La Reine des lectrices, Alan Bennett
La Reine des lectrices, Alan Bennett, éditions Denoel,
Collection Denoel et d'ailleurs, 2009, 174 pages
Genre : roman
Thèmes : Angleterre, royauté, conventions, plaisir de lire
L'auteur en quelques mots ...
Romancier né en 1934, acteur, Alan Bennett est connu en Angleterre pour son travail de dramaturge et réalisateur pour lequel il a reçu maints prix. Il est entre autres le scénariste de Prick up your ears réalisé par Stephen Frears et de la série TV Talking Heads. Comme souvent, ses écrits sont ensuite adaptés au théâtre.
Il a reçu un Laurence Olivier Award pour l'apport de son travail au théâtre britannique.
La Reine des lectrices est son quatrième roman. Sa réputation de choniqueur des moeurs britanniques , soulignant avec humour les travers de ses pairs,en a fait parfois un écrivain controversé.
" La vie est comme une boite de sardine; nous cherchons tous la clé" Alan Bennett
L'histoire : C'est en suivant ses chiens jusqu'à l'autre bout du palais que la reine découvre le bibliobus de Mr Hutchings. D'abord par politesse, "Il s'agissait d'un hobby et la nature même de sa fonction excluait qu'elle eût des hobbies", puis par réelle envie, elle va devenir une cliente assidue de cette petite librairie ambulante dans laquelle Norman, employé aux cuisines, emprunte régulièrement des ouvrages. La première tentative la laisse perplexe mais en lisant Nancy Midford elle découvre un univers insoupçonné. A bientôt quatre vingt ans, elle se rend compte qu'elle n'a jamais réellement pris le temps de lire ( des romans s'entend) et compte bien rattraper son retard. Son enthousiasme n'étant partagé que par Norman, elle le nomme aussitôt assistant littéraire et s'en remet à lui pour le choix de ses lectures qui ne manquent pas d'accaparer tout son temps. Son entourage s'en émeut, ses conseillers s'en inquiètent; tous voient d'un mauvais oeil cette nouvelle lubie qui fait voler en éclat le protocole.
Peu à peu le quotidien de la reine est bouleversé et par là même ses fonctions. Elle qui prenait plaisir juqu'alors à inaugurer un lieu ou se promener avec ses chiens, devient une lectrice solitaire, s'isole. Même sa passion pour ses tenues vestimentaires (et l'on sait tout le plaisir qu'elle prenait à assortir ses bijoux et accessoires à sa tenue) se trouve reléguée au second plan. C'est qu'elle vient de découvrir un merveilleux passe- temps et une source inépuisable de plaisir , " Dans son enfance elle avait connu l'une des plus grandes émotions de sa vie: sa soeur et elles s'étaient faufilées hors des grilles du palais, un soir de fête, et s'étaient mêlées à la foule sans qu'on les reconnaisse. La lecture procurait un sentiment du même ordre. Il y avait en elle quelque chose d'anonyme, de partagé, de commun". Ses tentatives de convertir son entourage restent vaines mais bien mal appris qui déciderait de lui interdire ses lectures, qu'elle emporte d'ailleurs partout.
"- J'ai l'impression madame que sans être précisément élitiste, cette attitude n'envoie pas le bon message aux gens. Elle tend plus ou moins à les exclure.
- Les exclure ? La plupart des gens savent lire.
- Ils savent effectivement lire, Madame, mais je ne suis pas certains qu'ils le fassent"
Et pourtant, partout où elle passe les gens ne lui offrent plus de bouquets de fleurs mais des livres, ceux qu'ils lisent ou écrivent !
N'y tenant plus, son conseiller Kevin met en place un stratagème visant à éloigner Norman et redonner à la reine le sens de ses responsabilités. Réussira-t-il à la ramener dans le droit chemin ?
En vrac et au fil des pages :ce roman est vraiment trucculent ! J'ai bien ri des nouvelles habitudes de la reine et des réactions pince -sans- rire des conseillers et autres ducs. L'auteur revient sur les clichés que tout un chacun assimile à ce personnage exentrique et les malmène afin de souligner combien une nouvelle passion dévorante peut s'avérer bouleversante.
Bien entendu on n'imagine pas cet événement se produire mais la fiction proposée par Alan Bennett est d'autant plus savoureuse qu'elle propose une vue sur les moeurs de la société britannique en même temps que le décalage entre la vie au palais de Buckingham et la réalité. L'entourage de la reine , essentiellement effrayé par la réaction que pourraient avoir les citoyens en apprenant que Sa Majesté s'adonne à la lecture ( passion oisive comme le rappelle Sir Kévin: "Lire c'est se retirer (...) se rendre indisponible" !) n'a d'égal que la réaction justement de ceux à qui elle demande désormais en entretien ce qu'ils lisent ces temps-ci . La question surprend et j'ai trouvé sévère la réponse souvent évasive des interlocuteurs qui sont presque tous relégués au rang de non lecteurs. Evidemment les grands de ce monde ne sont pas épargnés et leur silence révèle leurs lacunes. De la même façon, le milieu littéraire est largement égratigné; ainsi lorsque la reine décide de rencontrer ceux dont elle admire les ouvrages, se retrouve-t-elle comme une inconnue au milieu d'écrivains qui ne font aucun effort pour l'intégrer à leurs conversations, un petit monde fermé qui va à l'encontre de l'image que l'on pourrait se faire de l'ouverture d'esprit d'un auteur.
On sera amusé de découvrir les coulisses de la vie royale, les rituels immuables et pour le coup bouleversés, la "préparation" des invités comme s'il s'agissait d'une répétition avant d'entrer en scène ( tous sont briffés jusqu'à la moindre question que pourrait leur poser la reine) mais aussi sans doute touchés par l'évocation du passé d'Elysabeth II et l'explication de son attitude austère. De même son comportement face à la lecture :" Une fois que je commence un livre je le termine. C'est ainsi qu'on était élevé jadis: qu'il s'agisse des livres, des tartines beurrées ou de la purée de pommes de terre, il fallait toujours finir ce qu'il y avait dans son assiette. Ma philosophie n'a jamais varié sur ce point."
On entre de plein fouet dans l'ambiance britannique un peu pincée de Buckingham et on se régale d'épisodes comme la tentative de Sa Majesté de faire lire le Duc, le choix des lectures proposées par Norman, assistant littéraire gay , les séances de lecture en carrosse, une main tenant le livre et l'autre saluant la foule ou encore les rumeurs sur l'Alzheimer de la reine provoquées par sa décicion de consigner tout ce à quoi elle pense dans son carnet.
Le petit plus : au passage on prendra note de quelques lectures : Ivy Crampton Burnett, Ishiguro, Beckett, Philip Roth, Jane Austen ( et une petite critique de sa vision des classes sociales à mille lieues de l'univers de la reine !), les classiques français dont Proust qui se révèle un enchantement pour Sa Majesté, Ian Mc Ewan, Henry James qu'elle finit par apprécier, Virginia Wolf, Les soeurs Brontë et bien d'autres.