bout , Thomas Pitt est charmant et Charlotte très attachante.
J'ai donc passé un bon moment avec eux et compte bien poursuivre dans cette série.