L'Evangile selon Pilate, Eric Emmanuel Schmitt
L'Evangile selon pilate, Eric Emmanuel Schmitt, Le livre de poche, 2012, 284 pages
Genre : roman
Thèmes : évangiles, Jésus, Palestine, Israël, amour, prophète, Dieu
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L'histoire
" Dans quelques heures ils vont venir me chercher.
Déjà ils se préparent.
Les soldats nettoient leurs armes. Des messagers s'épartpillent dans les rues noires pour convoquer le tribunal. Le menuisier caresse la croix sur laquelle je vais sans doute saigner demain. les bouches chuchotent, tout Jérusalem sait déjà que je vais être arrêté."
Yéchoua attend son heure dans le jardin des Oliviers. Il sait que dans quelques heures les soldats mandatés par Pilate viendront le chercher pour le crucifier, ultime sacrifice pour que se taise la rumeur qui a fait le lui l'Elu, le fils de Dieu.
Mais comment cela a-t-il commencé ? De son enfance heureuse à Nazareth il garde le souvenir du jour où il a compris qu'il pouvait mourir, lorsqu'il prit conscience que lui, Yéchoua, était aussi concerné par la mort, loin de la toute-puissance qu'accorde le jeune âge. "A sept ans, je cessais définitivement d'être Dieu". Ce soir ce sentiment n'a jamais été aussi prégnant. Pourtant, depuis cette époque bénie, de nombreux événements se sont succédés qui l'on amené à devenir le meneur d'un groupe d'hommes et de femmes animés par l'amour du prochain, préchant la bonne parole, envers et contre les rabbi qui ne voyaient en lui qu'un obstacle. Dans son village où il exerce le métier de charpentier à la suite de son père, tous viennent le voir pour se confier, solliciter son aide, bénéficier d'une oreille attentive et compatissante. L'incompréhension de sa famille le plonge dans le doute. Pourquoi ne veut-il pas se marier ? Parce qu'il ne veut pas donner son amour à, une seule personne mais à l'humanité.
Puis vint la rencontre décisive. On raconte que son cousin Yohanan "est doué de la parole prophétique" qu'il "se tient au bord du Jourdain et lave de leurs péchés les hommes qui viennent le voir en leur mettant la tête sous l'eau" proclamant à tous que le Fils de Dieu va venir. C'est alors que Yohanan reconnut en Yéchoua l'Elu. "C'est là, en vérité, que tout a commencé..."
Mais comment faire, comment procéder, qu'attendent les hommes de lui ? 40 jours dans le désert, puis cette clarté "Il y a en moi plus que moi. Il y a en moi un être qui n'est pas moi et qui cependant ne m'est pas étranger. Il y a en moi un fond qui me dépasse et me constitue, un tout inconnu d'où part toute connaissance, une immensité incompréhensible qui rend possible toute compréhension, une unité dont je dérive, un Père dont je suis le Fils".
"Aimer l'autre au point de l'accepter jusque dans sa bêtise (...) Répondre à l'agression par l'amour c'était violenter la violence". Suivi par ses fidèles, rejeté par ses pairs , Yéchoua fit alors le pari qu'il était bien celui que l'on voyait en lui et commença son travail, son cheminement pour ouvrir l'esprit du monde. "Je n'ai fait que semer des graines que je ne verrai ni grandir, ni s'épanouir (...) J'ai peur. Je doute. je voudrais me sauver. Mon Père, pourquoi m'as-tu abandonné ?"
Pourtant il n'est pas le seul à douter. Du haut de la tour de Fort Antonia le préfet Romain Pilate guette la folle rumeur qui s'empare de Jérusalem. Pour lui Yéchoua est un fou de plus, un juif fou qui proclame l'avènement du messie . Il ne veut pas le tuer mais la foule insiste. Pourquoi ? Pourquoi ces hommes et ces femmes décident-ils de sacrifier leur prochain ? Il faudra aller jusqu'au bout pourtant et crucifier Yéchoua. Mais le pire est à venir et dans ses lettres à son frère Titus Pilate raconte sa rencontre avec Yéchoua lorsqu'il a sauvé sa femme Claudia, l'exécution du galiléen et ... la disparition de son corps. Disparition qui le tiendra en haleine, à la recherche d'une explication rationnelle, refusant de croire à la rumeur qui enfle et veut que le Fils de Dieu soit revenu d'entre les morts et apparaisse encore vivant aux yeux de certains élus. il donnerait sa vie pour sa femme, sa belle épouse, mais lorsqu'elle lui annonce qu'elle aussi a vu Yéchoua, ressuscité, il doute ...
