La Tourmente du serpent, Sébastien Cazaudehore
La Tourmente du serpent, Sébastien Cazaudehore, auto-édition, ILV Edition, 2013
Genre : roman
Thèmes : enquête, rituels, légende, Papouasie, cultures
L'auteur en quelques mots ...
Sébastien Cazaudehore est anthropologue de formation, spécialisé dans la culture Huli de Papouasie Nouvelle Guinée. Ayant vécu quelques temps au sein du clan pina près de Tari, il nous fait part de son expérience et de son vécu dans ce roman. « A Paris, j’en ai eu vite assez de chercher en vain du travail après mes études supérieures en développement durable. J’avais envie de calme dans un pays stable et d’être loin de tout, j’ai plutôt bien réussi " confie-t-il à Cédric Néau pour l'Echo touristique.com.Il vit aujourd'hui avec sa famille dans l'Amazonie Equatorienne.
L'histoire
Prologue : "1976. Quelquepart dans les Highlands de Papouasie Nouvelle Guinée." Un homme s'élance à travers la jungle, la peur au ventre. Sa mission : parvenir à rejoindre l'avion de son frère et remettre à ce dernier un paquet de la plus haute importance. Loin de son clan il se dirige sur le territoire des Honabi, le monde moderne. Au prix de sa vie, il protègera le secret ...
"Paris. Aujourd'hui."Lors d'une exposition sur l'art tribal de Papouasie, une statuette d'origine Huli est dérobée. L'Ambassadeur de Papouasie Nouvelle Guinée vient d'être agressé au cours de ce qui semble n'être qu'un simple vol. Pourtant, la statuette dérobée ne présente rien d'extraordinaire, si ce n'est l'importance que l'Ambassadeur lui porte. Mis sur l'affaire , l'inspecteur Ulysse Treilhard, spécialisé en anthropologie, pressent aussitôt les influences qui entourent l'objet. Des souvenirs confus remontent alors dans son esprit, le ramenant quelques années en arrière, lors d'un séjour au sein des tribus Huli,entre Kulu et Fugwa, loin du mode de vie des européens.
Datagaliwabe, divinité représentée par la statuette, est la plus crainte des peuples de Papouasie. La légende rapporte que, sculptée par le Serpent mythique, elle voit tout et sait tout. Cette pièce aurait plus de trois siècles, aussi le fait qu'elle soit si bien conservée intrigue-t-il l'inspecteur. Contre l'avis du Maire, que cette situation importune, il ouvre l''enquête . Interrogatoires, relevés d'indices, ne laissent pas de doute sur la valeur spirituelle de la statuette. Mais ce n'est que lorsque l'Ambassadeur lui-même est assassiné que les dimensions à la fois étranges et inquiétantes de l'enquête se révèlent.
L'affaire s'emballe et la seule solution pour retrouver les meurtriers, probablement simples hommes de mains d'une personne au pouvoir conséquent, est de se rendre sur place. Ulysse Treilhard sera accompagné dans sa quête par Claire, une collègue dynamique, sur les trace du mystérieux Eleazar, dans la jungle dense de Papouasie qui ne se livre qu'aux initiés ...
En vrac et au fil des pages...
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas fan de romans policiers, à l'exception des récits historiques. C'est sans doute ce qui m'a plu dans ce roman de Sébastien Cazaudehore : une riche documentation géographique et ethnologique, un ancrage dans un passé lointain fait de légendes et de rites sacrés. Il faut dire que le roman tourne au récit d'aventures dès le départ de nos héros pour la Papouasie, embarquant avec eux le lecteur avide de connaitre les secrets que recèle la statuette.
Le style est enlevé, dynamique et l'auteur parvient à relancer l'action régulièrement. de ce fait les longues descriptions qui jalonnent le roman ne sont pas rébarbatives mais servent l'histoire et confèrent une part de mystère à l'inspecteur lui-même. Qui est cet homme solitaire qui s'est expatrié durant quelques années au sein de la jungle Huli ? Pourquoi semble-t-il avoir refoulé cette période, à la fois mystérieuse et formatrice ?
Une part largement autobiographique transparait dans ce roman, notamment dans la formation d'enthropologue de l'inspecteur Treilhard " Comprendre un crime relevait finalement des mêmes processus mentaux que ceux nécessaires à une étude anthropologique; arriver à exliquer ce que l'on ne comprenait pas, pafois même ce qui était inexplicable, ou que l'on voudrait inexplicable dans certains cas particulièrement difficiles".Du coup, c'est Sébastien Cazaudehore que l'on suit dans ces paysages ancestraux luxuriants .
