L'Horizon , Patrick Modiano
L'Horizon, Patrick Modiano, Gallimard, NRF, 2010, 172 pages
Genre : roman
Thèmes : récit de vie, mémoire, souvenirs, rencontres
L'histoire : Jean Bosmans parcourt Paris et songe à son passé, sa jeunesse. Il tente d'associer événements, lieux et visages, "brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un agenda et que vous avez oubliés (...)". Sa reflexion nous transporte alors quarante ans en arrière. Il est alors tout jeune écrivain et fait la rencontre de Margaret Le Coz. La jeune femme a du quitter Annecy pour la Suisse puis s'est retrouvée à Paris où elle se cache plus qu'elle ne vit. Tous deux se découvrent une peur commune de l'abandon, un passé douloureux sur lesquels flottent des visages effrayants, "ils n'avaient décidément ni l'un ni l'autre aucune assise dans la vie. Aucune famille. Aucun recours. Des gens de rien". Le couple qu'ils forment est à la fois touchant et étrange car l'on ne sait jamais quels sentiments les anime. Lui fuit le fantôme de sa mère et revient sur un passsé hanté par son visage. Elle tente d'échapper à un amoureux éconduit qui la terrorise, l'obscur Boyaval. Le travail de gouvernante de Margaret les mènera de rencontre en rencontre, jusqu'au jour où Margaret disparaitra sans laisser de trace. Remontant le fil de leurs instants de partage Bosmans invite le lecteur à le suivre dans les méandres de sa mémoire, dans un Paris qui fut pour eux source de joies et de craintes puis à Berlin où l'on nous laisse imaginer la fin.
En vrac et au fil des pages : Je dois dire que j'ai laissé passer plusieurs jours avant de rédiger ce billet tant il m'était impossible de dire si j'avais réellement apprécié ou pas cette oeuvre. Aujourd'hui je peux dire que je me suis laissée emporter par un fond étonnant mêlé d'enquête policière et de suspense.
Le roman en lui-même est assez lent. On remonte les souvenirs de Jean Bosmans, le narrateur nous guide au fil des pages de sa vie actuelle ,dans laquelle le personnage tente de retrouver celle qui fut sa compagne quarante ans plus tôt, à sa jeunesse. L'on s'attend à chaque instant à ce que l'action l'emporte ( il va bien se passer quelquechose !) mais ce serait oublier que nous sommes chez Modiano et que ce sont d'abord les personnages, leur psychologie qui compte. J'aurais donc pu me lasser mais je dois dire que le tour de force de Patrick Modiano est de nous laisser penser qu'il y a quelque chose qui ne colle pas dans tout ça ! En effet les fatômes du passé, les personnages suspects ( la mère de Bosmans, l'individu louche et violent qui épie Margaret) sont autant de petits cailloux qui nous mènent sur le chemin d'une reconstitution digne d'une enquête. A tel point que la fin nous laisse sans voix. Selon que l'on est optimiste ou au contraire enclin à voir une fin plus malheureuse, nous voilà servis ! Car le narrateur nous amène jusqu'à berlin pour nous laisser ua coin d'une rue, avec ce que l'on sait de ce couple, ce que l'on souhaite pour lui, ce que l'on espère peut-être.
Le parcours de Bosmans est assez touchant. Que cherche-t-il ? Pourquoi se lancer dans cette introspection à son âge ? Dans quel but ? C'est que le passé ne nous quitte pas et que ce que l'on croyait effacé peut refaire surface. En même temps, et c'est là tout l'intérêt de la réflexion menée, "ce qui nous a fait souffrir autrefois parait dérisoire avec le temps". Il est de ces êtres qui peuplent les romans de Modiano, dont on ne sait presque rien mais que l'on comprend , que l'onsuit dans leurs quêtes. La quête de l'autre étant inséparable de la découverte de soi, de la quête de sa propre identité, l'on assiste en même temps à un dévoilement. il m'a semblé, mais je n'ai pas tout lu, que ces deux personnages synthétisaient un peu les êtres rencontrés dans les autres romans de Modiano ( Dans le café de la jeunesse perdue, Villa triste ...).
Bien sûr l'histoire n'est pas fluide. Mais il me semble que cela traduit bien la vision parcellaire des souvenirs qui reviennent. L'on doit faire l'effort de comprendre où l'on est, avec qui et ainsi reconstruire le puzzle. Les personnages sont associés à des lieux. Dans ces moments le récit se mêle au présent "A partir de ce jour-là (...) il la guettait de la fenêtre. Elle ne cesse de marcher à sa rencontre sur le trottoir en pente de l'avenue Reille dans une lumière limpide d'hiver (...) mais cela pourrait être aussi l'été puisque l'on aperçoit, tout au fond, les feuillages du parc". Ils s'en détachent parfois mais laissent une trace, à laquelle Bosmans se raccroche. Il en va de même pour le lecteur qui pressent un événement marquant sans pouvoir dire si cela est arrivé ou est à venir.
Je ne ressors pas de ce livre transformée mais j'apprécie qu'il m'ait interpelée ou que j'y ai pensé des jours durant pour savoir ce que j'allais en dire. En refermant le livre je me suis interrogée sur le titre et je me dis qu'il est décidément bien choisi car l'horizon c'est 'avenir mais c'est aussi ce que l'on regarde de loin sans pouvoir l'atteindre. C'est un roman construit autour d'une absence et d'un désir de retrouvailles.