En vrac et au fil des pages
J'ai retrouvé dans ce court roman le même étonnement captivant que ce que j'avais ressenti à la lecture de La Part de l'autre. Partons du principe que Jésus était un homme comme les autres, animé simplement d'un amour plus grand pour l'humanté. Mais parions qu'il ne savait pas dès le départ qu'il était le Fils de Dieu, celui qui montrerait la voie.
De la même façon qu'Eric Emmanuel Schmitt avait fait le pari fou de nous présenter un autre Hitler que les événements n'auraient pas rendu aigri, il nous livre ici sa version de l'Histoire. S"appuyant sur des écrits, des évangiles qui soulignent l'humanité du Christ, il tisse un récit captivant et émouvant dans lequel l'Amour est au centre de l'histoire. Et cela fait du bien car donne une clé, une vision possible de ce qui est advenu, expliquant de façon rationnelle et non moins miraculeuse, qui était cet homme qui a su entrainer dans son sillage une poignée de fidèles et a fait le pari que sa mort pourrait soulever une vague bienfaisante et salvatrice.
Je savais déjà que l'Eglise avait ensuite transformé les événements pour n'en garder que quelques passages et faire de Jésus celui que nous connaissons tous, fils de Marie, issu d'une conception miraculeuse. Ici il n'en est pas question et la figure de la mère est très discrète bien que prégnante. J'ai beaucoup apprécié le lien avc le personnage de Judah que l'on ne reconnait pas immédiatement dans le récit et qui était bien l'apôtre préféré. Car l'on se demande en étudiant un peu l'Histoire, comment celui qui était le favori, celui qui comprenait le mieux Jésus, a pu ainsi le trahir en le dénonçant. Ici Eric Emmanuel Schmitt, fort de lectures et documentation, choisit de le présenter comme celui qui a obéit à son ami et l'a désigné car lui seul pouvait le faire. Notre vision est très caricaturale lorsqu'on y pense et très manichéenne aussi. Mais le suicide de Judah , avant même que Jésus ne soit crucifié, trouve là une explication.
Les noms des personnages sont ceux qu'ils portaient à l'origine, avant que la religion chrétienne ne s'approprie ces figures et ne leur donne d'autres noms. On reconnaitra Jean Baptiste, Judah, Mathieu et Jean mais le lecteur devra faire le lien entre ce qu'il sait et ce qu'il découvre.
le pari est d'autant plus audacieux qu'Eric Emmanuel Schmitt rend Pilate plus humain, lui donn une consistance qu'on ne lui connaissait pas en en faisant un être sans cesse en proie au doute mais qui veut à tout prix trouver une explication rationnelle. L'amour qu'il porte à sa femme Claudia le transportera au point de lui montrer la voie, de le changer.
Bien sûr, l'expérience que notre auteur a fait du désert est essentielle. Lui qui se disait ou se croyait athée et a eu cette révélation sur laquelle il ne s'étend pas car cela relève de la sphère intime. Sans doute a-t-il voulu ici nous faire part de sa vision profondément humaniste, en philosophe qu'il est. Mais loin d'apparaitre comme une simple fiction, ce roman fait réfléchir et réconforte en même temps. J'allais dire qu'il nous réconcilie avec la foi et nous aide à porter un regard nouveau sur la religion dont il faut savoir sur quoi et comment elle a été fondée. L'Eglise a remanié l'Histoire, nous le savons mais il est bon de le rappeler. Je sors d'une lecture ancrée dans le Moyen âge dans lequel le catharisme tient une place prépondérante et ai donc en tête les crimes commis au nom de Dieu. Renouer avec le Tout Amour et retourner à la source est donc appréciable.
La plume est fine mais, seul petit hic s'il doit y en avoir un, je trouve que le vocabulaire s'éloigne parfois de l'époque présentée (merci à Véro qui me rappelle que j'avais noté cela !) . Des anachronismes dans les dialogues créent de la distance et donnent un ton contemporain qui ne semble pas justifié. Je ne doute pas que cela soit voulu mais je me demande pourquoi. Peut-être aurai-je l'explication un de ces jours !
Pour revenir au contenu, Il ne s'agit pas d'un traité et l'auteur ne nous demande pas de croire à sa version. Il emprunte d'ailleurs les ficelles du roman pour nous permettre peut-être de prendre une certaine distance, ainsi l'enquête de Pilate tourne à l'enquête policière : retrouver un cadavre disparu rend le récit dynamique et correspond bien à ce personnage. Le roman ne manque pas non plus d'humour et , surtout, Eric Emmanuel Schmitt nous a épargné par une ellipse la scène de la cruciiixion. Rien que pour cela, merci ! Les événements majeurs sont choisis et il ne s'agit aucunement de réécrire la vie de Jésus. c'est bien un roman qui se lit d'une traite tant la plume fluide et poétique de l'auteur nous enchante.
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