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Le Diable tout le temps, Donald Ray Pollock, éditions Albin Michel, 2012, 384 pages

Genre : roman noir

Thèmes : Amérique, religion, maladie, fondamentalisme, meurtres, années 60, perdition

L'auteur en quelques mots ...

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Né en 1954 à Knockemstiff, Ohio, Donald ray Pollock a travaillé durant 32 ans dans une usine de pâte à papier avant de se lancer dans l'écriture. En 2008 il publie son premier ouvrage de nouvelles intitulé justement Knockemstiff.Durant la campagne présidentielle, il se fait connaitre en publiant des chroniques pour le New York Times, les élections vues de l'Ohio. Le Diable tout le temps est son premier roman et a connu un succès immédiat. En France on classe de roman dans la catégorie policier. Aux Etats-Unis dans le domaine du Southern Gothic.

Donald Ray Pollock se dit influencé par William Gay ou Child of God de Cormac mc Carthy et déclare aimer écrire sur les êtres en perdition plutôt que sur les braves gens. il faut dire que sa vie ne fut pas simple et que lui aussi a connu les affres de l'alcoolisme, cette dérive dont il s'est relevé pour en faire le socle de ses récits.

L'histoire

  " En un triste matin de la fin d'un mois d'octobre pluvieux, Arvin Eugene Russell se hâtait derrière son père, Willard, le long d'une pâture dominant un long val rocailleux du nom de Knockemstiff, dans le sud de l'Ohio". En un étrange rituel,père et fils se retrouvent dans une clairière autour de "l'arbre à prières". "Arvin ne savait pas ce qui était le pire, la boisson ou la prière. Aussi loin qu'il pût se souvenir, son père lui semblait avoir passé sa vie à combattre le Démon".

Il faut dire que Willard Russell était rentré de la guerre, à l'automne 1945, avec en tête le souvenir de soldats tués dans des conditions atroces dans les îles Salomon, dans le Pacifique. Cela change un homme. "Il n'arrêtait pas de se dire que si jamais il arrivait chez lui, plus jamais il ne quitterait Cold creek, Virginie Occidentale". Sa mère , Emma, se disait aussi, priant chaque jour pour que son fils rentre sain et sauf,  qu'il serait bon qu'il épouse une fille du pays, comme Helen, car au diable la beauté, rien ne vaut un foyer. Mais en ce jour de 1945, c'est Charlotte Willoughby que Willard venait de choisir dans ce petit restaurant nommé Wooden Spoon où cette dernière était serveuse. Il lui fallu du courage et quelques visites à l'église du révérend Sykes pour reprendre le cours des choses, car il avait changé.

Il épousa Charlotte et partit pour l'Ohio .Helen , de son côté, épousa l'un des prédicateurs de Topperville, Roy, dont le sermon avait impressionné l'assistance au retour de Willard, éprouvant leur foi physiquement afin d'impressionner les âmes sensibles. Au printemps 1948 nacquit Arvin. Roy et Helen, eux, eurent une petite Lenora. Mais rapidement Roy s'enferma dans son délire, persuadé d'avoir perdu puis retrouvé la foi, convaincu qu'il pouvait ressusciter les morts. Son frère Théodore, jaloux de son couple, le persuada alors de tenter l'expérience sur sa propre femme." Si tu réussis un truc pareil, Roy, il y aura pas dans toute la Virginie Occidentale une église assez grande pour contenir tous les gens qui voudront t'entendre prêcher". Helen mourut au fond d'un bois et Lenora fut élevée par Emma. "Assis à regarder son fils, Willard ressentait un intense besoin de prière. Cela faisait des années qu'il ne s'était pas adressé à Dieu, pas la moindre requête, pas la moindre louange, depuis qu'il avait trouvé le Marine crucifié, pendant la guerre, mais il sentait maintenant que ça grossissait en lui, le besoin urgent de se mettre en règle avec son Créateur avant que quelque chose de mauvais n'arrive à sa famille".

