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La Dernière conquête du Major Pettigrew, Helen Simonson, editions NIL, 2012, 494 pages

Genre : roman

Thèmes : amitié, amour, Angleterre, honneur, imaginaire colonial, mélange des cultures


L'histoire : Le Major Pettigrew vient de perdre son frère Bertie. Préoccupé par ce décès il en oublie de régler l'abonnement à son journal, ce qu'est venu lui rappeler délicatement Mme Ali , épicière à Edgecombe St Mary. Sans raison particulière il se confie alors à elle autour d'une première tasse de thé qui sera suivie de beaucoup d'autres. Entre eux une amitié se noue. Mme Ali est d'origine pakistanaise et le Major, tout en se revendiquant anglais, avoue être né en Inde . Mme Ali a elle- même perdu son époux. Tous deux se comprennent . Le Major est un homme pétri de bienséance, rigoureux, exigeant mais passionné et fidèle à ses principes: "S'il y avait un trait de caractère que le Major méprisait chez les hommes, c'était l'inconstance.(...) s'emballer pour un hobby et le délaisser, les sacs de golf inutilisés dans le garage et les débroussailleuses qui rouillaient adossées à des hangars, les manoeuvres des politiciens qui propageaient des ondes de nuisance et d'instabilité d'un bout à l'autre du pays. Pour le sens de l'ordre qu'avait le major, cette façon de brasser l'air, c'était une abomination.". Le décès de son frère le renvoie à sa propre vieillesse, sa vie solitaire. Mme Ali quant à elle est vivante, pétillante, généreuse et douce. Leur amitié est faite d'échanges autour de la littérature, et notamment Kipling: "Elle avait une voix. Et lui, il avait presque oublié le plaisir de l'écoute(...) Il se dit que Kipling ne lui avait jamais paru aussi beau." de liseuse claire et feutrée et elle lisait avec un plaisir évident du texte., mais aussi de menus détails qui empoisonnent la vie et que l'on aime confier afin de se sentir moins seul. A qui d'autre d'ailleurs le Major Pettigrew pourrait-il se confier ? Ses voisins, sans être de mauvaises personnes, sont assez cancaniers, exentriques. Sa belle-soeur, Marjorie, désormais veuve, se laisse entrainer par sa fille Jemima dans des questions d'argent qui, selon le major, vont à l'encontre du code de la famille. Son fils, Roger ne jure que par l'argent, la réussite, la renommée et vit dans un monde ou priment les apparences. Voilà bien longtemps que père et fils ne se comprennent plus. De son côté Mme Ali se voit contrainte d'accueillir son neveu, Abdul Wahid, qui va désormais reprendre l'affaire, comme convenu par le père du garçon, alors qu'elle -même devra retourner dans sa famille et s'occuper de sa grand-tante, condition de femme soumise qu'elle a du mal à accepter.Leur solitude et l'incompréhension de leur entourage les rapproche. Le Major, sous ses airs abrupts et conventionnels, se laisse alors amadouer par cette femme surprenante et fraîche.

Les destins s'entrecroisent dans le petit village d'Edgecombe St Mary dont la vie paisible va être bouleversée par quelques événements, plus ou moins dramatiques. Ainsi, alors que ces dames se disputent les faveurs du Major pour organiser le bal du Club de golf du village (qui ,dit-on, fut l'an passé d'une rare exentricité !), ce dernier voit l'équilibre familial vaciller pour une histoire de succession. L'affaire des fusils , au coeur de la querelle qui l'oppose à son fils et sa belle-soeur, est l'occasion de rappeler la question de l'héritage de ces Churchills , censés être réunis au décès de l'un des deux frères mais qui attisent les convoitises. Obnubilé par son désir de respecter les dernières volontés de son père, le Major Pettigrew découvre pourtant un autre centre d'intérêt en la personne de Mme Ali, confidente de son désarroi. Peu à peu ses sentiments se révèlent, troublants, merveilleux, au point que leur histoire d'amour prend une tournure poignante lorsque les conventions et obligations familiales prennent le dessus. Car c'est bien cela qui freine et à la fois dirige la vie du Major : le code de l'honneur, les conventions sociales, l'éthique. Les préjugés font des ravages dans la campagne anglaise , aussi la relation qui unit un major de l'armée britannique et une immigrée  n'est-elle pas convenable aux yeux de tous. D'ailleurs, ces dames n'ont-elles pas entrepris de fiancer le Major à l'une d'entre elle ?

Alors que tous deux tentent de préserver leur petite bulle et de rejeter les critiques, le village entre dans une nouvelle ère . Convoité par un milliardaire américain, il est l'objet de projets financiers que tout le monde ne voit pas d'un bon oeil. L'argent dicte alors les conduites, les relations, aux dépens de la sincérité et de la solidarité. Le fiasco de la soirée en l'honneur du colonel Pettigrew, grand-père du Major, qui a fait preuve d'héroisme durant la conquête coloniale pour l'Empire britannique, sera le révélateur mais aussi le déclic qui permettra au Major de décider de ce qu'il veut faire de sa vie.

L'intrigue va en s'accélérant et le lecteur est emporté par l'allant du Major Pettigrew qui, faisant fi de  son âge et des conventions, se lancera à la poursuite de son amour. Mais à quel prix ?

