L'Oural en plein coeur, Astrid Wendlandt
L'Oural en plein coeur, Astrid Wendlandt, éditions Albin Michel, 2014,216 pages
Genre : essai, autobiographie
Thèmes : Oural, peuples reculés, montagnes, Russie post soviétique, culture, amour, renaissance
L'auteur en quelques mots ...
Née à Paris en 1973, Astrid Wendlandt est franco-canadienne. Elle a passé sa vie entre la capitale et Montréal avant de migrer en Russie à l’âge de 21 ans. Armée d’une double licence de russe et de sciences politiques de l’université McGill de Montréal, et de son expérience en tant que rédactrice du journal de l’université, elle a travaillé trois ans à Moscou comme journaliste indépendante puis pour le quotidien anglophone The Moscow Times. En 1997, elle est partie à Boston faire une maîtrise de droit et de diplomatie internationale à la Fletcher School of Law and Diplomacy, administrée par Tufts University et Harvard University, où elle s’est concentrée sur les relations entre l’Europe, la Russie et la finance internationale. De 1999 à 2004, elle a travaillé au Financial Times de Londres en tant que journaliste politique et économique et, en 2001, comme correspondante à Moscou pendant huit mois. Depuis juillet 2004, elle est journaliste pour l’agence Reuters à Paris, spécialisée dans le secteur des médias, télécoms et technologies de l’information. Passionnée par la Russie, elle consacre tous ses loisirs à l’Arctique et passe depuis 2005 un mois par an chez les Nénetses, éleveurs de rennes du nord de l’Oural. En vue de l’écriture d’un livre, elle examine l’impact de l’explosion de l’industrie du gaz sur leur vie quotidienne. Elle se penche aussi sur d’autres menaces : le réchauffement climatique, les évangélistes baptistes, les braconniers russes et autres envahisseurs.Pendant l’été 2010, Astrid Wendlandt a remonté l’Oural du sud au nord pour tenter de trouver des traces de civilisations oubliées.
Merci aux éditions Albin Michel pour ce partenariat
L'histoire
" Il arrive qu'on se sente chez soi ailleurs. Dans quelques rares endroits lointains, tout semble plus authentique .La pensée y est limpide, la pulsion de vie intense".
Etrange de penser comme Astrid Wendlandt que la liberté commence en Russie, cette terre qui a opprimé ( et opprime encore !) et qui regarde son peuple se débrouiller seul , souffrir, rêver ... C'est pourtant là qu'en 2010 elle retourne, après un pépiple au coeur de la Toundra qui fut une révélation, aux confins de la Sibérie sauvage. L'idée est à la fois de marcher sur les traces du passé en retrouvant un homme avec qui elle a vécu une idylle marquante des années plus tôt, mais aussi de partir à la recherche de "peuples en sursis" s'il en existe encore, peuples qui, comme les Nenets éleveurs de rennes, vivent en communion avec la nature et en tire l'essence même de la vie.
1995, Tcheliabinsk. "Le lieu invite au suicide". C'est pourtant là qu'Astrid va rencontrer, lors d'un concert de rock, Micha. Ou plutôt non, c'est là qu'elle va en tomber amoureuse mais pour la rencontre il faudra attendre quelques jours plus tard. La Russie est celle de Boris Eltsine et cette ville "le berceau de la première bombe atomique soviétique". Le communisme n'est plus ,mais tout ici le souligne encore : l'industrie metallurgique, les symboles et Lénine sur chaque place.Une époque où tous les espoirs de reconstruction sont permis, où l'économie ne demande qu'à s'élancer. Mais à Tcheliabinsk elle marche la tête baissée, ne croise pas les regards et découvre une autre réalité. Car les ouvriers sont contraints à des actes répréhensibles pour survivre alors que les dirigeants et patrons de grosses firmes s'enrichissent. Une belle histoire d'amour qui finit donc par une expulsion du sol russe au bout de quelques mois, sans autre recours possible.
