La secte des égoïstes, Eric Emmanuel Schmitt
La secte des égoïstes, Eric Emmanuel Schmitt, Albin Michel, Le livre de poche, 122 pages
Genre : roman
Thème : philosophie,illusion des sens,folie, solipsisme
L'histoire : le narrateur, chercheur en philosophie, lassé par ses propres recherches,décide de laisser le hasard le guider vers d'autres oeuvres. Ouvrant le Dictionnaire patriotique de Fustel des Houillères, il y découvre dans l'article "Egoiste" l'existence d'un penseur du XVIII°S, Languenhaert, qui soutenait alors une philosophie "égoiste" : "(...) le monde n'existe pas en soi mais en moi. Donc, la vie n'est que mon rêve. Donc, je suis à moi seul toute la réalité...". Intrigué, il part à la recherche de cet homme, ses écrits, sa pensée. Sa quête le mène vers l'étal d'un bouquiniste chez lequel il découvre un mystérieux livre Galerie des grands hommes dans lequel il retrouve trace de Languenhaert. Mais la page qui devait présenter son portrait a, semble-t-il , été arrachée. Près du penseur se trouvait Diderot peint par Van Loo, c'est pourquoi de retour chez lui, le narrateur ouvre le volume Promenade du sceptique et croit reconnaitre en l'homme décrit par Diderot et auquel il s'adresse SON homme. C'en est trop, il veut savoir ! "J'étais émerveillé. Ainsi un homme, un jour, dans l'histoire du monde, avait théorisé ce que j'éprouvais si souvent(...)l'impression nauséeuse que les autres et les choses n'existaient pas...".Poursuivant sa quête il part pour Amsterdam et découvre que Languenhaert a créé une société qui s'est réunie à plusieurs reprises et à laquelle appartenaient des hommes qui pensaient aussi que le monde était un produit de leur inconscient. S'ensuit alors le récit de la vie de Gaspar Languenhaert, le cheminement de sa pensée, la progression de sa folie. car l'homme était persuadé être Dieu puisque lui seul peut créer tout chose. Amusant au départ dans les Salons, Languenhaert finit par lasser ou agacer et dû vivre reclus tant il se heurtait au monde et ne parvenait à se faire entendre. Dans le chateau breton où il s'est enfermé il entreprend alors de rédiger la métaphysique de Dieu, sorte de questionnement sur lui-même qui devait lui permettre de raviver les souvenirs de son existence divine: "Etrange que j'aies mis plusieurs années à me rendre compte que j'étais Dieu ! J'avais pourtant depuis longtemps tous les éléments en main...". Le narrateur, passionné voire ensorcelé par cette histoire, ne perçoit pourtant pas l'étrangeté qui l'entoure. Elle ne lui sera révélée qu'à la fin, alors qu'il entreprend de rédiger la fin de l'histoire de Languenhaert, le chapitre qui manque ...
En vrac et au fil des pages : j'avoue avoir été envoûtée moi aussi par ce récit. Tout au long du roman je me suis demandé si Languenhaert existait - et il existe bel et bien comme en témoignent certains philosophes du XVIII°S- et suis restée captivée par le récit de la vie et de la déchéance de cet exentrique dont Eric Emmanuel Schmitt a reconstitué le puzzle fantaisiste.
Mais le récit parallèle de la quête du narrateur, ce chercheur désabusé qui se prend de passion pour Languenhaert, m'a tout autant captivée. En effet, on oscille entre le registre fantastique et réaliste, si bien que l'on s'achemine vers la fin avec en tête l'idée qu'un élément surnaturel va surgir pour confirmer cela.
J'ai beaucoup apprécié les références érudites ( normales pour le philosophe qu'est Eric Emmanuel Schmitt) mises à notre portée avec précision et un discours jamais rébarbatif. Encore une fois Diderot fait une apparition, petit clin d'oeil à un philosophe qu' Eric Emmanuel Schmitt admire.
Il s'agit là de son premier roman et je comprends pourquoi il a reçu une critique élogieuse. En le lisant j'ai retrouvé par moment quelque chose d'Edgar Poe ou de Hoffman , ce côté mystérieux qui nous entraine en même temps que l'on nous prive des éléments qui pourraient faire progresser l'enquête sur Languenhaert. On ne peut alors s'empêcher de penser que nous sommes dans le fantastique. Mais en réalité c'est plus que cela, nous sommes dans notre inconscient ! Et oui, qui n'a jamais pensé que ce qu'il pensait justement était un rêve ou bien que la réalité que nous vivons pourrait tout aussi bien être un rêve et inversement ? D'ailleurs je suis peut-être en train de rêver que j'écris ! Douter, c'est ce qui est à l'origine du scepticisme et de ce roman .
Je vous recommande cette lecture, entre sagesse et folie.