En vrac et au fil des pages: Voici un roman pétillant dans lequel on entre avec tout le flegme britannique , autour d'un thé. Les premières pages plantent le décor et nous dévoilent un Major déboussolé par le décès de son frère et que des questions d'héritage perturbent grandement. Car ce n'est pas tant le décès de son frère qui semble le préoccuper que les fusils de son père, deux superbes Churchills qui font sa fierté et avec lesquels il espère pavaner durant ses parties de chasse, "Il voyait la chasse d'ici: ces messieurs le félicitant et lui niant modestement avoir la gibecière la plus remplie de la journée: "Je crois que le chien s'est trompé en prenant ce beau colvert mâle des vôtres pour l'un des miens, Lord Dagenham", pourrait-il expliquer, et Dagenham le récupérerait naturellement, en sachant fort bien que le volatile était pourtant bien tombé au bout du canon des Churchill appariés de Pettigrew".Il faudra toute la douceur de Mm Ali pour lui faire oublier ces objets symboliques et rejoindre de vraies préoccupations.

L'auteur dresse notamment  le tableau d'une scène de chasse qui met en valeur le major, en qui tout le monde reconnait un fin fusil. La description met le lecteur dans l'ambiance d'une campagne pluvieuse et, par un souci du détail vestimentaire, nous entraine dans une atmosphère so british ! Un déjeuner à l'anglaise, quelques canards dans la gibecière et voilà tout un monde pittoresque qui prend vie sous nos yeux. Une touche d'humour suffit à faire sourire le lecteur en imaginant la scène suivante:  "Tandis que les fusils braqués patientaient en silence, le Major inhala l'air froid et se sentit pousser des ailes.L'herbe du champ s'était mise à fumer sous un soleil de plus en plus chaud et l'adrénaline de la chasse imminente se mit à bourdonner dans ses extrêmités. Il songea à Mme Ali, encore bordée dans son lit, rêvant derrière ses rideaux fleuris. Elle allait bientôt se réveiller au son de fusils claquant au dessus de la vallée. Il s'autorisa à s'imaginer pénétrant dans sa boutique d'un pas décidé, à la fin de la journée, sentant la poudre et le cuir embrumé de pluie, un canard mâle magnifique couelru d'arc en ciel débordant de sa gibecière. Ce serait une offrande primordiale de nourriture, d'un homme à une femme, et une déclaration d'intention d'une primitivité gratifiante.Toutefois, songea-t-il, de nos jours, on ne pouvait jamais être certain de savoir qui ne s'offenserait pas de se voir remettre un colvert mort ensanglanté, le poitrail criblé d'une chevrotine à vous fracasser les dents et le cou tout poisseux de bave de chien."

L'humour n'est pas absent de ce roman trucculent et l'on s'amusera de la communauté féminine d'Edgecombe St Mary, exentrique, volubile, autant que l'on détestera les jugements de valeur visant à rabaisser ceux qui ne correspondent pas aux critères de ces bourgeoises. Entre bonnes manières et hypocrisie, le lecteur est entrainé au coeur de la vie d'un village replié sur lui-même qui entretient le souvenir de l'Empire colonial britannique, ses conquêtes, ses héros.

Plus profondément, la condition des femmes pakistanaise est donnée à voir sous un jour dérangeant quoique bien réel, avec tout ce que cela impose de soumission à la famille et à l'homme, oubli de soi. Cependant l'auteur a pris soin de ne pas réserver cette forme de racisme à la société anglaise en soulignant le système de valeur qui place les plus riches, quel que soit leur milieu, en position de force.

Sur fond d'histoire d'amour on parle surtout ici de tolérance, de respect, d'incompréhension entre générations. Mais cela se fait sans que l'on s'en rende compte, tant on garde de ce roman une impression charmante. On y trouvera avec plaisir l'évocation du Sussex des écrivains comme Kipling :"Il s'engagea dans le virage et, en place des haies, la banale clôture  grillagée d'un champ de moutons s'ouvrait sur une vue dela campagne du Sussex qui s'étendait sur une trentaine de kilomètres par delà des toitures du village , en contrebas. Dans son dos, au dessu de sa maison, les collines gonflaient vers les heuteurs de ces côteaux crayeux pour se fondre dans l'herbe broutée par les lapins. A ses pieds, le Weald du Sussex se couvrait de champs gorgés du seigle tardif et du jaune acide de la moutarde. il aimait s'arrêter à l'échalier, un pied sur la marche, et ne pas perdre une miete du paysage"et, même si la fin du roman peut sembler un peu fleur bleue, cela s'accord avec le ton donné tout au long du récit, une touche toute britannique.

Je n'ai pas peur d'avouer que mon petit coeur de guimauve a vibré au rythme de la romance de Mme Ali et du Major, décidément très attachant sous ses airs rigides !

Je ne résiste pas au plaisir d'une dernière citation ! Mme Ali et le major se retrouvent tous deux pour une escapade intime "puis elle revint en courant et l'embrassa et lui, il ouvrit grand les bras pour conserver son équilibre.

- Attention, attention, fit-il, en sentant une éclaboussure de thé brulant sur son poignet. la passion, c'est très bien, mais il ne faudrait pas qu'elle renverse le thé" ! hihi


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