J'ai apprécié le fond documenté qui sous-tend le roman et donne envie d'en savoir plus sur cette zone du monde, les peuples décrits et leurs traditions. L'auteur nous les présente comme une sorte de bulle, à l'abri des contraintes et pollutions en tous genres du monde moderne. Le roman est sans doute aussi le constat de ce que les progrès peuvent apporter de mauvais dans un lieu qui n'a pas besoin de cela pour se développer mais devrait pouvoir se perpétuer selon ses propres valeurs. L'intrusion des constructions, forages et autres projets amenant une part de destruction, nous pousse à nous interroger sur l'environnement, le devenir des peuples dans les zones les plus reculées et le poids des traditions.
On passera rapidement sur les coquilles et quelques fautes dues à l'auto-édition ( quand même j'aurais bien aimé faire partie du comité de lecture !) pour s'accorder sur le fait que le récit policier convient bien à la plume de l'auteur. Un nouvel opus serait d'ailleurs bienvenu Monsieur Cazaudehore, tant cet inspecteur est attachant ! A bon entendeur ...
Le petit plus : Sébastien Cazaudehore a gentiment accepté de répondre à quelques questions. Ses réponses en disent long sur sa vision du monde je trouve. je vous laisse découvrir cela ...
Avec plaisir je vais répondre à vos questions ;
Pour ce qui concerne la suite des aventures d’Ulysse Threilhard (et de Claire quand même), le deuxième est écrit (depuis pas mal de temps d’ailleurs). En fait, je suis très rapide pour écrire le roman et infiniment lent pour le corriger et le remanier. Ce deuxième volet se passera aussi dans une région de la Papouasie, mais le sujet sera un peu différent, beaucoup plus axé sur l’écologie.
- Quelle part autobiographique avez-vous mise dans ce roman ? Ulysse Treilhard a une vision de l'enquête criminelle qui se rapproche de la démarche anthropologique (vous le lui faites dire dans la citation que j'ai noté sur mon billet). Est-il vraiment votre voix ?
Beaucoup de choses sont autobiographiques dans le roman. Les lieux, les personnes, certaines histoires recueillies, certaines aventures et frustrations… de mon plaisir à manger des sushis à l’Airways à celui de dévorer du Maranta, des lieux de vies entre Kulu et Kerniba à mes frustrations pour atteindre Lebani (que je n’ai jamais pu atteindre, seul Ulysse y sera arrivé).
J’ai passé une année dans ces montagnes, à vivre avec Potabe, Hega, Kathy, Yorobi et les autres, apprendre à les connaitres, partager leur quotidien, entendre leurs légendes et leurs croyances, leurs peurs des Damas malgré l’interdiction que donne l’Eglise de croire en de telles choses,… tout cela est entré dans les pages du livre. J’avais écrit un récit de voyage que j’ai mis en téléchargement sur le blog, et ce sont toutes ces histoires, accompagnées d’une bonne dose de nostalgie qui ont fini par me pousser à créer cette fiction.
L’idée d’une enquête criminelle anthropologique m’est venue d’une simple constatation : après tous ces mois à vivre avec les Huli, parler avec eux, comprendre comment ils pensent, j’avais développé une certaine familiarité et certaines choses me paraissaient naturelles, dans leur comportement ou leurs choix, mais restaient incompréhensibles pour les personnes de ma famille. Alors il me fallait expliquer toutes les raisons, légendes, tout ce qui amenait à une conclusion pour moi évidente. D’où l’idée d’un crime dont les indices seraient indétectables par une personne n’étant pas anthropologue spécialisé sur les Huli, garder le lecteur dans le flou quant aux raisons et motivations d’un assassin.
- Vous braquez les projecteurs sur une zone méconnue du monde, faite de traditions ancestrales, encore peu touchée par la modernisation/ mondialisation. J'ai eu l'impression que vous dévoiliez un bijou tout en insistant sur la nécessité de le protéger et de le maintenir en quelques sortes hors du temps. Est-ce que je me trompe ?
Oui et non. Je ne suis pas pour maintenir une culture hors du temps, protégée des influences extérieures, si cette culture désire s’ouvrir au monde, même si cela veut dire que cette culture sera changée du fait de ce contact, ce n’est certainement pas à moi d’émettre un jugement de valeur. De toute manière, ces contacts sont inévitables, alors on ne peut qu’espérer que les choses se fassent bien. Comme tu l’as vu, il existe déjà une petite exploitation de gaz naturel dans la région de Kulu, et les relations entre la compagnie de gaz et les clans Huli avoisinants sont plutôt bonnes. Beaucoup d’anthropologues travaillent pour maintenir cet état de chose et pour que l’activité de la compagnie perturbe la vie quotidienne des populations locales le moins possible.
