La Petite cloche au son grêle, Paul Vacca
La Petite cloche au son grêle, Paul Vacca, Le livre de poche, 2013,
Genre : roman
Thèmes : adolescence, premiers émois, amour maternel, littérature, éveil, partage.
L'auteur en quelques mots ...
Paul Vacca est romancier, scénariste et essayiste. Il est l’auteur de deux romans La petite cloche au son grêle (2008) et Nueva Königsberg (2009) aux Éditions Philippe Rey et d’un essai Hyper, ton univers impitoyable - Le système hypermarché mis à nu (1994) aux éditions Alternatives. Philosophe de formation, il a été consultant stratégique en agences de communication pour le compte de grandes entreprises, d’institutions ou d’hommes politiques. Il est aussi membre en charge de la stratégie et des études de La Villa Numeris, un think tank qui scrute les évolutions sociétales du numérique et de la nouvelle économie. Bien loin de la Petite cloche au son grêle me direz-vous ! Comme quoi ...
l'histoire:
"Chez nous" est un café comme on en trouve dans chaque village,au bord de la nationale, réunissant les habitants autour de discussions journalières, par habitude, pour se retrouver entre amis. Mais ici Paola ,toujours un livre à la main, veille et couve d'un regard bienveillant son fils de 13 ans, intimant le silence aux habitués lorsque vient l'heure des devoirs, reprenant son mari Aldo lorsqu'il se met à douter des capacités littéraires de leur fils. Une petite cloche annonce l'entrée d'un visiteur ou le retour de l'enfant prodigue.
C'est que notre petit narrateur n'apprécie guère le collège. On peut le comprendre : l'enseignante de Français n'ayant de cesse de traquer l'erreur, le faute qu'elle lira devant toute la classe afin de souligner ce qui ne convient pas. Pourtant il aime lire, écrire, rêver, flâner avec Paola au milieu des fleurs aux mille senteurs et voir sa mère s'émerveiller de cette simplicité. La révélation se fera grâce à Proust , car c'est au cours d'une promenade que le garçonnet aperçoit Sandra Maréchal, une beauté mère de famille à qui il voue une adoration particulière, son jardin secret. Elle lit, assise au milieu des herbes fraiches et , lorsque vient l'orage, abandonne son livre que le narrateur, frémissant, récupère. Du Côté de chez Swann...
Avec Marcel Proust et ses phrases qui s'étirent comme un chat au soleil, le narrateur découvrira les premiers émois, les expérimentant lui-même, le poids du souvenir, l'émerveillement de la vie et convertira sa famille puis tout le village à cette oeuvre passionnante.
« Un soir, tu entres dans ma chambre alors que je me suis endormi. Le livre m’a échappé des mains et gît sur ma descente de lit. Tu t’en saisis, comme s’il s’agissait d’un miracle. – Mais tu lis, mon chéri ! souffles-tu en remerciement au ciel. Incrédule face à ce prodige, craignant quelque mirage, tu palpes l’objet. Non, tu ne rêves pas : ton fils lit. Intimidée, tu ouvres le livre, fascinée à ton tour… »
En vrac et au fil des pages ...
"Il suffit d’un goût, d’un parfum, d’une sonorité, pour que le passé et les êtres que l’on a aimés se mettent comme par magie à revivre en nous. Mon chéri, les êtres que l’on aime ne meurent pas tant que leur souvenir reste vivant…Cette madeleine, c’est justement ça. Une sensation quasi impalpable, inattendue et fugace, mais porteuse d’éternité."
Qu'il est beau ce roman ! Simple, émouvant.
C'est le récit d'un amour, un amour inconditionnel, bienveillant et complice entre une mère et son fils, entre un fils et ses parents, entre des lecteurs et une oeuvre ...
C'est aussi un bel hommage, marqué par le tutoiement puisque le narrateur s'adresse à sa maman à l'occasion d'un souvenir, une femme de caractère , entière, passionnée qui voue à son fils une adoration sans limite. Je pense que c'est ce qui rend ce court récit si émouvant car l'on perçoit sous les mots tout l'amour que l'auteur porte en lui et qui transpire à travers les mots tendres du narrateur, toute la tendresse qui lui permet de filer son texte de façon fluide, avec une grande simplicité. Ici pas de pathos, juste un témoignage, le récit d'une rencontre entre un village et Proust ou plutôt entre un village et la littérature.
Le pouvoir et la magie des mots, des livres, est évidemment au coeur de l'histoire . La Recherche est une oeuvre à la fois complexe et simple, pourtant Marcel Proust est de ces auteurs qui rebutent, qu'on lit puis qu'on abandonne. Aussi quel plaisir de découvrir avec quel engouement les personnages le lisent, s'en emparent, le reposent, le reprennent, s'interrogent. Une autre oeuvre aurait-elle pu être citée ? Sans doute mais il y a dans l'écrit de Proust un je ne sais quoi qui nous invite à replonger dans notre propre vie, nos souvenirs, notre mémoire. Au-delà de cela c'est une oeuvre qui interroge sur la littérature, ce que fait aussi Paul Vacca dans son récit. Tout comme le narrateur de Du Côté de chez Swann, le petit narrateur revient ici sur son enfance, les lieux qui l'ont habité, les personnes qui l'ont porté et ont fait de lui ce qu'il est. Dans ce premier tome Proust propose un éveil des sens par la nature, ce que reprend à merveille Paul Vacca. Je verrais un dernier lien dans l'attachement à la figure maternelle, cette séparation qui torture le narrateur de La Recherche et cette complicité si belle que partage le narrateur de 13 ans avec sa maman. Pour toutes ces raisons une autre oeuvre que celle de Proust n'aurait pas aussi bien collé au texte même si , au-delà, c'est le pouvoir de la littérature, le vagabondage au coeur des mots , l'écriture même ,qui sont mis en exergue.
Je pense que c'est aussi un roman sur l'acte d'écrire, la feuille blanche, l'émotion qui sous-tend un texte, l'expérience de l'écriture enfin. C'est un roman sur le partage et un bel exemple à ce titre.
De belles surprises aussi jalonnent le texte : une rencontre mémorable avec Pierre Arditi, un moment d'humour croustillant lorsqu'Aldo découvre l'homosexualité de Proust et prend peur pour son fils, l'engouement de tout un village pour une oeuvre ...
Un récit savoureux à découvrir absolument pour la finesse de l'écriture et la fraicheur d'une belle histoire . A relire sans modération.
J'ai hâte de découvrir Nueva Königsberg tout en étant préparée au fait que ce deuxième roman n'a rien à voir avec le premier !