Des années plus tard , juin 2010, Astrid Wendlandt devenue journaliste, retourne sur les lieux, à la recherche de Micha. Elle le retrouvera mais il a tant changé. Pourtant ce voyage sera celui de la révélation, de la renaissance. Faire table rase du passé, ne pas vivre de chimère mais avancer, à la rencontre de l'autre et de soi-même. Accompagnée de Dima qu'elle vient de rencontrer, elle va s'enfoncer dans les terres, parcourir un territoire à la fois sublime et inquiétant où la vie est la survie. Des villes sombres ont émergé : Magnitogorsk, monstre sidérurgique. D'autres, comme Arkaïm, sont exactement l'opposé : une ville où la spiritualité domine. C'est ici que le duo rencontre Natalia, c'est ici que tout commence sans doute, une atmosphère douce et paisible qui va ouvrir la voie à la suite du voyage ... lâcher prise, accepter la métamorphose que suscite la nature sauvage, ouvrir les yeux sur le monde occidental, rencontrer l'amour. Et puis plus loin : Alexandrovka, l'utopie ?
"Nous avons tout et nous aurons tout".
En vrac et au fil des pages ...
A la fois témoignage journalistique sur la Russie, des années 1990 à nos jours, et récit autobiographique d'un périple qui est aussi un voyage intérieur, L'Oural en plein coeur est un écrit qui éveille aussi celui qui le lit.
L'Oural, grandiose avec des paysages que l'on n'imagine pas mais qu'Astrid Wendlandt décrit à merveille, happe le lecteur dès les premiers pas. Pourtant le début du récit n'incite pas à la rêverie et la journaliste elle-même est submergée par la vision sombre des années 90, d'une Russie qui se relève et en même temps subit la domination de grands groupes qui s'enrichissent aux dépens d'une population morose, qui n'y croit plus déjà.
Partie à la rencontre des Nenets qu'elle a déjà connu lors d'un précédent voyage, la journaliste s'attend à cotoyer d'autres peuples éloignés, en perdition. Mais la surprise est de taille car en quinze ans la Russie a aussi éveillé les consciences et certains russes ont quitté les grandes villes impersonnelles pour vivre en autharcie dans les hautes montagnes.
Comme l'Oural ne se donne pas, il lui faudra traverser des terres rudes avant d'atteindre ce lieu et de comprendre : ici on rêve d'une civilisation loin du gouvernement qui opprime, on rêve de valeur pures à transmettre aux enfants. Avec des années de retard Astrid retrouve le mouvement hippie qui a animé l'occident des années auparavant. La parole d'Anastasia, cette chamane ou prêtresse de la nature, porte chaque homme qui a lu ses écrits. "Son discours est perçu en Russie comme un rempart contre la pauvreté et le désenchantement du monde". Une illusion ? Elle se promet de revenir dans quelques années pour voir ce que sont devenu ces hommes et ces femmes qui ont fui pour un avenir meilleur.
Mais c'est aussi le parcours initiatique que j'ai apprécié dans cet écrit. La plume est belle, envoutante car elle retranscrit à la fois les émotions toute personnelles et le ressenti face à l'immensité de la nature. L'homme se fait tout petit et observe puis s'éveille et c'est ce que l'on ressent à la lecture. On suit le parcours d'Astrid en se demandant où elle veut nous mener et l'on découvre qu'en réalité elle témoigne de ce qu'elle ne pensait jamais vivre : une ouverture à elle-même, à l'autre qui est tout prêt et qu'elle ne voyait pas. Sur ce point je n'en dirai pas plus car cela est joliment rapporté.
Mais c'est ce qui fait l'originalité et la force de ce récit : à côté des données politiques bien amenées, qui n'ennuient pas mais au contraire instruisent car je n'imaginais pas ainsi l'évolution de la Russie de l'intérieur, la journaliste se livre elle-même. C'est une histoire d'amour que ce récit, dans tous les sens du terme : amour d'une terre vers laquelle elle est irrémédiablement attirée, amour d'un homme, amour d'un peuple. C'est en tous cas un récit marquant.
J'avoue que j'ai envie d'en savoir plus, d'abord sur Astrid Wendlandt, puis sur son premier périple et donc lire Au bord du monde.
Merci aux éditions Albin Michel pour ce partenariat et cette belle découverte
Le petit plus