La Solitude du docteur March, Géraldine Brooks
La solitude du docteur March, Geraldine Brooks, éditions Belfond, 2010, 340 pages
Genre : roman
Thèmes : esclavage, guerre de secession, famille March, abolitionnisme
L'auteur en quelques mots ...
Née en Australie, Géraldine Brooks fut correspondante de guerre durant quatorze ans pour Le Wall Street Journal. Après avoir couvert des combats en Bosnie, Somalie ou Moyen Orient, elle est incarcérée au Nigeria. De retour parmi les siens elle abandonne le journalisme.
Elle se consacre alors à l'écriture de romans et essais. Son premier roman,1666, évoque l'année de la grande peste en europe et les tensions générées par les superstitions religieuses. Le Livre d'Hanna, connait un grand succès . Il met en scène un parchemin du XV° S qui traverse les âges, comme protégé de la folie des hommes .Avec La Solitude du docteur March elle reçoit le prix Pullitzer en 2006 et réinvente la vie du célèbre père de Jo, Meg, Beth et Amy.
Mais elle est aussi connue pour son engagement envers la cause des femmes. Nine parts of desires (Les femmes dans l'islam, un monde caché) décrit la condition des femmes musulmanes.
Sa dernière parution, L'autre rive du monde, nous entraine sur les terres de Martha's Vineyard où un homme de foi s'est donné pour mission de rallier au calvinisme les tribus Wampanoag au XVII°S/XVIII°S.
On s'accorde pour reconnaitre son travail de recherche et la richesse des détails et descriptions dans ses romans.
Pour en savoir plus : le site officiel de Géraldine Brooks
L'histoire :
Souvenez-vous : dans Les Quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott , Meg, Jo, Beth et Amy vivaient dans le Massachussets, à Concord auprès de leur mère et de leur domestique Hannah. Leur père, pasteur anti-esclavagiste, s'était engagé comme aumônier dans la guerre de Secession. Issues d'une famille riche ruinée, les filles faisaient l'apprentissage de la solidarité.
Dans La Solitude du docteur March, Géraldine Brooks imagine la vie du pasteur au front et revient sur son passé.Le roman s'ouvre sur une lettre que March écrit à sa femme Marmee . A demi mots il lui fait part de son désir de retrouver sa famille et s'attarde sur les souvenirs communs dans le Massachussets afin d'éviter de lui parler de la guerre. Mais bien vite il avoue qu'une autre raison le pousse à cacher certains éléments. Ses souvenirs nous entrainent alors dans sa jeunesse. A dix huit ans, March, colporteur, vend ou troque des livres et autres babioles pour vivre. En 1841, il arrive ainsi dans une plantation du Connecticut tenue par Mr Clément dont il va bientôt connaitre la personnalité. Cet homme, au demeurant affable, présente une famille heureuse qui prend soin de ses esclaves. Etonamment, Mme Clément traite Grace, une jeune esclave vivant auprès d'elle et exerçant les fonctions de gouvernante, avec une rare bienveillance. Grace sait d'ailleurs lire, fait assez rare pour être souligné. Touché par l'hospitalité de Mr Clément March va peu à peu découvrir les règles de l'exploitation . Sans se méfier il va se lier avec Grace dont il tombe amoureux et apprendre à lire à une jeune esclave. Mais le fils de Clément de l'entend pas de cette oreille et, découvrant son méfait, s'empresse de faire rétablir l'ordre. Grace, punie pour l'action révolutionnaire de March, sera passée par le fouet et le jeune colporteur quittera le domaine, amer.
Des années plus tard, engagé comme aumônier sur le front, March reconnait les lieux et devine qu'il est à nouveau près de la plantation de Mr Clément.Il pense alors à la vie qu'il a menée depuis, à sa femme, ses filles laissées à Concord. Mr Clément a vieilli et est devenu impotent. Mais Grace est toujours auprès de lui, serviable malgré les séquelles de cette terrible journée de 1841. Quel lourd secret cache-t-elle pour n'avoir pas repris sa liberté ?
Pendant que March s'interroge puis retrouve Grace, la guerre fait rage, tuant et mutilant les hommes. Ses supérieurs attendent de March un discours propre à mener les hommes, les guider. Mais la personnalité de l'aumônier se heurte à la réalité du conflit.
Au fil du texte la parole est donnée à Marmee, la femme de March que l'on découvre aussi forte qu'on l'a connue, envers et contre tous, malgré la déception qui la submerge, fidèle épouse qui attend son homme. C'est pourtant un homme grandement changé qu'elle découvrira, meurtri par la guerre, les atrocités vécues et les terribles remords qui l'accablent...
En vrac et au fil des pages : j'ai été ravie de retrouver un peu la petite famille que j'avais appréciée à la lecture des Quatre filles du docteur March et de découvrir le portrait du père adoré. Mais attention, ce roman n'est aucunement une suite et si Géraldine Brooks reprend ça et là les souvenirs de la famille March , elle évoque la jeunesse puis la vie dans la guerre du pasteur. Le portrait de Marmee complète bien celui que nous connaissions sous la plume de Louisa May Alcott, une femme forte qui sait avancer . Décidée à ramener son mari bléssé à la maison elle n'hésite pas à le rejoindre. Ce face à face révèlera le décalage qui existe désormais entre eux et que le lecteur peut désormais expliquer.Je dois dire que lui laisser la parole dans la deuxième partie du roman apporte un nouveau souffle après le récit des atrocités observées et vécues durant la guerre de Sécession. Peut-être cela acccentue-t-il aussi le côté touchant de la fin du roman.
J'ai trouvé intéressante l'idée de reprendre l'histoire d'un personnage célèbre de la littérature anglophone. Pourtant c'est un tout autre homme que l'on découvre, il faut le savoir ! Sans doute ce livre le rend-il plus humain, en tous cas plus réel même si ce n'est pas un héros que nous découvrons mais un homme faillible, rongé par le remord, peut-être un peu lâche par moments.
Le travail de recherche est très détaillé et le fond historique soutient une histoire particulière. L'on découvre alors tous les aspects de l'esclavage, de la vie des esclaves au Maître en passant par l'engagement des abolitionnistes et les écarts entre la réalité et les avancées dans ce domaine.
Maintenant je me suis posée la question : ce livre m'a-t-il plus parce qu'il donne vie au docteur March ? La réponse est non. J'ai aimé le style, les descriptions détaillées de l'environnement, l'ambiance retracée du front que l'on vit littéralement avec l'aumônier. En revanche il me semble que le portrait dressé ici écorne quelques peu le personnage qui dans le roman originel était évoqué à travers le discours de sa famille. Le mythe s'écroule en quelques sortes ... C'est un peu dommage pour ceux qui ont imaginé le pasteur. Cela reste un livre très agréable à lire.