Des années plus tard, au cours de l'été 1958,  père et fils devaient se retrouver autour du tronc à prière maculé de sang, pour un sacrifice sensé sauver Charlotte de la maladie qui la rongeait. Willard, perdu dans sa folie, n'avait alors pas conscience de ce qu'il léguait à son fils en héritage, du chemin que ce garçon devrait parcourir pour trouver la paix dans un monde peuplé de détraqués comme le pasteur Teagardin, amateur de chair fraîche, ou encore cet étrange couple, Carl et Sandy, qui écument les routes à la recherche d'autostoppeurs afin d'assouvir leurs délires malsains et qu'Arvin finira par croiser...

En vrac et au fil des pages

Un premier roman extrêmement prenant que l'on ne lâche pas, d'une page à l'autre. Donald Ray Pollock sait trouver les mots pour décrire une Amérique profonde, glauque, perdue ou en perdition, des êtres animés par la foi mais poussés vers la mort, des comportements déviants générés par l'alcool, la guerre, les traumatismes de la vie. L'écriture est belle, forte et juste. Noire , certes, mais non dénuée d'humour. Puis cette histoire prend à la gorge et le lecteur, alignant les pièces du puzzle, se laisse embarquer dans la souffrance du jeune Arvin, dans les délires malsains du couple sandy/carl, tueurs en série, dans la soif pédophile du pasteur Teagardin ou l'obscur besoin de pouvoir du shériff Bodecker. Tous les personnages sont unis par un même sentiment d'enfermement, comme s'ils ne pouvaient quitter ce lieu où ils sont nés, ancrés et où ils mourront, d'une façon ou d'une autre.

Dès les premières lignes l'auteur nous tient avec cette relation père/fils hors norme et l'on ne peut s'empêcher de plaindre et d'excuser l'amour fou et passionnel de Willard bien qu'il lègue à son fils Arvin une existence douloureuse en guise d'héritage. Lui-même comprend à la fin, dans une sorte de réconciliation posthume, ce qui a poussé son père à de tels actes. Les descriptions sont parfois crues, mais toujours voilées, ainsi en est-il des sévices subis par les autostoppeurs par exemple. Nul besoin de détails, ils sont parfois distillés ça et là au fil des pages mais c'est l'imagination du lecteur qui fait le reste et peint peu à peu le décor sombre et malfaisant des scènes.

On avance dans l'histoire, sans savoir où cela va réellement nous mener tant le diable semble mener la danse. La seule lueur d'espoir est un personnage: Arvin, porteur de la lumière sans doute, de la rédemption peut-être. Car la foi, la religion sont omniprésents dans ce roman. Mais la prédication décrite est loin de toute messe traditionnelle. Ici les fondamentalistes tuent, poussent au vice et leurs ouailles s'engluent dans une existence vide de sens. Pour cela on s'attache tout de suite à la famille d'Arvin, à la tendre grand-mère Emma, à la douceur et l'optimisme de Charlotte, à la naiveté de Lenora. Le lecteur a besoin de croire et Donald Ray Pollock nous en donne les moyens puis nous les reprend et joue avec nos sentiments.

Je ne sais pourquoi ( peut-être pour le côté sombre et les meurtres en série, la figure du shériff ou cette histoire de diable) ce roman m'a fait penser à un film de Bertrand Tavernier, Dans la Brume électrique, que je vous recommande car aussi bien mené, lent et sombre.

Le titre est étonnament bien trouvé car le diable est partout, y compris dans l'église (ici les brebis ne sont pas sauvées) , dans ces âmes corrompues, dans les comportements dépravés, comme si Dieu n'avait pas accès à cette région des Etats-Unis, mais il est aussi dans l'écriture qui nous fait apprécier un roman des plus noirs, espérant qu'une âme plus pure que les autres s'en sorte. Les destins des uns et des autres s'imbriquent, à des années ou des kilomètres d'écart, tout est pensé avec mesure.C'est diablement bien joué Monsieur Pollock !

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