Aujourd’hui, ce qui protège cette culture du monde extérieure, ce sont surtout les hautes montagnes qui ceinturent les Highlands et la quasi inaccessibilité du lieu. Mais pour donner une anecdote intéressante, en 1951 lorsque Jack Hides a eu un premier contact avec les Huli, ceux-ci possédaient déjà des machettes et des haches en acier fabriquées en Australie. Cela voulait dire que sans jamais avoir rencontré un homme blanc, ils avaient déjà été touchés par le monde extérieur.
- Quelles motivations vous ont poussé à publier ce livre ? La nécessité d'écrire ? la volonté de partager une expérience ? ou de sensibiliser les lecteurs à une cause ?
Tout d’abord, je l’ai écrit pour moi, pour m’amuser et parce que comme je l’ai dit avant, la nostalgie me taraudait et que j’ai eu plaisir à me replonger dans les jungles de la Papouasie… au moins en rêve. Il y avait effectivement l’envie d’écrire, j’ai toujours eu beaucoup de plaisir à le faire et cela me détend (la phase de correction ne me détend pas du tout par contre), alors je me suis plongé dans cette histoire qui m’est venue d’une légende que j’aimais bien, celle du Serpent qui traverse le territoire Huli déféquant du pétrole et crachant de l’or. La volonté de partager quelque chose que l’on aime, en l’occurrence un peuple et ses coutumes, est évidente, j’ai toujours adoré parlé des Huli et me rappeler les expériences que j’ai vécu parmi eux et qui m’ont servis jusqu’à aujourd’hui.
- Quel lecteur êtes-vous ? quels genres ou auteurs vous satisfont particulièrement ?
Je suis un gros lecteur. Depuis que je vis dans l’Amazonie, je lis principalement en anglais (plus facile de trouver les livres américains et anglais) et cette habitude a fait penché mes gouts vers la littérature anglophone, classique et moderne. J’ai plaisir à me plonger dans Conan Doyle, Stevenson ou Lovecraft, avant de sauter sur Asimov, Capote ou même Grisham. Je lis une cinquantaine de livres par an et j’essaye de toujours varier les plaisirs.
- Ma dernière question est personnelle, vous n'êtes pas obligé d'y répondre : qu'est-ce qui vous a poussé à vous expatrier de la sorte et pourquoi cette région du monde ? Pour moi la proximité de l'Amazonie est liée à l'ecologie et je ne le connais que par des reportages passionnants mais aussi alarmants. Qu'en est-il là bas ?
Cela fait longtemps que je vis hors de France maintenant : Australie, Papouasie, maintenant l’Equateur. J’imagine que l’on prend goût à changer de lieu de vie, repousser les frontières, refuser de se laisser enfermer… alors on prend un passeport et on va voir ce qui se passe ailleurs. Un jour, je devais avoir 19/20 ans, lors d’un diner avec un ami de mes parents, nous avons commencé à parler de sa passion des papillons et de ce papillon qui existe au cœur de Bornéo et qu’il n’a jamais pu voir. Je lui ai dit que j’avais entendu parler des Dayaks Punans qui vivaient aussi dans cette région… deux semaines après nous étions au milieu de la jungle de Bornéo. J’imagine que cela illustre bien la manière dont je fais les choses. Un coup de tête et c’est parti. C’est un peu comme cela que je me suis retrouvé en Equateur en revenant d’Australie.
Pour ce qui est des problèmes écologiques ici, en tout cas dans cette région de l’Amazonie, nous n’en avons pas « trop ». Il y en a, des personnes qui abusent et détruisent parce que c’est plus rapide et moins cher que de faire les choses correctement. Mais la topographie légèrement escarpée de la région limite grandement la déforestation industrielle. C’est toujours ça de gagner. Mais il faut toujours garder un œil sur les rivières et les pollutions volontaires ou accidentelles… comme partout aujourd’hui. En revanche, chez nos voisins du Yasuni, les pétroliers et la déforestation sont beaucoup plus actifs et c’est un réel problème.
Merci pour ces précisions. Nous attendrons donc patiemment la suite des aventures d'Ulysse et Claire !