La Fabrique du monde, Sophie Van der Linden
La Fabrique du Monde, Sophie van der Linden, éditions Buchet Chastel, 2013, 156 pages
Genre : roman
Thèmes : Chine, ouvrières, labeur, amour, éveil, tragédie, exploitation, liverté
L'auteur en quelques mots ...
Romancière et critique,rédactrice et conférencière, Sophie Van der Linden est spécialisée dans l'album jeunesse dont elle est devenue une critique experte. Pourtant elle signe ici un premier roman convaincant. En 2014 sort L'Incertitude de l'aube, son second roman.
L'histoire
Mei est une jeune fille de 17 ans . Elle travaille comme des dizaines de jeunes femmes comme elle, dans une usine de confection de vêtements en Chine. Les journées sont rythmées par les pièces confectionnées, toujours plus nombreuses, la maigre pause repas et les soirées dans le dortoir où, épuisées, elles trouvent le temps pour une histoire, un rêve d'avenir loin de l'usine, avant de reprendre le travail sous le joug du contremaitre. Des centaines de chemises qui partiront en Europe sont ici confectionnés à bas prix.
Cependant Mei est ailleurs. Ses rêves l'entrainent plus loin que ses camarades, au coeur d'une forêt, en harmonie avec la nature, vers une autre vie, libre. Dans ses songes elle voit un jeune homme au bout du chemin, ressent l'amour qui le lie à lui et profite de cet instant de paix pour ne plus penser à sa condition, à l'argent qu'elle envoie chaque mois à ses parents, à son frère qui étudie à l'université alors qu'elle endure des heures de dur labeur.«Je n'ai pas été au bout de ma douleur car je sais qu'elle est sans fin. Pourtant, je dois garder ma fierté.»
Lorsqu'elle tient tête au contremaitre Wang elle pense son temps dans l'usine fini. Pourtant elle ressent une certaine liberté face au pouvoir qui est en elle et qu'elle perçoit de plus en plus. La rebellion qui gronde au sein de l'équipe de découpe lui fait entrevoir un semblant de liberté, bien vite soumis aux contingences du travail. Ici la grève n'est pas admise, l'individu n'a de place qu'au milieu du nombre.
Aussi lorsque le contremaitre Wang est remplacé par le jeune Cheng, jeune homme qui ressemble étrangement à celui de ses rêves ,Mei est-elle prête à vivre une expérience qui la transformera irrémédiablement.
En vrac et au fil des pages ...
C'est un court roman étonnant que celui ci, à la fois frais, léger et tragique. La poésie dans laquelle Mei se réfugie trouve sa source au coeur de la nature, une forêt dans laquelle elle parvient à se ressourcer, qui alimente ses rêves et lui permet d'affronter les difficiles journées où son esprit s'évade alors que ses mains de petite ouvrière oeuvrent sur les pièces de tissus. Le lecteur ne peut qu'être ému par cette jeune femme dont il reconnait les aspirations et dont il perçoit la prison.
Lorsque ses rêves se font cauchemars, Mei entrevoit les obstacles qui se dressent sur sa route. Pourtant elle croit en une vie meilleure et sa rencontre avec Cheng sera à la fois celle qui l'éveillera à la vie et signera sa destinée. Le roman se fait alors léger, initiatique, sensuel et l'on apprécie les descriptions de cet éveil des sens et de la passion amoureuse. La trahison ne semble pourtant pas loin pour qui vit essentiellement par les songes; dure réalité faite de violence et de pression, à laquelle Mei ne peut échapper. Les maigres tentatives de révolte des ouvriers sont aussitôt étouffées par un patronnat sur de son bon droit. Peut-être même les ouvriers connaissent-ils cette issue et s'amusent -ils avec le système, sans réellement penser à le changer ou le renverser. Mei s'étonne de ce manque de combativité.
A plusieurs reprises on se dit que cette vie n'est pas faite pour elle. On la voit dessiner, écrire, penser à sa grand-mère qui croyait en elle et lui avait appris à lire. Mais les conditions de travail en Chine sont terrifiantes et happent la moindre liberté. Alors que la jeune femme s'éveille à la vie dans les bras de Cheng, la réalité douloureuse lui rappelle ce qu'elle est : une ouvrière.
A la lecture de ce destin de femme on ne peut que penser aux héroines antiques à la destinée tragique, en perpétuel décalage entre une réalité sordide qui ne leur permet pas de s'épanouir et une vie rêvée, un idéal . C'est aussi les conditions de travail en Chine qui sont ici dénoncées et la soumission imposée aux travailleuses infatigables. C'est enfin le destin brisé d'une jeune femme qui en rerésente d'autres, qui aurait pu mener des études car en avait les capacités mais a été envoyée à l'usine afin de subvenir aux besoins de sa famille.
Les chapitres alternent la vie rêvée de Mei, phrases courtes, poétiques ou percutantes, empreintes de beauté ou désespérées et la réalité du travail quotidien, de la rencontre avec Cheng, de la passion dévorante.
Un récit d'une grande beauté, touchant et sincère, intense.
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